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Le 04 avril dernier, le collectif Sauvons le Togo, regroupement de partis politiques, d’organisations de défense des droits de l’homme (ODDH) et d’association de la société civile (ASC) a soufflé sa première bougie. Un anniversaire que le dirigeant d’un parti politique de l’opposition que je suis ne peut que saluer et féliciter. En effet, le CST présente dans l’histoire tourmentée de la vie sociopolitique togolaise deux caractéristiques majeures : La première est liée à sa composition, la seconde à son mode opératoire.
 
La composition du CST est inédite. Alors que dans les années 90, les rassemblements qui se voulaient citoyens regroupaient principalement les organisations syndicales et les partis politiques (COD 1) le CST possède une orientation ostensiblement citoyenne, l’instance dirigeante étant majoritairement composée de dirigeants d’ASC ou d’ODDH. Cette organisation tranche avec tout ce qui a toujours été essayé au Togo, car pour une fois, le leader de la résistance n’est pas un homme politique, mais un représentant de la société civile. Encore qu’à ce titre, le profil de Me Zeus Ajavon, le coordonnateur du CST, ne soit pas si immaculé, eu égard à un récent passé politique. Passons.
 
Le mode opératoire dès l’origine n’a jamais fait mystère de son caractère insurrectionnel. Je me souviens encore de ces discussions, débats médiatisés ou non avec les responsables du CST. Membre à l’époque de la coalition ARC-EN-CIEL qui prônait une alchimie judicieuse entre la manifestation de rue et le dialogue, notre position paraissait hérétique à nos amis qui nous répétaient sans relâche : Plus de vingt cinq dialogues n’ont rien donné, il faut chasser ce pouvoir par la mobilisation populaire.
 
Le CST aujourd’hui peut paraitre comme l’entité qui a le plus mobilisé les Togolais à Lomé depuis les années 90. La marche du 12 juin 2012, même si personne n’arrive à s’accorder sur les chiffres, a mobilisé plusieurs dizaines, voire des centaines de Togolais. L’année 2012 reste l’année du CST en termes de mobilisation populaire et d’occupation médiatique. Et il faut rendre à César ce qui lui appartient, le CST a gardé allumé la flamme de la résistance.
 
Mais vient aussi le moment où la lourde question de résultat, et non de bilan, finit pas se poser. Un résultat se mesure aux objectifs. Et il y en a deux, d’objectifs : ceux contenus dans la plateforme citoyenne (obtention des meilleures conditions d’organisation des élections, promotion des droits de l’homme et de la bonne gouvernance) et ceux ouvertement affichés, qui concernent le renversement des institutions par la mobilisation populaire.
 
Disons-le franchement, les premiers objectifs sont impossibles à obtenir à courte échéance. Autant les discussions sur les élections à venir peuvent rapidement aboutir à un consensus, autant les questions liées aux droits de l’homme et à la bonne gouvernance ne peuvent faire l’objet d’une résolution immédiate et pérenne, car résultant de dysfonctionnements sociologiques profonds, qui ne disposent pas de remèdes miracles mais plutôt de solutions courageuses à appliquer dans le temps. Aucun pays n’a résolu les problèmes de corruption ou de violation des droits de l’homme par un accord entre les élites. C’est une démarche systémique, où tous les acteurs jouent leur partition, avec cependant une constance majeure : les institutions de régulation de l’action gouvernementale doivent être indépendantes et fortes, ce qui n’est pas le cas du Togo.
 
L’objectif ouvertement affiché, concernant le départ de Faure Gnassingbé du pouvoir n’a pas été atteint. Une année après le lancement du CST, le Président de la République ne semble pas être affecté par l’activisme populeux du CST. S’il l’est, il ne le démontre pas, et son gouvernement ne montre aucun signe d’effritement. Comme nous l’avons longtemps soutenu, l’insurrection populaire ne saurait être le fait de groupes organisés et légalement constitués, car de tout temps, les révolutions restent une expression spontanée et impétueuse du peuple, qui dans une furie ravageuse, balaie le pouvoir en place. La marche du 12 juin illustre parfaitement cette situation. Le CST organise une marche qui regroupe selon les organisateurs environ 500 000 personnes qui réclament sous cape le départ de Faure Gnassingbé, et un millier de gendarmes et policiers dispersent la manifestation en une demi-heure. Si nous étions en situation de revolution, ce 12 juin, c’est toutes les villes du Togo qui auraient déversé leur populations dans les rues, et cette population aurait occupé l’espace public jusqu’au changement des institutions, gaz lacrymogène ou pas. La révolution française, les soulèvements tunisien et égyptien ont adopté ces modes opératoires, et dans chacun de ces pays, la répression a été féroce au départ. Bien entendu, dans aucun de ces pays ni les partis politiques, ni des organisations constitués, n’ont été à la pointe de la révolte.
 
