Contour Global, le plus grand scandale financier sous Faure Gnassingbé.
Un contrat juteux pour les expatriés et les pontes du régime, un gouffre financier pour la CEET

 
Enquête réalisée par R. Kédjagni
 
La centrale de Contour Global dont l’inauguration a été effectuée en octobre 2010, permet au Togo de régler ses problèmes en énergie électrique. Depuis sa mise en exploitation, la Compagnie énergie électrique du Togo (CEET) qui s’occupe de l’achat et vente de l’énergie produite par Contour Global, verse chaque mois plus d’un milliard de FCFA à la société américaine. Une charge qui fait les affaires de Contour Global et des Togolais qui sont cachés derrière et qui risque de faire couler bientôt la CEET.
Enquête sur le plus grand scandale financier sous Faure Gnassingbé, gestionnaire formé aux universités Paris-Dauphine et de George Washington aux Etats-Unis.

 
Contour Global et ses mystères
 
C’est en octobre 2006 que Contour Global, une société américaine spécialisée dans le financement et l’exploitation d’équipements énergétiques, a signé un accord de concession d’une durée de 25 ans avec le gouvernement du Togo pour la construction d’une centrale électrique de 100 MW. Est-ce au nom de ces négociations que l’Etat togolais avait rapidement mis le pied dans le contrat avec le groupe Elyo-Hydro Québec, propriétaire de Togo Electricité ? La question reste posée. En mai 2007, Contour Global a signé un accord d’achat d’énergie à long terme pour vendre toute la production de la centrale à la CEET. En juillet 2008, la direction de Contour Global a reçu l’accord du conseil d’administration d’Overseas Private Investment Corporation (OPIC) – une agence gouvernementale qui aide les entreprises américaines à investir à l’étranger – pour le financement et l’assurance-risque politique de la construction de la centrale électrique. Le montant total de la réalisation de ce projet est de 209 millions de dollars US, soit environ 100 milliards FCFA que le Togo devra payer en 25 ans avec les intérêts.
 
Au départ, la centrale était supposée utiliser le gaz naturel du projet Gazoduc d’Afrique de l’Ouest construit par un consortium dirigé par Chevron Corporation pour assurer un approvisionnement stable et moins coûteux de combustible au Togo, au Bénin et au Ghana en provenance du Nigéria. C’est la raison pour laquelle la Communauté Electrique du Bénin (CEB), commune au Bénin et au Togo et qui est en charge de l’approvisionnement des deux pays en énergie, était partie prenante au projet. Selon la convention de 2006, c’était à la CEB que Contour Global devait vendre sa production. Mais sans le gaz en provenance du Nigeria, la construction de la centrale électrique paraissait très coûteuse pour les deux pays.
 
Selon les informations en notre possession, l’ancien ministre des Mines et de l’Energie, le Prof Léopold Gnininvi, était aussi conscient du danger que courrait le Togo avec une centrale thermique alimentée par du fuel lourd et aurait suggéré qu’on s’assure de l’arrivée du gaz naturel avant de s’engager dans ce projet. Mais il n’a pas été écouté. En outre, ses demandes de revoir les clauses financières qui sont largement favorables au Contour Global, étaient restées sans suite. Et naturellement, après les législatives d’octobre 2007, il a été remplacé à ce poste par Noupokou Dammipi, l’homme du sérail, qui était DG de la CEET et DG de l’Autorité de réglementation des secteurs de l’énergie (ARSE), une charge qu’il cumule jusqu’aujourd’hui avec celle de ministre.
 
Ce Moba de l’Oti, très proche de Faure Gnassingbé, sait comment fonctionne le système et va accélérer les discussions avec Contour Global qui a commencé effectivement les travaux en 2009. La centrale est construite en un temps record et les six moteurs Wärtsilä 50-DF peuvent utiliser du gaz naturel, du diesel et des mazouts lourds comme stock d’alimentation. « Le 12 janvier 2009, en ces mêmes lieux, nous nous étions rassemblés pour la pose de la première pierre d’une centrale de 100 MW à construire par la société Contour Global. C’était pour certains de l’utopie, pour d’autres une illusion et pour les plus sceptiques un rêve. Pour les bâtisseurs au premier rang desquels Son Excellence Monsieur le Président de la république togolaise, c’était le début d’une réelle entreprise… », se réjouissait le ministre Dammipi à l’inauguration de la centrale le 15 octobre 2010. En revanche, il convient de dire aux Togolais que ce n’est pas aujourd’hui que le gaz du projet Gazoduc alimentera la centrale de Contour Global et qu’ils continueront à payer cher pour le courant électrique. Car, il ressort de nos recoupements que les discussions entre le Togo et les principaux bailleurs de Gazoduc auraient échoué bien que les installations soient prêtes. « La construction du gazoduc offshore est achevée, la mise en service des turbines au Ghana et la production de gaz sont opérationnelles depuis le mois d’avril (2009, ndlr) à Tema. Selon nos projections, le gaz pourrait être disponible au Togo au cours du premier trimestre de l’année 2010 », avait déclaré le Directeur Général du Gazoduc de l’Afrique de l’Ouest, Jack Derickson au cours d’une réunion à Lomé le 27 mai 2009. Ce qui signifie qu’en principe, la mise en service de la centrale de Contour Global aurait dû être postérieure à l’arrivée du gaz naturel au Togo.
 
