Yark_avril2013
 

Problématique de la démission au Togo

 
Si on n’est pas capable d’assumer ses responsabilités professionnelles, la porte est toute grandement ouverte pour assumer sa responsabilité d’incapacité. La sécurité et la protection civile sont des gages de la stabilité d’un pays. Mais si à la tête, se trouve quelqu’un qui ne peut faire son travail, la nation est en danger. Damehane Yark, actuel ministre de la Sécurité et de la Protection civile, appelé à rendre son tablier après les malheureux événements de Dapaong, se réfugie derrière une certaine loi de l’armée : « Je suis un soldat, et un soldat ne démissionne pas », a-t-il indiqué devant la presse. Du coup, il relance le débat de la problématique des démissions au Togo. Oui, le Togo, un pays où le mot « démission » ne fait pratiquement pas partie du vocabulaire des dirigeants. A côté, les gaffes et les dérives se poursuivent en toute impunité.
 
Soupçonné récemment d’être le cerveau d’un plan de déstabilisation du Togo, le Colonel Yark Damehane s’est vite remis de ses soupçons en faisant inculper tous azimuts les responsables de l’opposition dans cette affaire d’incendie juste pour démontrer son soutien et sa bonne foi à Faure Gnassingbé.
 
Les services de torture dans les renseignements de Gnassingbé Eyadéma, c’est Yark, l’attaque contre les journalistes en pleine manifestation, c’est lui. Les répressions aveugles de l’opposition depuis 2010, c’est encore l’homme. Les récentes rafles, suivies de tortures et d’arrestations arbitraires, c’est encore et toujours lui. Yark Damehane a quitté le commandement de la gendarmerie, mais y règne toujours, influençant les décisions de son successeur. Les mauvaises langues lui attribuent le fait d’avoir à l’époque, fui sa petite famille à l’état major de la gendarmerie, quand il était encore Directeur Général pour se tailler un nouveau domicile avant d’être nommé ministre. Des détails que nous ne prenons pas très au sérieux, étant donné qu’aucune loi n’oblige le Directeur général de la gendarmerie à rester scotché auprès de sa première famille dans les locaux du commandement, surtout lorsqu’on est musulman. Bref le Ministre, le Colonel Yark, maître du tristement célèbre Massina Yotroféi maintient sa place et ses avantages de patron de la gendarmerie. Le nouveau Directeur Général, lui aussi n’ayant pas beaucoup de temps à consacrer au commandement, cumulant les postes de Préfet de Wawa et directeur de la gendarmerie, ne contrôle pas la situation comme il faut. Ça boude depuis lors, lorsque l’homme est devenu ministre. Les missions des soldats togolais à l’étranger se font sur tri et sur népotisme, la durée pour certaines missions des Nations unies étant réduite à un an, mutilant les avantages des agents de la force publique qui n’ont pas un statut enviable, Yark Damehane n’est pas l’ange que son profil physique présente. C’est pourquoi, des voix se sont élevées pour réclamer sa démission face à toutes les dérives observées dans le fonctionnement de son commandement. Des voix s’élèvent, non seulement au sein de la population, mais aussi de ses administrés qui présentent l’homme comme obstacle à l’évolution des autres. Mais l’officier de Tône reste imperturbable et refuse toute démission. Au Togo, on ne connait décidément pas le mot « démission ». Autrement dit, ce mot n’existe pas dans les dictionnaires des autorités. Qu’on tue, qu’on vole, qu’on détourne des fonds publics, qu’on pille les ressources de l’Etat ou qu’on soit responsable direct ou indirect d’une situation assez grave, on n’a aucun souci à se faire. On est sûr de garder son poste ou d’être toujours là où on est. Voilà ce qui explique pourquoi sur la « Terre de nos aïeux », les dirigeants se permettent de se comporter un peu n’importe comment sans courir le risque de se voir virer de leur poste ou d’être contraint à la démission.
 
En fait, le phénomène ne date pas d’aujourd’hui. Il était déjà monnaie courante du temps de Gnassingbé père. Une période au cours de laquelle le Togo était dirigé d’une main de faire par le Général-président qui, peu instruit, était loin de savoir ce qui se tramait derrière lui. Les détournements de deniers publics étaient quotidiens. Mais ni les auteurs, ni les commanditaires n’étaient punis ne serait-ce que par une contrainte à la démission. On pouvait le comprendre. En ce moment où régnait l’une des dictatures les plus coriaces du continent, difficile de voir des ministres ou autres grandes personnalités démissionner pour avoir été responsables d’actes subversifs. Cela n’est pas l’apanage d’un régime dictatorial dans lequel tout est souvent permis.
 
