Par Fulbert Sassou ATTISSO
Coordinateur général de la Dynamique Monseigneur KPODZRO (DMK)

Les grands rassemblements populaires qui ont cours au Mali, à l’appel de l’imam Mahmoud DICKO et des forces vives, pour dénoncer les dérives de la politique du Président Ibrahim Boubacar KEITA et exiger sa démission, résonnent au Togo comme un son de cloche. Les populations maliennes ont montré que la peur de la Covid 19 et les mesures que les États ont préconisées pour freiner sa propagation ne peuvent plus servir d’alibi à l’immobilisme des peuples face à la mal gouvernance et aux dérives des régimes politiques. Le son de cloche a résonné plus tôt en Occident, grand foyer de propagation de la pandémie du Coronavirus, qui a été secoué pourtant par de grandes manifestations provoquées par l’horrible assassinat de l’Africain-Américain George Floyd. Le moment n’est donc plus à se questionner sur la possibilité de la tenue d’une manifestation publique au Togo, mais plutôt sur qui va en prendre l’initiative, comment et avec quels acteurs ?

L’organisation de nouvelles manifestations publiques au Togo s’inscrit dans une problématique dont la résolution nécessite qu’on ait une compréhension du concept de « l’unité d’actions de l’opposition. » Ce concept tant usité dans la vie politique togolaise n’a jamais revêtu un contenu clair. Or, l’unité d’actions de l’opposition ou l’union de l’opposition comme aiment à dire ceux qui veulent faire simple, apparaît désormais comme une exigence populaire. Les populations exigent des acteurs de l’opposition qu’ils dépassent les cadres partisans pour aller vers des regroupements. Cette perception ne semble pas erronée quand on sait que la puissance de l’adversaire et les moyens d’Etat qu’il dispose ne peuvent être défiés que par des forces assemblées. Ce qui explique d’ailleurs que dans le contexte du Togo les coalitions politiques sont plus appréciées et soutenues que les initiatives partisanes et individuelles.

L’expérience des coalitions politiques au Togo a fait adopter la compréhension triviale que l’unité d’actions de l’opposition véhicule la même signification que l’union de l’opposition. Et pourtant, les deux concepts présentent des nuances. L’unité d’actions porte une flexibilité qui donne la liberté à chaque composante de consentir ou non à la décision collective, tandis que l’union de l’opposition est un ciment qui écrase le consentement de la minorité et/ou des petites structures. L’unité d’actions de l’opposition est plus exigeante dans sa construction, d’autant plus qu’elle requiert le consentement de la plus petite composante, sa ligne politique, son orientation stratégique et sa perception de l’action politique. Elle prend en compte les valeurs que défend chaque composante, sa philosophie ou son idéologie politique et sa stratégie face à l’action. En revanche, l’union de l’opposition entrelace une kyrielle de composantes, sans distinction aucune, et privilégie le point de vue des plus grandes. Dans la majorité des cas, les unions de l’opposition font naître des frustrations, souvent chez les petites composantes et s’achèvent dans la dislocation.

En France, la première tentative de l’union des composantes de la Gauche a tourné court. Le Congrès de Tours de 1920, qui devait créer l’Union de la Gauche l’a plutôt divisée pour donner naissance au Parti Communiste Français (PCF). Certains ténors de cette rencontre historique ont refusé de s’aligner sur la conception idéologique des Sociaux-démocrates. Tirant les leçons de cet échec, le Socialiste Léon Blum a rassemblé plus tard la Gauche dans une plateforme électorale dénommée le Front Populaire qui a gagné les élections législatives de 1936. Dans la même veine, François Mitterrand réalisera l’unité de la Gauche sur la base d’un programme commun de gouvernement pour gagner le scrutin présidentiel de 1981. La nuance entre ces différentes initiatives est que le Congrès de 1920 a voulu réaliser l’union de la Gauche, ce qui était impossible face aux différences, alors que dans les contextes de 1936 et de 1981 la Gauche a réalisé l’unité d’actions des ses composantes autour d’un programme commun de gouvernement.

