Par Sena Afeto
La sagesse arabe nous enseigne que « Si ce que tu as à dire n’est pas plus beau que le silence, alors tais-toi ».
Visiblement je ne suis pas le seul à rappeler l’adage au député de l’Ogou. Déjà le 28 août 2019, Le Correcteur lui conseillait qu’ « Il ferait mieux de ne rien dire, plutôt que de parler pour finalement ne rien dire ».
Les adresses personnalisées, critiques ou autres attaques ad hominem ne sont, par principe, pas dans mes habitudes. Seulement, quand la souffrance ambiante et endémique de tout un peuple est niée, lorsque l’intelligence de braves et honorables citoyens qui, au prix de leur vie, permettent vaille que vaille l’existence d’un semblant de nation, est méprisée avec un manque de respect effrontément ostentatoire, alors, avec responsabilité, on ferme le clapet à l’instigateur désobligeant, l’imposteur.
En moins de deux semaines, le sieur Séna Alipui, député de sont état, nous a instruits sur la profondeur de sa pensée politique et tout son fondement « vertueux » qu’il veut promouvoir sur la Terre de nos Aïeux et, au-delà, dans l’espace ouest-africain, voire sur tout le continent.
Le proverbe populaire nous enseigne : « un bien mal acquis ne profite jamais ». A travers ses deux sorties dans le laps de temps sus-indiqué, Séna Alipui confirme qu’il est réellement un « nommé » à l’hémicycle que le parti UNIR « avait invité à boire le lait de la vache », pour emprunter les mots de M. Emmanuel Sogadji de la Ligue des Consommateurs du Togo (LCT). Comment pourrait-il jouir autrement de ce présent indûment reçu ?
Nous avions connu Séna Alipui, jeune togolais de la diaspora, plus ou moins mieux inspiré et plus posé dans ses raisonnements. Nous l’avions d’ailleurs reçu et suivi à maintes reprises dans l’émission Fenêtre sur l’Afrique de Sylvain Amos, sur la radio Kanal K. Ensuite, il nous souvient comment ce dernier avait scénarisé son retour au pays par le biais, dira-t-on plutôt par le prétexte, d’affaires qu’il gérerait au Ghana à côté.
L’Union des Forces du Changement (UFC) semble devenir, depuis la scission avec les tenants actuels de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC), le réceptacle des « jeunes démissionnaires de la vie d’expatriés » en mal d’existence moins exigeante mais très lucrative. On ne peut rien attendre d’autre de cette voie qu’une vie dévoyée avec son corollaire de discours indignes et malheureux. Le leitmotiv, c’est « exister par tous les moyens, mêmes les plus immondes ; pourvu que le ventre soit plein ». C’est ce que mon frère David Kpelly appelle « L’art de se Goinfrer pour que la Terre entière se Noie ».
J’aimerais savoir ce que « l’honorable » Séna Alipui sait sur la liberté de la presse au Togo et, surtout, du chemin de croix parcouru par les professionnels de ladite profession depuis les années 90. Monsieur le député a-t-il une petite idée de comment vivote la presse privée au Togo ?
Eu égard aux conditions remplies de risques perpétuels dans lesquelles travaille la presse privée respectée au Togo, le minimum que tout élu du peuple, digne et légitime, au su d’une publication d’un journal telle que la sortie de L’Alternative de Ferdinand Ayité sur une affaire aussi gravissime que celle du détournement de plus de 500 milliards de nos francs par des individus en principe au service du « bien commun », aurait fait, c’est d’exprimer, en premier lieu, sa stupéfaction. Ensuite, il se saisirait du dossier, chercherait à en savoir plus auprès des sources de l’information. C’est ce que font les représentants nationaux respectables et qui aboutit à des enquêtes parlementaires.
Or, quand on est élu dans les conditions dans lesquelles Séna Alipui est entrée à l’Assemblée nationale en décembre 2018, sa réaction indigne et irresponsable, visiblement irréfléchie, à la découverte de la publication du journal L’Alternative ne peut être autre. Notre cher député a ainsi affiché qu’il n’est animé d’aucune redevabilité vis-à-vis du Peuple, principe que seul la légitimité d’une élection démocratique fait prospérer. « Je n’y crois pas parce que je vois rien de tangible, de documenté et de sérieux dans cette affaire. Je vois plutôt un règlement de comptes. Je ne sais pas… ». C’est en substance la réaction de M. Séna Alipui. Que fait tout homme sensé quand il ne sait pas ? Il ne dit rien. Si M. le député ne sait pas, à quel règlement de compte fait-il allusion ? Voltaire nous enseigne que « avant de savoir, on ne sait pas. » Alors on va à la source, on va à la quête de l’information, on l’analyse et on se prononce ensuite.
