Dossier/L’inquiétante ascension d’un officier des FAT:
Mohammed Atcha Titikpina, l’homme de tous les coups tordus de la République
Les faits et gestes d’un général redoutable et encombrant
Très connu déjà au début des années 90 comme étant l’un de ceux qui semaient la terreur dans le but de « sauver » le régime de feu Gnassingbé Eyadema des tumultes démocratiques, le Général de brigade, Mohammed Atcha Titikpina, est béni avec l’arrivée de Faure Gnassingbé au pouvoir. Aide de camp de Faure Gnassingbé, ministre de la Sécurité et de la Protection civile et chef d’Etat-major général des FAT, le redoutable militaire de Tchamba reste l’un des hommes forts du pouvoir en place. Il est dans tous les coups fourrés de la République au point de constituer une menace ou un problème pour Faure Gnassingbé lui-même. Faits et gestes de celui qui est qualifié par ses détracteurs de « mauvais génie des FAT ».
Ministre avec Faure Gnassingbé
Patron de la garde présidentielle lors de la succession monarchique, le général Mohammed Atcha Titikpina n’était pas étranger aux répressions qui s’étaient abattues sur les militants de l’opposition manifestant contre le hold-up électoral. Comme tous les autres officiers supérieurs des FAT qui s’étaient prêtés à la honteuse allégeance, il était prêt à tout pour que Faure Gnassingbé succède à son père. Il y a même un insolite très répandu selon lequel un représentant de l’UFC à la Commission électorale nationale indépendante (CENI) avait à l’époque pris la poudre d’escampette, dès qu’il avait aperçu le redoutable militaire à bord d’un char s’approcher du siège de l’institution ayant en charge l’organisation des élections. Et après la parenthèse de sang qui a fait entre 400 et 500 morts selon les Nations Unies, Faure Gnassingbé fit du natif de Tchamba son aide camp. Première consécration.
Le 20 août 2006, les parties prenantes au palabre togolo-togolais ont signé l’Accord politique global qui prévoyait la formation d’un gouvernement d’union censé rasséréner le climat politique. Le leader du CAR Me Yawovi Agboyibo est nommé Premier ministre et chargé de former ledit gouvernement dont l’une des missions est l’organisation des élections législatives. Mais l’avocat a surpris tout son monde en incorporant dans son équipe le colonel Atcha Titikpina qui remplace au ministère de la Sécurité et de la Protection civile, le Général Laokpessi. Une nomination condamnée à l’époque par beaucoup de personnes qui n’ont pas hésité à rappeler le rôle joué par ce militaire dans les massacres de 2005. Mais pour sa part, Titikpina était heureux de cette consécration et a trouvé qu’être ministre est mieux que tout. « C’est bon d’être ministre. Pendant longtemps, on a joué au bon militaire sans savoir qu’il y avait autant de délices dans les ministères », aurait-il confié un jour à certains de ses proches.
En réalité, l’ancien aide de camp de Faure Gnassingbé a fait de bonnes affaires à la tête du ministère de la Sécurité. Il s’est occupé de la « sécurisation de la sécurité » pendant les législatives d’octobre de 2007 et la présidentielle de 2010. Rappelons que beaucoup de fonds ont été injectés dans la sécurisation des élections par les partenaires du Togo. Pendant plusieurs années, il a géré aussi l’Opération Orsec quand « le ciel est en dérangement » et inonde la capitale et certaines localités du pays. Sans oublier d’autres projets comme l’Opération Araignée, les Opérations Entonnoir I et Entonnoir II, qui ont tous pris de l’eau aujourd’hui. Il est aussi le ministre non officiel des affaires musulmanes, gérant personnellement tout ce qui est lié au pèlerinage à La Mecque et la construction du siège de la Commission Hadj, et réduisant ainsi l’Union musulmane à la portion congrue.
Si ces différents projets lui ont permis de réaliser de bonnes affaires, il est souvent accusé de saisies de fonds et d’expulsions illégales des étrangers, surtout les Libanais. Par exemple, la Chambre administrative de la Cour suprême a rétabli en juillet dernier le Libanais Mehanna Houssam dans ses droits en prononçant l’illégalité de l’expulsion du commerçant libanais et le retrait de son titre de séjour par l’ancien ministre de la Sécurité Atcha Titikpina. Cette expulsion faite en 2009 est intervenue à la suite de la saisie par les hommes du colonel Massina Yotroféï de 1. 275 000 dollars appartenant à un groupe de Libanais qui avaient pourtant une autorisation de sortie de fonds.