Au Togo, aucune coalition de l’opposition n’a atteint l’objectif de déboulonner la dictature. Et pourtant, toutes les coalitions politiques ont obtenu le soutien massif des populations. Après quelque temps de lutte, elles fondent comme du beurre au soleil, minées par des querelles de lignes politiques ou des crises de valeurs. Les deux plus récentes coalitions, le Collectif Sauvons le Togo (CST) et la Coalition des 14 partis politiques de l’opposition (C14) illustrent bien, s’il en est besoin, ce que sont les regroupements de partis et/ou associations au Togo. Quand on prend le CST, ce regroupement qui a mobilisé tant de monde en 2012, avait pour talon d’Achille l’inexistence de critères d’adhésion mettant à son fronton les valeurs de ses membres, leur ligne politique et des règles claires de fonctionnement s’imposant à toutes les structures. L’absence de règles et de direction a fait de ce collectif un creuset dans lequel s’étaient mêlés des Hommes et des structures qui n’avaient pas de ressemblance. Le CST a été une union de partis politiques et d’organisations de la société civile au sein de laquelle les grandes structures ont réussi à tirer les marrons du feu. Du collectif de mobilisation des masses, il a muté vers une union électorale, et tout le sacrifice de ses membres a permis de faire élire les candidats de la plus grande structure et ses alliés à l’Assemblée nationale. Le collectif a finalement cédé sous le poids des frustrations de certains de ses membres qui ont claqué la porte.

La C14 a suscité beaucoup d’enthousiasme à sa naissance, malheureusement elle n’a pas réussi à innover. Elle a vu le jour à l’initiative du Parti National Panafricain (PNP), sans que n’aient été définis au préalable des critères d’adhésion reposant sur des valeurs, des règles de fonctionnement et surtout une orientation politique claire de la lutte. Cette coalition, qui a cassé le faux débat d’un Sud acquis à l’opposition et d’un Nord fidèle au RPT-UNIR, grâce au brassage culturel de ses cadres et manifestants, a fait une mobilisation sans précédent au Togo et dans la diaspora pour finir comme les autres. L’absence de ligne politique clairement définie, l’hésitation, l’indélicatesse, le manque de sincérité, les calculs politiques, les attaques ad hominem sont autant de maux qui ont désagrégé cette formidable entreprise politique.

Les prochaines périodes au Togo augurent sans nul doute de manifestations populaires de contestation du régime RPT-UNIR. Le quatrième mandat de Faure Gnassingbé a démarré sur la contestation de sa réélection à l’élection présidentielle du 22 février 2020. En dehors du RPT-UNIR, aucun parti politique de l’opposition ayant participé au scrutin présidentiel dernier n’a reconnu la victoire de Faure Gnassingbé. Les candidats qui ne peuvent pas prétendre qu’ils ont gagné, au vu de leurs résultats, réclament l’annulation de l’élection présidentielle. Il est évident que ceux qui portent le deuil de la mascarade électorale du 22 février 2020 ne pourraient se murer dans le silence jusqu’à la prochaine élection présidentielle. Aussi, les mécontentements que suscite la crise socioéconomique créée par la pandémie du coronavirus, en lien avec les mesures qui ont accentué la pauvreté et réduit le pouvoir d’achat, constituent le ferment de la volonté des populations de manifester.

