QU’ONT-ILS FAIT DE NOTRE ECOLE ?

Par Maryse QUASHIE
Le 16 septembre 2020, le Ministre des enseignements primaire et secondaire a annoncé que pour la rentrée du 26 octobre 2020, des mesures étaient prévues pour pouvoir appliquer les mesures de distanciation sociale : construction de locaux et acquisition de mobilier, notamment des tables-bancs. On pourrait lui demander si cela était possible, pourquoi cela n’a pas été fait plus tôt. Comment peut-on encore observer au Togo ce que montrent ces images!

Faut-il une pandémie pour qu’on mette les élèves et les enseignants dans de meilleures conditions que celles-là ? Que s’est-il passé pour qu’on en arrive là ?

DES CHOIX ET DES PRATIQUES INADMISSIBLES

Le système scolaire togolais était un des meilleurs de la sous-région. Il n’en est plus de même aujourd’hui. En effet on note :

  • des conditions de formation peu enviables
    des écoles avec des murs en banco ou en claies, avec des toits de chaume ou de branchages, des classes de plus de 100 élèves même dans la capitale, des élèves installés sur des parpaings ou des cailloux, des étudiants encore obligés de se lever à l’aurore pour trouver place dans les amphithéâtres, etc.
  • des choix pédagogiques douteux :
    • au primaire, alors qu’on n’a pas encore clairement défini ce que doit être l’enseignement de base au Togo, ni les enseignants, ni même leurs encadreurs ne maîtrisent la méthode “miracle ” décrétée : l’Approche Par Compétences (APC). Pourtant on a dépensé des centaines de millions (de la Banque Mondiale) à réunir des “experts” pour concevoir des manuels dans le cadre de cette méthode. Pour l’heure on en est aux manuels de la classe de CE2 alors que pour les classes inférieures on n’a même pas assez d’ouvrages pour les élèves…
    • au secondaire, comment espère-t-on donner aux élèves une formation acceptable lorsque des psychologues y enseignent le français, des économistes les mathématiques, des sociologues la philosophie, etc.
    • dans l’enseignement supérieur, le Togo a progressivement perdu le leadership au sein du Réseau pour l’Excellence de l’Enseignement Supérieur en Afrique de l’Ouest (REESAO), leadership acquis grâce à la mise en place du LMD entre 2005 et 2015.
  • des données peu fiables
    il y a quelques années, il aurait été possible de produire des données complètes et détaillées pour illustrer tout ce qui vient d’être affirmé mais aujourd’hui les statistiques scolaires sont triturées et tronquées de crainte qu’elles ne disent pas la vérité sur le système scolaire togolais en pleine déliquescence.

UN ENSEIGNEMENT PRIVE PEU CONSIDERE

Depuis bien longtemps l’enseignement privé a occupé une place importante dans la formation des jeunes togolais. Ainsi si dans l’ensemble il gère plus de 30% des écoles, lorsqu’on examine plus à fond les données, on se rend compte qu’il fut un moment où à Lomé plus de 75% des écoles appartenaient au privé. Et la mesure de la gratuité des frais scolaires (2008) n’a rien pu changer à cela. De plus, en général, les résultats aux examens du privé dépassent ceux du public. La qualité de l’enseignement y est donc meilleure. Or,

  • l’enseignement confessionnel qui peut être considéré comme le fondateur de l’école au Togo, et qui a formé beaucoup des cadres d’aujourd’hui, s’est vu retirer les subventions de l’Etat depuis 2007, et n’a pu en récupérer qu’une petite partie. Le résultat en est qu’il a en partie perdu le rayonnement d’antan ;
  • l’enseignement privé laïc n’est pas traité comme il le faudrait : des administrateurs peu informés de la nature de l’enseignement privé déploient des pratiques tendant à l’uniformisation du public et du privé et à la mise sous botte de l’enseignement privé. Les autorités de tutelle ne réagissent guère à cela car le nivellement par le bas les arrangent au coeur d’une gestion hasardeuse du système scolaire dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19 : au lieu de faire un effort pour améliorer l’offre publique, elles empêchent l’enseignement privé de développer des initiatives innovantes sous prétexte de barrer la route à un enseignement à deux vitesses dans le pays.