Tous aux ordres du ministre
Ministre de la Sécurité et de la Protection civile d’octobre 2006 à décembre 2010, le général Atcha Titikpina a mis tout le monde au pas. Personne n’ose critiquer ses pratiques. Même le chef de l’Etat. Quand le ministre se présentait au « fils de la nation » et lui soumettait l’un de ses projets, ce dernier n’osait pas le contrarier et le dirigeait tout bonnement vers le ministre de l’Economie et des Finances, Adji Otèth Ayassor, l’homme à la rigueur sélective, pour le déblocage des fonds nécessaires à la réalisation du projet. Mais le temps que le militaire ministre arrive chez son collègue des Finances, on joignait au téléphone Ayassor pour lui dire de ne pas accéder à la demande de Titikpina. On l’avait écrit en son temps : Ayassor, lui, arrivait à refuser à Titikpina ce que ne pouvait pas directement faire l’ancien étudiant de l’Université George Washington.
De plus, le ministre de la Sécurité n’avait que faire des députés à l’Assemblée nationale et les narguait toutes les fois qu’il était interpellé. Pour lui, le fait de venir répondre aux préoccupations des députés et par ricochet de tout le peuple togolais, est une « gymnastique ». N’a-t-il pas une fois jeté dans la figure des élus du peuple que « c’est la deuxième que vous m’invitez pour ces gymnastiques » ? En revanche, aucun député n’a eu le courage de le rappeler à l’ordre. Dans ces conditions, un gendarme peut porter la main sur un député sans qu’il ne soit inquiété. Et ce mépris pour les institutions républicaines a été étalé à la face du monde lors de la comparution du général en tant que témoin dans l’affaire d’atteinte à la sûreté de l’Etat.
Au cours de son passage au ministère de la Sécurité, Atcha Titikpina a eu maille à partir avec nombre de ses collaborateurs. Le directeur de l’ANSAT (Agence nationale pour la sécurité alimentaire au Togo), le colonel Ouro-Koura Agadazi, était la première victime de la « rigueur » version Titikpina. Nommé directeur général de la Police, celui-ci n’a pas fait long feu à son nouveau poste et a été remplacé à la suite d’une brouille avec son ministre. Même son successeur le colonel Mompion Mateindou n’a pas connu un meilleur sort. Après quelques mois d’embellie, le nouveau DG de la Police a été mis aux arrêts de rigueur par son ministre. D’autres officiers de la Police en ont aussi eu pour leurs grades. De retour d’un stage auquel il a légalement participé, le Commissaire divisionnaire Assih Abalo a été appréhendé à l’aéroport et sévèrement puni par le tout-puissant ministre de la Sécurité.
De même, les relations avaient été tendues entre le ministre et le commandant de la Gendarmerie, le colonel Yark Damehane. Par exemple, dans la sécurisation des manifestations, il y avait des éléments des forces de sécurité qui recevaient directement des ordres du ministre et agissaient en son nom. Après la présidentielle de 2010, des individus se réclamant du ministre avaient été dénichés lors d’une manifestation du FRAC au siège de l’UFC. Ce qui pose bien évidemment des problèmes de coordination sur les lieux de la manifestation.
L’histoire retiendra aussi que c’est sous Titikpina que la préfecture de Tchamba a vécu les actes de violence les plus inouïs de son histoire. Le 30 décembre 2008, une bande de jeunes se réclamant du ministre et munis de coupe-coupe, gourdins, machettes et autres armes blanches se sont introduits nuitamment chez de paisibles citoyens et ont semé la panique au sein de population de Tchamba, pour un litige familial. Dans cette affaire qui a fait plusieurs blessés et contraint certains à l’exil, c’est toujours le ministre qui a eu le dernier mot en obtenant le limogeage de son demi-frère chef canton de Tchamba, Titikpina Oudjabou, et du préfet d’alors. Le chef de l’Etat a dû se plier aux desiderata de son ministre. Depuis lors, le général Atcha Titikpina est devenu « président de la république de Tchamba » où tout le monde mange et respire selon sa volonté.
Titikpina et l’affaire de coup d’Etat
Ministre de la Sécurité à l’époque, le général Titikpina était, selon les câbles diplomatiques de l’ambassade des Etats-Unis au Togo, bien au fait de la fable du coup d’Etat pour avoir rencontré dans le week-end de Pâques 2009 une délégation de l’ambassade américaine. Mais il s’est révélé lors du procès qu’il s’est agi d’une vengeance d’Electre enclenchée par Faure Gnassingbé avec le concours de certaines personnes comme Titikpina et Massina, ce dernier étant pourtant très proche de Kpatcha Gnassingbé. Et ce n’est pas pour le roi de Prusse que le nom de ces deux personnalités militaires est régulièrement cité lors du grand déballage.