Les expressions du mécontentement populaire ne peuvent plus être gérées par une coalition semblable à celles qui ont fait échouer la lutte sur les dernières décennies. Ce n’est pas acceptable ! Si on pose, d’une part, le principe qu’aucune structure politique ou associative ne peut faire face seule au régime RPT-UNIR, et d’autre part, que le peuple appelle à l’unité d’actions des composantes de l’opposition, alors il est impérieux de commencer à esquisser les bases de la prochaine coalition. A cet effet, la question de l’initiative se pose, de même que celles des valeurs, de la ligne et des règles d’adhésion et de fonctionnement. L’initiative de l’action unitaire de l’opposition peut venir de n’importe quelle composante de l’opposition ; seulement, elle doit se réaliser autour d’une structure politique ou associative qui a la faveur et le soutien des populations. Aujourd’hui, nul ne peut nier que la Dynamique Mgr KPODZRO (DMK) cristallise les enthousiasmes et porte l’espoir de la bataille qui sonnera le glas de la dictature au Togo. Peu importe les reproches qu’on pourrait lui faire, la DMK ne peut pas ne pas être au centre des prochaines entreprises de mobilisation. Cette vue des choses ne porte nullement l’arrière-pensée que les autres structures sont moins importantes que la DMK, loin s’en faut ! Au contraire, la DMK pense que chaque composante vaut son pesant d’or et qu’il faut donner à chacune d’elle toute son importance. Le rôle principal qui doit revenir à la DMK dans le nouveau contexte politique est de servir d’instrument de rassemblement et de mobilisation. Les autres structures politiques et associatives pourront ainsi participer avec elle à la réussite de cette mission.

La nouvelle coalition devra s’évertuer à réaliser l’unité d’actions de l’opposition et non l’union de l’opposition. A cet égard, il faut définir des critères d’adhésion reposant sur des valeurs : la sincérité, l’honnêteté, la vérité, l’esprit de cohésion et le respect mutuel. L’adhésion à ces valeurs passe par le serment des membres sur les livres saints et conformément à la tradition (us et coutumes) togolaise. La lutte pour l’indépendance au Togo enseigne que les dirigeants des partis nationalistes qui faisaient face aux colons français étaient liés par un serment. Pourquoi les acteurs politiques actuels veulent-ils faire croire que ces pratiques sont éculées et inadaptées à notre temps ? Pourquoi veut-on se cacher derrière les croyances religieuses monothéistes (l’islam et le christianisme), au sein desquelles certains dignitaires dénigrent la tradition cultuelle africaine et l’assimilent au satanisme, pour jouer les taupes, les corrompus et les saboteurs de la lutte du peuple? Pas de serment, pas de coalition politique !

La nouvelle coalition ne peut pas être un fourre-tout où viendront se fondre des appendices du parti RPT-UNIR et des opposants qui n’ont pas fait montre d’un engagement sincère et indéfectible pour l’alternance. Il sera nécessaire, pour ne pas ouvrir la coalition à qui veut être membre, de définir des critères d’adhésion et des règles de fonctionnement. Ces règles de fonctionnement devront être orientées vers la recherche de la cohésion, le respect mutuel, l’interdiction des attaques internes et la mise en place d’une gestion transparente des ressources du regroupement. Ces mécanismes qui visent à favoriser la coexistence pacifique des membres devront être portés par une ligne politique claire, préalablement définie par les acteurs de la coalition. La ligne politique découle d’une question toute simple :  » nous sommes ensemble pour aller où et par quel chemin ? « 

Les forces et les faiblesses de chaque composante doivent se compléter et s’harmoniser afin de constituer des atouts pour le regroupement. Il s’agit de tout mettre en œuvre pour sortir des sentiers battus et innover pour créer un bel instrument de mutualisation des forces, des moyens et des intelligences afin de parachever la lutte togolaise.

Le peuple togolais est singulier ; il ne sort pour manifester que quand il reçoit le mot d’ordre d’une structure politique ou associative. Il est davantage réceptif lorsque l’appel à manifester vient d’une coalition de structures. Ce peuple est fin prêt et attend le mot d’ordre d’une coalition de l’opposition. Vivement que la nouvelle coalition voit rapidement le jour pour crier haro sur les voleurs de l’élection présidentielle du 22 février 2020, les tueurs, les assassins, les pilleurs des deniers publics et autres adeptes des nombreuses injustices que vit le Togo.

LAISSER UNE RÉPONSE

Please enter your comment!
Please enter your name here