En plus, avec l’arrivée de M. Dammipi au ministère des Mines et Energie, on crée Contour Global Togo S.A. une société de droit togolais qui regroupe des actionnaires américains, français et togolais. Des indiscrétions, les gros pontes du régime auraient leurs parts dans les actions de Contour Global Togo S.A. « C’est ceux qui sont aux affaires et qui nous demandent de serrer la ceinture, qui sont derrière cette centrale électrique. Ils font leurs affaires sur le dos du peuple. La société leur appartient. C’est la technique qui est américaine », affirme un syndicaliste.
 
Pour une autre source, c’est le ministre Dammipi qui gère le dossier Contour Global au profit de Faure Gnassingbé qui a fait tout pour le maintenir dans le gouvernement contre l’avis du Premier ministre Gilbert Houngbo. Il est aussi rapporté qu’en guise de récompense, la société Contour Global aurait entièrement pris en charge les frais d’études d’un des fils du ministre aux Etats-Unis.
 
La centrale qui fait couler la CEET
 
Présentée par ses initiateurs et les griots du régime comme la plus grande réalisation du siècle au Togo, la centrale électrique construite par Contour Global est un véritable gouffre financier. Pourtant, son énergie ne vient qu’en appoint à celle fournie à la CEET par la CEB qui fait ses approvisionnements chez la Volta River Authority du Ghana et la Compagnie ivoirienne d’eau et d’électricité. Au cours de la présentation en avril dernier du bilan des six mois après la mise en service de la centrale, les responsables de Contour Global ont indiqué que 30% de l’énergie consommée par la CEET sont directement produits par eux. Et au directeur général de Contour Global Togo SA, Yann Beutler, de se décerner un autosatisfecit : « Si la centrale n’avait pas existé, c’est 30% de la population qui auraient été dans le noir et pratiquement 50% de délestages aux heures de pointes ». Il peut arriver aussi que la CEET n’utilise pas du tout l’énergie produite par la centrale. Mais cette situation ne soulagerait en rien les finances de la CEET. Les Togolais diront que « apporter une corde pour attacher la chèvre » ou « amener la chèvre afin qu’elle soit attachée » signifie la même chose. Comme le contrat accorde une kyrielle d’avantages à Contour Global, la CEET est tenue de payer sa rémunération.
 
Dans un premier temps, il est question du remboursement et d’amortissement du fonds mobilisé par Contour Global pour la construction de la centrale. Ainsi, selon les termes du contrat, la CEET est contrainte de payer par an 16 milliards FCFA à titre de remboursement, et ce en fonction du taux de change du dollar. Pour donc garantir ce remboursement, la CEET a mis dans une banque de la place un dépôt d’un montant d’un milliard. Pendant les 25 ans, durée de la concession, la Compagnie énergie électrique du Togo versera 400 milliards FCFA contre environ 100 milliards investis. De même, Contour Global SA, une société de droit togolais se doit de récupérer son investissement initial, c’est-à-dire les 100 milliards FCFA, par le truchement des amortissements comptables. En tout, la société propriétaire de la centrale va encaisser en 25 ans, 500 milliards FCFA.
 
