Semaine sous haute tension à Lomé. Pour la première fois en sept ans, l’opposition civile et politique a réussi une mobilisation massive pour dénoncer le régime du président Faure Gnassingbé. Mais, selon notre Observateur qui filme régulièrement les rassemblements, c’est surtout le zèle des forces de l’ordre à mater les manifestants qui, ces derniers jours, est monté d’un cran. Il a d’ailleurs filmé une scène de tabassage particulièrement violente.
Le collectif « Sauvons le Togo », qui rassemble des partis politiques de l’opposition et des acteurs de la société civile, avait reçu l’autorisation d’organiser des rassemblements dans le centre de Lomé les 12, 13 et 14 juin. Au carrefour Deckon, centre névralgique de la capitale, des milliers de personnes ont répondu présentes mardi et mercredi. Un succès certain pour l’opposition qui n’a pourtant pas éclipsé les échauffourées à répétition au cours desquelles manifestants, casseurs et forces de l’ordre se sont violemment accrochés. Ces dernières ont fait usage de grenades lacrymogènes pour disperser les manifestants et l’opposition les accuse d’avoir tiré des balles en caoutchouc. Le secrétaire général de la Ligue togolaise des droits de l’Homme (LTDH), Célestin Agbodan, a été aussi pris pour cible par des policiers, une attaque condamnée par la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH).
Mercredi soir, après deux jours d’émeutes, le collectif « Sauvons le Togo » dénombrait 119 blessés et 78 arrestations. Le ministère de la Sécurité a, quant à lui, fait état de 22 policiers blessés et de 13 personnes interpellées. Jeudi, le calme était revenu dans la capitale mais le collectif a lancé un nouvel appel à sortir dans les rues la semaine prochaine.
Parmi sa longue liste de griefs, le collectif réclame le retrait d’une réforme du code électoral et du découpage électoral votée le 25 mai dernier. Aux yeux des opposants, cette réforme est le moyen pour Faure Gnassingbé et son camp – au pouvoir depuis 2005 – d’un « passage en force » lors des prochaines élections législatives et municipales d’octobre. Ils demandent aussi la mise en œuvre des recommandations de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH) relatives à la torture. Cette ONG avait publié en février un rapport accusant des agents de l’Agence nationale de renseignement (ANR) de torture sur 33 personnes lors du coup d’État raté de 2009. Mais, pour l’heure, les responsables n’ont pas encore répondu de leurs actes, comme le préconisait la CNDH.
Les policiers se sont jetés sur un passant qui ne manifestait pas. Ils l’ont tabassé à coups de pied et de matraque »
Frédéric Attipou est photojournaliste mais aussi reporter pour TogoVi (un collectif créé en 2010 par des militants, des journalistes professionnels et citoyens qui filment les rassemblements et publient leurs images sur YouTube). Le 2 mars dernier, il a été violemment frappé par des policiers après les avoir filmés en train de voler une mobylette (voir sa vidéo)
J’ai filmé cette scène à Deckon, à côté du commissariat du 1er arrondissement. Le jeune homme que l’on voit sur la vidéo ne faisait pas partie des manifestants. Les policiers se sont jetés sur lui alors qu’il passait devant eux. Il leur a pourtant crié qu’il devait emprunter ce chemin. Mais ils l’ont tabassé à coups de pied et de matraque. Moi, j’étais assis devant le commissariat et j’ai tout de suite sorti mon caméscope. Les forces de l’ordre l’ont traîné jusqu’à l’entrée du poste et puis j’ai arrêté de filmer parce que deux d’entre eux s’approchaient de moi en tirant des gaz lacrymogènes.
C’était une scène barbare. Depuis que je filme les manifestations à Lomé, je n’avais jamais vu autant de violence dans la répression. Des gendarmes circulent en voitures banalisées dans la ville depuis mardi, arrêtent et embarquent des groupes de jeunes au hasard. Ils ont été jusqu’à entrer dans les maisons à la recherche de manifestants. Un enfant de six mois est mort à cause de ces gaz tirés à l’intérieur d’un domicile [Raphaël Nyama Kpande-Adzare, le président de la Ligue togolaise des droits de l’Homme, joint par FRANCE 24, a rapporté ce même incident, NDLR]. Les forces de l’ordre ont poursuivi des manifestants jusque dans la cour de l’église Saint-Augustin d’Amoutivé [dans le quartier Deckon] où ils ont tiré leurs gaz. J’ai même vu un gendarme entrer chez un garagiste qui travaillait tranquillement et le frapper à la tête sans raison. Ces trois derniers jours à Lomé ont été pires que tout.
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