Le but visé par la publication de ce billet, par l’homme politique que je suis, est de poser une problématique : quelles réflexions devons-nous porter sur l’avenir de notre lutte politique, eu égard aux enjeux et aux acteurs présents sur le terrain ? L’enjeu principal est clair pour tous : la victoire des partis de l’opposition aux prochaines élections législatives et locales, et à terme, l’alternance politique en 2015. Les acteurs sont connus, le CST, la coalition arc-en-ciel, les partis de l’opposition non-regroupés d’une part, et la coalition gouvernementale de l’autre.
 
Si, comme je l’ai démontré, nous mettons de coté l’insurrection populaire (désormais inopérante), l’instauration des droits de l’homme et de la bonne gouvernance, il nous reste des objectifs du CST l’obtention des meilleures conditions d’organisation des élections à venir. Objectif éminemment politique, pour lequel le CST devrait se résoudre, s’il veut lui donner une seule chance d’être réalisé, à se saborder.
 
Je m’explique. Le régime actuel qui gouverne le Togo est le plus hermétique à l’avancée démocratique que le pays ait jamais connu. Les bonnes intentions affichées ont toujours été trahies par une pratique du dilatoire bien rodé, que découvre aujourd’hui l’UFC avec une naïveté non-feinte. Là où déjà en 1991Eyadema recevait les leaders du FOD et du COD pour des échanges directs, Faure n’a jamais rencontré les leaders du CST, de la Coalition Arc-en-ciel, encore moins les syndicalistes du STT qui sont pourtant porteurs des revendications de son peuple. S’il y avait jamais existé cette volonté, le régime aurait pu aux lendemains de l’adoption de l’APG, appliquer les différentes réformes contenues dans l’accord, même en l’absence de l’UFC. Rien n’a été fait. Ensuite, l’accord RPT-UFC stipulait la mise en œuvre des réformes dans les six mois. Rien n’a été fait deux ans plus tard. Les différents CPDC (1, 2, Rénové) ont consacré de très grandes avancées sur les réformes à mettre en œuvre. Aucun de ces accords, pourtant obtenus en présence de l’UFC, d’autres partis de l’opposition et du RPT, ne semblent connaitre à ce jour un début de résolution. Par contre, le code et le découpage électoraux font l’objet d’une exécution unilatérale, pendant que les partis politiques qui ont pris le soin d’envoyer des propositions n’ont à aucun moment été consultés, ne serait-ce que par pure courtoisie. Au même moment, en matière d’élection, jamais l’achat des consciences n’a été utilisé à une si grande ampleur. Exploitant la misère du peuple, le pouvoir semble avoir compris que l’important n’est pas de gagner les élections, mais de le démontrer. Et quelle autre preuve de victoire avons-nous sur le terrain en dehors des PV remplis par les membres des bureaux de vote, qu’on manipule aujourd’hui à perfection ? Tous nos militants ayant siégé dans des bureaux de vote sont formels : tout se joue sur le PV. Et avec 65% de taux de pauvreté, les billets de banque font facilement perdre raison à plusieurs de nos compatriotes.
 
Il faut donc s’organiser pour faire échec à ces manœuvres éminemment politiques. Contre cette muraille de manipulation, le CST souffre de trois handicaps. Le premier est son éclectisme, le second son mode opératoire, et le troisième sa composition.
 
L’éclectisme : Le CSt aurait pu être comme la commune ou même le M23 sénégalais, un immense mouvement citoyen où toute personne se retrouvant dans ses idéaux intègre facilement, l’ensemble se régulant automatiquement par la loi de la majorité. A une rencontre avec les responsables du CST, un président d’un parti politique leur demanda les conditions d’entrée dans le mouvement. On lui fit la réponse suivante : Les conditions sont subjectives, c’est nous qui déterminons qui est qualifié pour nous rejoindre. Depuis 2012, trois partis dont je ne donnerai point les noms ont singulièrement manifesté leur désir de réintégrer ou d’intégrer le CST : en vain. Un mouvement citoyen exclusif contient en lui-même les germes de sa propre inefficience.
 