Selon les informations en notre possession, l’ex-ministre de la Sécurité se serait brouillé avec Kpatcha Gnassingbé, alors ministre de la Défense, lorsque ce dernier aurait décidé en 2007 de suspendre une partie du double salaire perçu par le redoutable militaire. Une humiliation que n’aurait pas digérée le natif de Tchamba, et l’histoire du coup d’Etat vient à point nommé. Au cours du procès, Kpatcha Gnassingbé a déclaré que Titikpina a monté un plan contre lui à travers un certain Bawa Zack, fonctionnaire de l’Ambassade des Etats-Unis à Lomé, et que c’est ce dernier qui l’a informé d’un coup d’Etat en préparation et pour lequel il avait tenu informé Faure Gnassingbé qui lui aurait révélé en avoir eu vent aussi. L’ancien patron de la SAZOF a même ajouté que lorsqu’il avait été amené à l’ANR, Titikpina y était arrivé et avait demandé qu’on lui mette les menottes, les mains dans le dos et de serrer ces menottes. « J’attends le feu vert du chef de l’Etat pour t’exécuter et il n’y a que Kadanga pour échouer dans cette attaque », aurait déclaré Titikpina à Kpatcha. En revanche, le général Titikpina a entretenu le flou à la barre, mais ses propos sentent le parfum de la vendetta : « M. Kpatcha Gnassingbé se croit le plus malin de ce monde. Il pense se servir de cette stratégie afin d’atteindre son objectif qui est celui d’opérer un coup d’Etat. Il a dans sa stratégie, utilisé des personnes à qui il faisait parvenir le même message. (…) Dans les affaires de coup d’Etat, quand vous avez une zone d’ombre, vous le chef, vous êtes obligé de descendre dans l’arène pour chercher des explications. C’est ainsi qu’effectivement, je m’étais rendu à l’ANR pour avoir certaines informations que je voulais de M. Kpatcha Gnassingbé. J’ai demandé qu’on le fasse venir. Ils me l’ont fait venir menotté. Quand on me l’a fait venir menotté, j’ai demandé à celui qui me l’a amené de lui enlever les menottes, histoire de le mettre en confiance. J’avais demandé à l’élément de nous laisser seuls parce que j’avais besoin d’en savoir davantage. Et quand l’élément est sorti, M. Kpatcha s’est jeté à mes pieds, il m’a attrapé le pied et il me demandait pardon. Il me disait de tout faire pour intercéder auprès de son frère et lui demander pardon. J’ai été étonné que celui qui a passé tout son temps à monter des histoires contre ma personne, me dise d’aller intercéder en sa faveur auprès de son frère, qu’il voudrait que cette affaire se règle dans le cadre familial. J’ai répondu à M. Kpatcha Gnassingbé qu’il était déjà trop tard »
D’autres détenus comme le général Assani Tidjani, le commandant Abi Atti et l’adjudant-chef Seidou Ougbakiti, tous deux natifs de Tchamba, ont également mis en cause l’actuel chef d’Etat-major général des FAT et martelé à la barre que cette affaire de coup d’Etat est une machination. « Un frère comme ça, qu’est-ce qu’on peut faire avec lui ? Qu’est-ce qu’il faut lui dire alors même qu’il n’est pas connu du village (Tchamba)? Quand je devais aller au village, je lui demandais qu’il vienne avec moi au village, mais il n’aimait pas y aller. Jusqu’à présent, ATTI n’a pas construit un seul poulailler au village », a déclaré le général à propos du commandant Atti.
