Avec La Manchette

« C’est dans la rue que nous devons aller chercher notre liberté en tant que peuple ». Sa détermination était totale et, dans une stupeur générale, il l’a démontré le 19 août 2017, bravant la peur pour réveiller le peuple de sa torpeur. Aujourd’hui, exilé dans un pays encore ignoré, à cause de son opinion politique, Tikpi Salifou Atchadam puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’a de canal de communication que les réseaux sociaux pour remobiliser le peuple en lutte pour l’alternance et le changement. Seulement, depuis le dernier scrutin présidentiel du 22 février 2020, l’homme, ce « Guerrier de Tchaoudjo » pour les intimes, se mure dans un mutisme assourdissant, laissant libre cours à toutes sortes de spéculations et de rumeurs qui enveloppent la société. Plus de messages audio du leader du PNP et donc plus de mobilisation de la masse presque désorientée. Qu’y a-t-il en réalité ? Pourquoi ce silence bruissant ? Interrogations et inquiétudes.

Cinquante ans d’immobilisme, cinquante ans de passage à vide, de misère, de calvaire, de colère et de faim, il y a plus de cinquante ans que le peuple togolais ploie sous le joug d’un régime impopulaire qui, de génération en génération, hypothèque l’avenir de toute une nation. Plusieurs fois, des voix s’élèvent et la nation togolaise se soulève, lasse des infamies qui font son quotidien, elle s’est définitivement engagée pour le combat de la liberté et de la démocratie. Mais jamais, elle n’est parvenue à son principal objectif qui est celui de l’alternance politique. Qu’à cela ne tienne, elle remet l’ouvrage sur le métier.

Le 19 août 2017, nouveau repère historique dans la chronologie du réveil démocratique du peuple togolais après le 05 octobre 1990, même s’il était dans l’ombre du combattant déchu Zarifou Ayéva, Tikpi Atchadam, le nouvel arrivant sur la scène politique togolaise avec un nouveau parti et une nouvelle philosophie de lutte, a littéralement bousculé les codes et révolutionné le combat pour l’alternance et le changement. Dans sa tentative de déraciner le régime sans foi ni loi et l’envoyer définitivement dans les poubelles de l’histoire, il a raté de si peu le coche, car il fut à deux doigts de réaliser l’exploit du siècle. Mais « il y a des signes qui ne trompent pas le dinosaure est atteint, sérieusement atteint » se complaît-il. Aujourd’hui, avec la sacralisation de la limitation du mandat présidentiel à deux, et la question des deux tours du scrutin, aussi résolue, partiellement satisfaits, certains leaders de l’opposition parlent même de « victoire d’étape » de la lutte. Oui, en effet, toute guerre se gagne bataille par bataille et, ce sont les petites batailles qui font les grandes victoires.

Mais, bien conscient que le boulot n’est pas encore fini, car l’objectif principal du peuple, celui de l’alternance politique n’étant pas acté, le leader du PNP, même exilé, continuait à se faire entendre depuis sa base arrière, il se donnait de la voix à travers des audio relayés sur les réseaux sociaux et par des médias locaux, des appels à la résistance souvent lancés pour maintenir la flamme de la détermination et de la lutte. « Notre destin dépend de nous et de nous seuls », disait-il à ses compatriotes, les renseignant que « même s’il faut rendre le pays ingouvernable, le peuple doit se tenir prêt pour des mots d’ordre à venir car, même toilettée, notre constitution nous en donne le droit. Nous sommes légalistes et le pouvoir le sait. La lutte ne fait que commencer. Restez donc debout pour toute éventualité de descente dans la rue ». Ainsi, tel Charles De Gaulle, grand officier et célèbre exilé français du 20e siècle (1940) qui déclara que « la France a perdu la bataille, mais pas la guerre », Tikpi Atchadam faisait tout dans un esprit de convergence d’actions, invitant chacun des partis politiques, la société civile, les chefs traditionnels, les religieux, les leaders d’opinion, la diaspora, les artistes de la chanson, etc. à être à la dimension de la lutte. « S’ils ont vidé le pays pour mieux le cerner et le dominer, nous devons créer un trop plein pour les chasser », soutenait-il.