Le mode opératoire. Comme je l’ai démontré largement dans les précédents développements, ce mode a de tout temps porté sur la mobilisation populaire, or les expériences à l’intérieur du pays ont largement démontré que le collectif y rassemblait moins que les partis politiques. La tournée de l’ANC en 2011, et celle de la coalition Arc-en-ciel en 2012 à l’intérieur ont mobilisé plus de monde que le passage du CST dans les chefs lieux de région. Les résultats de l’enquête afrobaromètre sont à ce titre cinglants : Près de 75% de la population rurale, contre 40% de la population urbaine, disent ne pas connaître le CST. L’insurrection populaire ne peut se faire sans nos campagnes, où les partis sont pourtant bien implantés. Par contre, depuis l’échec –ayons le courage de le dire – de l’opération derniers tours de Jéricho, le CST parle aujourd’hui volontiers de dialogue, sans toutefois préciser si le débat concernera l’assainissement de la gouvernance dans son ensemble, ou l’organisation des élections.
 
La composition. Autant dans l’optique d’un mouvement citoyen impétueux et dévastateur l’option société civile du CST se justifiait, autant la direction politique que prennent aujourd’hui tous les débats disqualifie le Collectif. La rencontre initiée par l’ambassade américaine sous l’égide de Mgr Barrigah en est une illustration. Le CST n’a pas été invité car le sujet était uniquement relatif aux élections. La cacophonie orchestrée par la récente tournée du CST et de l’AEC en Europe en est une autre. En ayant de simples objectifs politiques, les deux regroupements auraient pu présenter une plateforme commune et avoir un seul porte-parole, gage d’efficacité. En divergeant sur les projets, l’opposition togolaise s’est presque ridiculisée par sa division devant les chancelleries occidentales, donnant à Bawara la chance inouïe d’assener l’estocade, en montrant aux capitales européennes comment cette dernière n’était même pas capable d’avoir un front commun (ce sont pourtant les mêmes personnes qui ont testé à succès le FOD et le COD en 1991). Cette composition a même fragilisé, et nous ne cessons de le répéter, l’action de la société civile et des ODDH au Togo. Qui ne regrette pas aujourd’hui que la LTDH soit devenue aphone sur les violations de droits de l’homme au Togo, simplement parce que son président, le valeureux Raphael Adjaré est plus identifié au CST qu’à sa propre ligue ? Au même titre, l’omniprésence du CST a ravi la vedette aux partis politiques présents en son sein. Que de samedis n’avons-nous pas assisté aux marches du FRAC, auxquelles s’empressent de rejoindre le CST, qui pourtant englobe le regroupement de partis politiques. La volonté manifeste de l’ANC de ne pas être présente dans l’instance dirigeante du CST a créé, sur le plan strictement politique, des ravages qui seront difficiles à rattraper pour ce parti si les élections venaient à tenir dans quelques mois. En effet, alors qu’en 2011, l’ANC avait fait une longue tournée nationale pour se faire connaître des populations et expliquer la scission avec l’UFC, toute l’année 2012, ce parti est resté englué dans son immersion dans le CST, qui pourtant clame partout que la conquête du pouvoir ne l’intéresse pas. Or le pouvoir, c’est justement le peuple, qui se trouve dans nos campagnes.
 
L’opposition a face à elle une muraille, épaisse, imposante. Les forces qui dominent cette muraille sont cyniques, roublardes et opiniâtres, à la limite de la perversité. Face à elles, la première solution est l’union des partis politiques. Nous ne sommes plus au stade de l’insurrection populaire (ça été essayé, ça n’a pas marché, peut être qu’un jour, le peuple togolais fera sa révolution, mais nul ne sait ni le jour, ni l’heure), nous sommes dorénavant à l’ère de la stratégie politique. Et il faut que tous les partis qui se réclament de l’opposition, réalisent leur synergie, se rallient pour attaquer la muraille. Cette synergie (le mot est à la mode) devrait avoir une vision clairement définie, contrairement aux montages de bric et de broc hâtivement organisés à la veille des élections précédentes. Pour se faire, le CST devrait se saborder. C’est le prix à payer, non pour la victoire, mais pour le début de notre offensive. Ne nous trompons pas, l’union de l’opposition à elle seule ne suffira pas à abattre la muraille. Mais elle marquera le début du siège : le début du commencement … de la fin pour le régime cinquantenaire.
 
Gerry TAAMA
 
Président National du NET
 
 

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