Mais, malheureusement, le régime de Faure Gnassingbé vanté comme démocratique ne fait pas mieux. Il a fait de la complaisance la règle oubliant toute notion de rigueur dans la gouvernance. Les innocents sont poursuivis alors que les coupables d’actes répréhensibles sont épargnés, gardés à leur poste, et mieux encore, promus à d’autres postes plus prestigieux.
 
Yark, apologie de la complaisance !!
 
Un soldat ne démissionne-t-il jamais ? La question mérite d’être posée au vu des déclarations faites par le Colonel Damehame Yark au cours de la conférence de presse organisée à son cabinet le 23 avril 2013.
 
En dépit des graves bavures orchestrées par les forces de l’ordre suite aux événements de Dapaong, bavures ayant occasionné la mort de deux jeunes élèves, Anselme Sinandare Gouyano et Douti Sinalègue, Yark, qui est pourtant le premier responsable des personnes ayant commis la bavure, ne compte pas rendre sa démission et a tenu à le faire savoir à l’opinion. « « Je suis soldat et un soldat ne démissionne pas », a-t-il indiqué devant les hommes de médias.
 
Gros mensonge, ont crié certains Togolais à la fois surpris et indignés. Eh bien, ils ont raison, car, contrairement à ce qu’affirme le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, un soldat peut bel et bien démissionner si les conditions l’exigent. Peu importe son grade où le poste qu’il occupe. L’habitude courante du Colonel de fuir sa responsabilité en cas de gaffe et de promettre une enquête en vue de punir les autres est assez fallacieuse et facile. Dans une situation de mort d’hommes, c’est d’abord le ministre qui endosse la responsabilité. Il est éclaboussé autant que les auteurs, en raison de son manque de vision à éviter ce crime. Comment en est on arrivé à un crime sur enfant sans que le Ministre ne soit au courant ? Qui a déployé les forces de sécurité et qui les a armés? Autant de questions qui incriminent Yark Damehane qui devrait rendre le tablier, même s’il se présente comme un soldat. L’histoire nous apprend que beaucoup de soldats ont démissionné et le ciel n’est pas tombé.
 
Exemples clairs et précis
 
Le 29 juin 2008 à Carcassonne en France, au cours d’une démonstration publique du 3ème régiment de parachutistes d’infanterie de marine, qui simulait une prise d’otages, dix-sept personnes ont été touchées par accident par un tir en rafale d’un fusil chargé de balles réelles. Le sergent qui a tiré avait en effet gardé des balles réelles dans un chargeur de cartouches à blanc. Il n’y a eu aucun mort. Toutefois, 17 personnes ont été touchées, dont plusieurs enfants, certains grièvement. Cet accident a provoqué la démission du Général Bruno Cuche, chef d’Etat Major de l’armée de terre. Nicolas Sarkozy, alors président de la République, a critiqué violemment le Général d’armée ainsi que toute la chaîne de commandement, traités d’« amateurs ».
 
Bien avant lui et toujours en France, le Général Jean Lagarde, chef d’état-major de l’armée de terre dans les années 70, a quitté ses fonctions silencieusement le 30 septembre 1980. Neuf ans plus tard, il avait, dans les colonnes du journal « Le Monde », implicitement critiqué la loi de programmation militaire 1977-1982, et laissé entendre que les gouvernements avaient une “fâcheuse tendance à diminuer les crédits” de programmes dits secondaires, comme “les munitions ou les carburants”.
 
Le général Jean Delaunay, qui lui avait succédé le 1er octobre 1980, avait lui aussi anticipé son départ, le 9 mars 1983. Il s’était opposé au ministre socialiste de la Défense, Charles Hernu, pour la réduction de 10% des effectifs de l’armée de terre, et avait mis en doute l’efficacité de la dissuasion nucléaire.
 
Le général de corps d’armée Jean Salvan avait, le 27 août 1991, démissionné de son poste de commandant de la région militaire de l’Atlantique pour protester contre la réduction d’effectifs et de crédits.
 
Et quand ces hauts gradés ne démissionnent pas d’eux-mêmes, c’est parfois l’Etat qui les contraint à la démission en cas de fautes graves. Ce fut le cas de l’amiral Pierre Lacoste, chef de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE, services secrets), qui avait été limogé le 20 septembre 1985 à la suite de l’affaire du Rainbow Warrior, navire de Greenpeace coulé par les services secrets dans le port d’Auckland, provoquant la mort d’un photographe portugais.
 