En réalité, chacune de ses sorties médiatiques et dans ses interventions, le peuple en lutte trouvait sa raison de rester mobilisé jusqu’à la victoire finale, celle de l’alternance. « Le comportement du pouvoir nous enseigne qu’avec la cessation des manifestations, nous n’obtiendrons rien et il pourra mettre la croix sur l’alternance (…) personne ne nous reprochera notre attitude face à ce régime aussi têtu, au contraire nous pourrons compter sur les peuples et les États défendant les mêmes valeurs que celles que nous défendons aujourd’hui. Nous pourrions aussi compter sur la solidarité continentale. Au cours de la suspension (des manifestations, ndlr), nous avons appris la leçon, avec le sabre le plus tranchant rangé soigneusement dans son fourreau, le samouraï n’a aucune chance d’impressionner son ennemi ».

Oui, Tikpi Salifou Atchadam impressionne et a l’onction et l’estime du peuple togolais. Mais aujourd’hui, les choses prennent progressivement une autre tournure à cause du curieux silence de l’homme depuis la dernière élection présidentielle du 22 février 2020. Que s’est-il réellement passé ? Pourquoi ce silence bruissant de celui qui, il y a encore quelques mois, jurait que le régime est au soir de sa vie et appelant ses compatriotes à intensifier la mobilisation? Certes, en politique, le silence indispose aussi l’adversaire qui se fera des idées sur ce qui se planifie. Cependant, lorsque le silence du leader dresse des attributs d’éternité, cela deviendra particulièrement relaxant pour l’adversaire politique qui profitera de la période pour bien se forger et s’armer davantage. Mais, s’agissant des soutiens ou partisans du leader silencieux, la période sera très harassante et les éprouvera à coup sûr. Alors, de leurs multiples inquiétudes ou préoccupations, peuvent jaillir des moments de doute qui conduiront à la démobilisation, à la déstabilisation et à l’abandon.

Généralement, faut-il le rappeler, le manque de communication crée la désinformation et l’intoxication des masses dans toute initiative ayant pour vocation, la collégialité. Mais dans le cadre d’une lutte, qui plus est politique, l’absence de la communication engendre des suspicions et, toute lutte bâtit sur la méfiance entre les partenaires, est sans nul doute vouée à l’échec.

C’est dire qu’après un nième échec du peuple togolais à réaliser l’alternance par les urnes malgré l’implication personnelle d’un homme de Dieu, le nonagénaire évêque Phillipe Fanoko Kpodzro, il appartient donc aux forces de l’opposition démocratique d’explorer de nouvelles pistes pour la conquête du pouvoir d’État. A cet effet, le leader du PNP, Tikpi Salifou Atchadam qui disait à qui veut l’entendre que son parti ne s’inscrit pas dans une logique d’élections dans les conditions souvent décriées par le peuple togolais, doit pouvoir se dévoiler plus et dévoiler sa recette pour parvenir à l’alternance. « C’est dans la rue que nous devons aller chercher notre liberté en tant que peuple ». Une éventualité ! Mais devant la menace à peine voilée du régime togolais annonçant aussi se préparer à toutes les éventualités pour qu’il n’y ait un 19 août bis, que propose donc le « Guerrier de Tchaoudjo », même en exil ? « L’objectif (de l’opposition), était de rééditer une sorte de scénario insurrectionnel. Ce à quoi nous avons assisté ensuite n’était rien d’autre qu’une tentative de prise du pouvoir par la rue. Elle a échoué ». Ces mots du président Faure Gnassingbé expliquent mieux la militarisation du pays et les manifestations de l’opposition étouffées par l’armée. Que faut-il faire donc ?

En attendant de poursuivre la réflexion, vivement que Atchadam Tikpi sorte enfin de son grand silence pour éclairer la lanterne des uns et des autres sur son option de rue et bien évidemment sur sa stratégie de chasser « le dinosaure » qui, pour l’instant, savoure son 4e album, le 4e mandat.

Sylvestre Beni

Source : La Manchette

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