DES ENSEIGNANTS PRECARISES

Lors de la journée mondiale des enseignants 2019, nous avions déjà attiré l’attention sur la précarisation du statut de l’enseignant au Togo :
« …quel que soit le niveau de l’édifice scolaire où il enseigne l’enseignant togolais est pris dans un système à plusieurs vitesses avec des statuts divers auxquels sont attachés des systèmes de rémunération divers. (…) On doit se rendre compte que les divers changements de statuts correspondent d’abord à une volonté, ou plus précisément, à une obligation de l’Etat de recruter des enseignants, pour faire face à la croissance de la demande d’éducation. (…) .
Cependant cette volonté étatique de recruter s’est doublée d’un effort pour minimaliser les dépenses d’éducation, et donc pour ne pas payer à un taux “normal” les enseignants nouvellement recrutés. On a donc créé des statuts qui permettent cela et les jeunes en recherche désespérée d’emploi se tournent vers ces types d’emploi qui se révèlent à la longue une impasse (…).Mais surtout cette pratique de l’Etat employeur a abouti à une précarisation de la profession d’enseignant » (Maryse QUASHIE (dir.), Quel avenir pour la profession enseignante ?, Lomé, 5 octobre 2019)

En 2020, avec la pandémie du COVID-19, la situation de l’enseignant togolais ne s’est guère améliorée, dans la mesure où dans le privé surtout, avec la fermeture des écoles, les chefs
d’établissement, ne pouvant plus récupérer des frais de scolarité, ont du mal à rémunérer leurs employés. Une partie d’entre eux, encore difficile à recenser, a même perdu son emploi.

DES PARENTS D’ELEVES REDUITS AU SILENCE

Lorsque la décision a été prise le 12 juin 2020 d’une réouverture des classes d’examen uniquement le 15 juin, le communiqué a été libellé comme si une concertation générale avait décidé, et de la date, et des modalités de la reprise des cours dans certaines classes seulement. L’enseignement privé avait l’air d’être d’accord pour qu’on ne propose aucune alternative aux élèves des autres classes. Or la concertation générale dont parlait le communiqué gouvernemental n’avait pas été si générale que cela.

Nous lancions alors cet appel aux parents :
Comment comprendre que vous, parents d’élèves, envisagiez sereinement qu’après la gestion inacceptable des semaines d’interruption scolaire où on ne s’est guère occupé des plus pauvres, la reprise prévue fasse de l’année 2019-2020 une année compromise pour les élèves issus des milieux déjà défavorisés, et dans de graves difficultés à cause de la gestion calamiteuse de la crise du COVID-19 ? (…)
Mais qui n’est pas parents d’élèves ou d’étudiants au Togo ? Comment comprendre alors notre silence dans des circonstances aussi graves pour l’avenir de nos enfants ?

Nous avons donc continué 2019-2020 dans ces conditions. Mais, vous parents d’élèves, vous avez pu constater comment sans les enseignants, le peu qui a été fait pour vos enfants au cours de cette année 2020, n’aurait pu se réaliser. Ils ont fait beaucoup de sacrifices. Et maintenant il est question au nom du COVID-19, d’instaurer le double flux où certains élèves vont à l’école le matin, les autres l’après-midi, d’ouvrir les écoles le mercredi après-midi et le samedi (pourquoi pas le dimanche ?!). Quelles seront les premières victimes de ce système ?
Les élèves évidemment, vos enfants ! En particulier, vos enfants, alors qu’ils auraient besoin de rattrapage, quelle formation va leur être donnée après l’année tronquée qu’a été 2019-2020 ? Que veulent faire d’eux les autorités togolaises ?

Avez-vous remarqué que le communiqué ne parle pas de recrutement d’enseignants alors qu’il est question de multiplier les classes ? On compte encore sur les enseignants pour se dévouer. Le thème de la journée mondiale des enseignants 2020 “Enseignants leaders en temps de crise et façonneurs d’avenir” est donc bien adapté.
Cependant, une des mesures prises n’a pas été annoncée : on vient de redéployer le personnel des Ecoles Normales d’Instituteurs. On peut parier que, comme d’habitude, on va organiser une formation au rabais, quelques semaines avant la rentrée et on balancera ces nouveaux enseignants sur le terrain (avec quel nouveau statut ?). Après 2020-21, que vont-ils devenir ?
Une nouvelle catégorie de volontaires sous-payés ?

L’Université de Lomé, vient d’annoncer qu’elle se propose à la rentrée 2020-21 de continuer à mêler enseignement présentiel et enseignement à distance. Mais rien n’est prévu pour aider les étudiants à s’équiper en vue de l’enseignement à distance, à se payer la connexion indispensable pour les cours à distance. On n’a certes pas à vous informer des difficultés que beaucoup d’étudiants ont eu à suivre l’enseignement à distance durant l’arrêt des cours puisque ce sont vos enfants qui ont vécu cela.
Veut-on encourager un grand nombre d’entre eux à décrocher, et ne former véritablement que ceux, issus de milieux favorisés, qui resteront dans le circuit ?

Parents d’élèves, je vous adresse encore une fois un appel solennel : allez-vous laisser les autorités de ce pays vous associer à la dégradation du système scolaire dont elles sont seules responsables ? Allez-vous les laisser faire de l’école togolaise, l’école de la négligence des apprenants les plus pauvres, l’école de la médiocrité de la pédagogie, l’école de la précarité grandissante des enseignants, l’école de la démission de l’enseignement public, tout cela au profit d’une administration qui se remplit les poches avec les subventions des partenaires techniques et financiers ?

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