En outre, l’ancien ministre de la Sécurité est bien au courant ou a commandité des actes de torture qui ont cours à l’ANR. Au cours du procès par exemple, Kassiki Esso a dit avoir été enlevé en Côte d’Ivoire et torturé dans les locaux de l’ANR sur ordre d’Atcha Titikpina. Des prévenus ont également rapporté que « le Général Titikpina a amené des gens de Tchamba pour être torturés à l’ANR ». « Un jour, le colonel Titikpina est venu. Il nous prend et nous fait faire des tours avec lui dans leurs installations. Arrivé quelque part, il s’arrête et nous indexe, c’était un lundi ; « Toi tu connais ici », « non », « toi tu connais ici », « non », « et toi », « non », il a interrogé tout le monde. Nous tous, on a répondu non. Il continue : « ici c’est moi, ici c’est moi, ici c’est moi. Je vais vous dire une chose, si vous dites la vérité je saurai quoi vous faire, si vous mentez, ici on vous passe au courant ». Et il nous a montré avec explication les accessoires pour passer le courant aux gens. Il nous a dit, montrant ses membres : « on vous passe ici, là-bas, une chaîne sur la poitrine, une croix par là. Si tu as des vérités que tu caches, tu vas pleurer, tu vas chier des déchets frais ici, personne pour te sauver. Et dans l’appareil on regarde tous tes mouvements ». Quand il parlait ainsi, trois capitaines et d’autres petits exécuteurs étaient débout et prenaient notes. J’ai levé la main avant qu’il ne parte, j’ai dit ceci : « Il n’y a pas deux morts, il y a une seule mort tout comme il n’y a pas deux tombes, moi je suis fier de passer au courant ». Pour quitter sa place, il a conclu : « jusqu’à présent les gens ne savent pas comment je suis ». Sur ces termes il s’en est allé », raconte une victime dans un témoignage poignant publié par « Le Rendez-vous » N°167 du 12 septembre 2011.
Titikpina, un général encombrant ?
C’est ce que pensent beaucoup de personnes dans l’entourage immédiat de Faure Gnassingbé. Le fait décrit ci-haut et concernant le financement des projets de l’ancien ministre en est une illustration. « Titikpina a commis beaucoup de gaffes au ministère de la Sécurité mais aucune décision courageuse n’a été prise à son encontre. Même pour le dégager du ministère de la Sécurité où il a eu des démêlés avec la plupart de ses collaborateurs, le chef de l’Etat a dû d’abord le faire monter au grade du général de brigade et le nommer ensuite chef d’Etat-major général des FAT. Un nouveau poste qu’il a accumulé pendant longtemps avec celui du ministre de la Sécurité. Tout a été fait pour ne pas mettre en colère ce militaire », explique un baron.
Selon les informations, bien que le général fasse montre d’un zèle intempestif afin d’être dans les bonnes grâces de Faure Gnassingbé, celui-ci reste méfiant à son égard. Une indiscrétion révèle d’ailleurs qu’on aurait vidé le stock d’armes avant que l’ancien ministre de la Sécurité ne prenne fonction à l’Etat-major. Une mesure préventive ? De toutes les façons, beaucoup d’officiers des FAT étaient accusés, lors du procès, de préparer des coups d’Etat parallèles.
Bien plus, en l’envoyant à la tête de l’Etat-major des FAT, Faure Gnassingbé croyait lui trouver une porte de sortie. « En faisant de Titikpina chef d’Etat-major général des FAT, le chef de l’Etat lui a, sans le savoir, donné beaucoup de pouvoir et il en abuse déjà. Il est devenu encombrant pour tout le monde », affirme une source. Ainsi, il ne serait pas étranger à la scabreuse sortie des FAT dans l’affaire de l’attaque de la Primature abordée lors des audiences de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR). Ce qui fait dire à un enseignant à l’université que l’arrivée à la tête de l’Etat-major des FAT du général Mohammed Atcha Titikpina, un homme de la vieille école et des méthodes fortes, est destinée à saper le processus de réconciliation et à maintenir la crainte que les populations civiles ont envers la grande muette. « La première sortie des FAT n’est pas un acte gratuit. Elle avait un objectif dissuasif. C’est pour freiner les Togolais dans leur ardeur de venir témoigner lors des audiences publiques. Surtout les événements douloureux de 2005 sont encore vivaces dans les esprits et la volonté de les escamoter et d’étouffer la manifestation de la vérité, est grande. C’est donc une réconciliation biaisée et je suis étonné de voir les fameux membres de la société civile s’agiter autant autour de ce truc. Sûrement que l’argent que les partenaires injectent dans cette affaire, aiguise les appétits », commente-t-il.
Comme on le voit, le général Mohammed Atcha Titikpina est devenu un problème que Faure Gnassingbé devra gérer quotidiennement. Mais la question que l’on se pose est de savoir si l’ancien ministre peut garder encore pour longtemps cette confiance du chef de l’Etat. Connaîtra-t-il un jour le même sort que celui de Djoua et autre Biténéwé ?
R. Kédjagni
source : liberté hebdo togo