Comme si cela ne suffisait pas, Séna Alipui transpose sa pensée, sa doctrine politique à l’échelle sous-régionale. Le néo-penseur libéral de l’Afrique de l’Ouest, dans une publication intitulée « Les convulsions démocratiques dans l’espace CEDEAO », nous donne les clés pour une meilleure compréhension de son chemin et de sa posture politiques.
Dans cette sortie, notre député maison s’est donné pour mission de tirer les leçons des soixante années d’indépendance de nos Etats, de déterminer les causes des échecs, et de suggérer des pistes de solutions. Le ton est vite donné et sans ambages ; l’ennemi est aisément tout trouvé. Le diable, c’est la « gauche africaine » avec son approche révolutionnaire. Cette gauche qui, une fois aux affaires se serait montrée plus inefficace que les régimes libéraux. De quels régimes de gauche parle Séna Alipui ? Penserait-il au régime Gbagbo par exemple ? Les pouvoirs libéraux dont fait état le député sont-ce bien les systèmes dictatoriaux, illégitimes, autocrates et corrompus que veulent déloger la fameuse gauche à l’instar du régime fourvoyé de Ouattara? Une petite lecture vraiment basique de l’histoire contemporaine de l’Afrique ferait comprendre à tout apprenti politique que le moteur de la lutte généralisée des peuples du continent c’est de se débarrasser des dictateurs, des autocrates, des despotes, ces néo-colons, plutôt noirs, qui embrigadent les destinées de peuples entiers. Cette histoire, c’est celle de la révolte continue des Peuples contre ses oppresseurs principalement endogènes. Séna Alipui confond Peuple et gauche africaine. Les libéraux dont parle le député, c’est bien les régimes autocrates.
Dans ce discours, « l’honorable » dit avoir fondamentalement des doutes sur « l’approche simpliste » qui se traduirait par le fait que la question de « l’alternance et des multiples mandats des chefs d’Etat Africains soit présentée comme la cause première et principale de la mauvaise gouvernance et du mal vivre avec en toile de fonds l’index pointé vers Paris et l’Occident comme source de tous nos malheurs ». Et pour enfoncer davantage le clou, il déclare : « A mon avis, l’alternance est un des symptômes de la vitalité de nos démocraties et n’est pas une fin en soi. »
De quelle démocratie parle Séna Alipui ? Sur quelle planète vit notre député ? Depuis son atterrissage au bercail, vit-il dans un pays démocratique où la représentation du peuple dans laquelle il siège est quasi monocolore ? Le législateur tombé du ciel dans l’Ogou serait-il lui aussi un tenant, à l’instar d’une femme politique togolaise se réclamant de l’opposition, de la ligne politique selon laquelle la démocratie et le multipartisme seraient dissociables ?
Le coup de grâce du député : « Le principe sacro-saint, intangible mais qui hélas n’intéresse pas grand monde reste la légitimité des institutions et des dirigeants de ces institutions. Légitimité qui passe par l’organisation d’élections libres, transparentes et dont les résultats sont acceptées par toutes les parties ». Nous avons dit plus haut que le bien mal acquis ne profitait jamais. Quand on acquiert mal une partie du pouvoir, on en profite inéluctablement mal aussi. Quand on est un élu illégitime, plutôt « nommé », on ne peut qu’accompagner son bienfaiteur sans état d’âme et sans le moindre égard à la volonté du Peuple, son prétendu électeur.