En Belgique, le plus haut gradé de l’armée, le chef de la Défense, le Général Charles-Henri Delcour, a présenté sa lettre de démission au Premier ministre en mars 2012. Cette démission a été acceptée. Selon la presse, cette démission est due aux problèmes internes à la Défense.
 
En 2011, la Turquie a été secouée par la démission des plus hauts gradés de son armée. Le chef d’Etat-major ainsi que les commandants des armées de terre, air et mer ont jeté l‘éponge sur fond de profonds désaccords avec le gouvernement.
 
Aux Etats-Unis, en novembre 2012, le Général David Petraeus a démissionné. Et pourtant, il était un militaire respecté et un héros américain à la tête de la CIA, l’une des plus puissantes agences de renseignement du monde. La cause, sa supposée relation extraconjugale avec sa biographe.
 
La liste n’est pas exhaustive. Mais ces exemples suffisent largement pour montrer qu’un soldat peut démissionner, contrairement à ce que le ministre veut faire croire à l’opinion.
 
Les exemples susmentionnés ont montré qu’il y a eu démission dans certains cas alors qu’il n’y a même pas eu mort d’homme. Comment peut-on alors prétendre qu’un soldat ne démissionne pas alors que dans le cas du Togo, il y a eux deux enfants innocents froidement assassinés ?
 
Par ailleurs, si le Togo était un pays normal, le colonel Yark devait démissionner après les incendies des grands marchés de Lomé et de Kara. Car, en tant que ministre de la Sécurité et de la Protection civile, il a failli à sa mission en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires pour protéger ce lieu hautement stratégique dans le commerce intérieur et extérieur du pays.
 
A l’instar de Yark, nombreux sont les caciques et proches du régime qui devraient démissionner ou y être contraints du fait de leurs agissements. Parmi ceux-ci, Abass Bonfoh, actuel président de l’Assemblée nationale.
 
En 2010, dans une interview accordée à un journal de la place, l’actuel président de l’Assemblée nationale togolaise a tenu des propos négationnistes vis-à-vis des événements malheureux d’avril 2005. Pour lui, aucun mort n’a été enregistré en cette période pourtant considérée comme l’une des plus sombres de l’histoire du Togo.
 
« …Quand vous racontez qu’il y a eu des morts au Togo, où ont-ils été enterrées et qui s’en était plaint ? Ce ne sont que des histoires auxquelles je ne crois pas, parce que je n’ai rien vu de la sorte, pas un seul mort (…) qu’on nous montre les morts ou les fosses communes dans lesquelles ils sont enterrés. Je n’ai vu aucun cadavre… », a-t-il affirmé avec arrogance et suffisance. Et lorsqu’il lui a été rappelé qu’une commission d’enquête a été mis en place par le gouvernement pour faire la lumière sur ces événements, celui qui a été président par intérim du Togo du temps de ces événements a répondu ceci : « C’est d’ailleurs vous qui m’apprenez qu’une commission du gouvernement avait reconnu des centaines de morts. Cette affirmation vous engage ».
 
Dans un pays normal, Abass Bonfoh devait démissionner ou être contraint à la démission après de tels propos. Mais il ne l’a pas fait. Pire, aucune sanction n’a été prise contre lui.
 
Et que dire d’Ayélégan Seshie, la directrice de l’Etablissement public autonome de gestion des marchés (EPAM). Elle demeure à son poste en dépit des graves événements que le grand marché de Lomé a connu. Or, sa responsabilité n’est pas à exclure dans ces incendies. On serait sous d’autres cieux qu’elle serait relevée de ses fonctions au lendemain de cet événement et mise à la disposition de la justice.
 
Plusieurs scandales économiques, financiers, sexuels, sociaux ont frappé plusieurs autorités de ce pays. Mais curieusement, la démission n’a jamais été la formule pour soulager les victimes de tous ces actes. Mais dans le cas du Ministre de la sécurité et de la protection civile, le constat est clair. Il a failli à sa mission, doublement et triplement. Il aurait dû prendre des dispositions pour sécuriser le marché de Lomé après l’incendie du Marché de Kara, mais rien. Il pourrait faire éviter l’assassinat de deux jeunes innocents de Dapaong, mais il a laissé faire, sans scrupule et il vient proclamer qu’un soldat ne démissionne pas. La démission, loin d’être un acte de lâcheté est plutôt une responsabilité, comme celle assumée par beaucoup de personnalités dont la plus récente est Jérôme Cahuzac ministre français du budget qui s’est senti soulagé après sa démission.
 
Carlos KETOHOU et Rodolph TOMEGAH
 
L’Indépendant express N°253 du 07 mai 2013
 
 

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