Séna Alipui, pensez-vous que les élections législatives de décembre 2018, grâce auxquelles vous jouissez avec gourmandise des prérogatives du pouvoir législatif, étaient libres, transparentes et dont les résultats étaient acceptés de tous ? Même bancal et tordu, votre pouvoir législatif est incompétent. Sinon comment avez-vous pu voter une révision constitutionnelle – ayant fait au passage fi des aspirations profondes et légitimes de millions de vos concitoyens – en mai 2019 et la violer vous-mêmes déjà en février 2020 ? L’article 59 de la Constitution, même après réforme, rendait Faire Gnassingbé inéligible à ces élections ; d’ailleurs la Cour Constitutionnelle avait débouté l’ANC non pas au fond mais arguant que le demandeur n’avait pas qualité à activer ledit recours en inconstitutionnalité de la candidature de Faure Essozimna Gnassingbé. Qu’aviez-vous dit ou fait pour que prospère la loi fondamentale ? Votre formation n’avait-il pas, au contraire, avalisé et soutenu sournoisement le candidat d’UNIR ? Voyez-vous, même votre « copain » du moment de la révision constitutionnelle illégitime et ratée, M. Agbeyomé Kodjo, s’est, lui au moins, ravisé, en se faisant violence et en reconnaissant l’inconstitutionnalité de cette candidature Faure Gnassingbé. Ne dit-on pas que « Errare humanum est, perseverare diabolicum ».
Monsieur le député, êtes-vous convaincu de la transparence et de la liberté de l’élection présidentielle de février 2020 ? Ses résultats sont-ils acceptés de tous ? Quelles ont été vos contributions concrètes, en tant que député éclairé en activité et dont la formation politique soutient le pouvoir en place, dans l’avènement de la légitimité des instituions, en l’occurrence celle de la Présidence de la République, en 2020 ? Quand, sans vergogne ni amour propre, on est partie à un accord de gouvernement avec des ministres issus de ses rangs et, en même temps, on se réclame de l’opposition jusqu’à s’en arroger le « chef de file », c’est que la chose au monde la mieux partagée vous a fui. Alors on ne se la ramène pas ; on fait profil bas et on se vautre dans sa ventrocratie sans bruit.
Lorsque sa formation politique qui, logiquement, est le laboratoire d’expérimentation de son courant de pensée politique, est incapable de faire valoir le gain ou la plus-value pour le Peuple de sa « cogestion du pays avec le parti au pouvoir » dix ans après, et qu’un autre « néo-penseur » du son acabit et de sa mouvance politique promet dix nouvelles années pour offrir l’alternance aux Togolais, actant de fait une présidence de dix de plus de Faure Gnassingbé, on se fait petit et on mange avec discrétion ; on ne fait la leçon à personne.
Séna Alipui suggère de transférer une bonne partie de la souveraineté de nos Etats à la CEDEAO pour juguler nos problèmes de légitimité et de mal gouvernance. Quel aveu d’échec et d’incapacité dissimulé pour un cogérant du pouvoir ? Quand ailleurs les regroupements sous-régionaux arrivent à prospérer parce que promus par des Etats bien constitués et structurés, solides et responsables grâce à des institutions fortes, notre « néo-penseur » préconise de mettre la charrue avant le bœuf. Maintenant il faut attendre que la CEDEAO vienne nous installer des Cours constitutionnelles, des Commissions électorales, des Hautes autorités de l’audiovisuel, des Parlements, bref, des institutions nationales crédibles et responsables ? Le problème n’est nullement le fait d’une prétendue exacerbation de la souveraineté nationale. La gangrène, c’est la transformation de l’institution sous-régionale, pendant des décennies, en un « syndicat de chefs d’Etats et de gouvernements ». Le drame, c’est que la grande majorité de ces dirigeants considèrent leurs pays comme leurs patrimoines privés.
Enfin, Séna Alipui allègue que les régimes illégaux, illégitimes et dictatoriaux, dont celui qu’il soutient, pour se maintenir au pouvoir, « sont obligés de tolérer le régionalisme, la corruption et des arrangements qui ne profitent pas au plus grand nombre ». Leur grand manitou concède quant à lui une « minorité pilleuse ». Si les acteurs d’un système inique et illégitime se mettent à feindre eux-mêmes de nous exposer le diagnostic de leur forfaiture et/ou incompétence tout en continuant de végéter dans la même médiocrité sans volonté de trouver ni d’activer les remèdes qui pendent à leurs nez et barbes, comment appelle-t-on le procédé si ce n’est le cynisme ou la perversité ?
Monsieur le député tombé dans l’Ogou, quand on gouverne, c’est parce qu’on avait préalablement diagnostiqué l’état du pays et concocté des remèdes soumis au peuple dans son offre politique pendant la campagne électorale. Vous êtes aux affaires, vous n’avez plus rien à vendre. Dès lors, agissez s’il vous plaît.
Sena Afeto