En plus de ces 16 milliards, la CEET doit mettre le jus, c’est-à-dire le fuel lourd si elle veut utiliser l’énergie de la centrale. Sans oublier d’autres dépenses comme les prestations de maintenance, les pièces de rechange, les salaires des expatriés … Toutes ces charges sont supportées par la CEET. Après l’investissement, Contour Global reste le propriétaire de la centrale mais ne paie rien. Selon un expert, on peut créer un département à la CEET pour qu’elle gère elle-même la centrale au lieu que ce soient les expatriés qui sont payés à prix d’or. « Ce contrat avec Contour Global est très dangereux pour le peuple togolais. On n’a pas besoin de faire les grandes écoles d’économie avant de le savoir. Le taux pratiqué ne peut se faire nulle part. Si demain, la CEET n’arrive plus à faire face à ces charges, sera-t-on encore amené à augmenter le tarif de l’électricité qui assomme déjà beaucoup de Togolais ? Ce contrat est une autre preuve de la navigation à vue des autorités togolaises », s’emporte une source proche du dossier.
 
Dans une tribune publiée la semaine dernière, soit quelques jours avant la hausse des prix du carburant, le consultant financier Ayao Blaise Amoussou-Kpéto a affirmé que rien ne justifie une augmentation des prix à la pompe ni du tarif de l’électricité. « A moins que l’augmentation du prix du carburant et de l’électricité ne soit envisagée uniquement pour soulager la trésorerie de la CEET qui croupit sous le poids du contrat Contour Global qui ne respecte aucune orthodoxie financière. Notons que Contour Global a réalisé un investissement de 100 milliards de FCFA par an sur une période de 25 ans, soit un montant total de 400 millions de FCFA en plus du montant de l’investissement que Contour Global va récupérer par le biais des amortissements comptables sur la période de la centrale électrique. Donc au total, en 25 ans, c’est un montant total de 500 milliards de FCFA que Contour Global va recevoir de la CEET pour avoir fait un investissement de 100 milliards de FCFA seulement », a-t-il poursuivi.
 
En réalité, la CEET a déjà procédé à une hausse du prix du kilowattheure de 10 à 17% et une révision des redevances puissance aux fins de satisfaire les termes du contrat qui la lie à Contour Global. Nonobstant ces mesures, il sera difficile à la Compagnie énergie électrique du Togo de tenir le coût. Car, l’énergie de la centrale électrique revient chère à la CEET entre 100 et 133 kwh alors que celles du barrage de Nangbéto et du Ghana coûtent respectivement 7 F et entre 35 et 50 F. Avec la dernière augmentation du prix du carburant, il est possible que les prix de l’électricité soient revus à la hausse.
 
« A cause des problèmes que connaît depuis des années le secteur de l’électricité, la CEET est loin d’être une société performante. Elle ne fait pas de chiffres d’affaires conséquents devant lui permettre de respecter le contrat de Contour Global qui est comme un tonneau de Danaïde. S’il n’y a pas de mesures d’accompagnement de la part du gouvernement, la situation risque d’être catastrophique pour les prochains mois », explique un ancien cadre de la CEET.
 
Selon les informations en notre possession, les autorités togolaises sont plus préoccupées par les chèques de Contour Global que par les autres problèmes inhérents à la société. « Aujourd’hui, les salaires du personnel sont relégués au second plan. De même, les fournisseurs ne sont plus régulièrement payés. Si on ne prend pas des mesures hardies, la CEET va être bientôt confrontée à une cessation de paiement et ce sera le chaos », avertit un agent.
 
Et un membre du Groupe de la Banque mondiale se mêle à la magouille
 
Ceux qui disent souvent que les institutions financières internationales ne feront pas le bonheur des pays du « Noir Continent », ont raison. La Banque mondiale et le FMI ne pensent qu’à leurs intérêts. La mission de réduction de la pauvreté qu’on leur prête, reste un véritable canular. Toutes ces institutions utilisent la méthode de la souris, cette bestiole qui vous ronge une partie du corps tout en soufflant là-dessus afin de passer inaperçu au cours de son « forfait ». Ce n’est que plus tard que vous découvrirez la plaie.
 
En effet, la Société financière internationale (IFC), une institution du Groupe de la Banque mondiale, a pris une participation dans la centrale électrique togolaise à l’appui des efforts déployés par Contour Global. La participation de 20 % que l’IFC prend dans Contour Global Togo S.A. répond à une des priorités de l’institution : investir dans les infrastructures en Afrique, explique-t-on dans un communiqué conjoint signé Contour Global et IFC. « L’IFC se réjouit d’appuyer un promoteur d’envergure mondiale possédant les moyens financiers, l’expertise technique et la détermination nécessaires pour mettre en œuvre des projets énergétiques en Afrique subsaharienne. Nous espérons que ce projet, « le premier investissement de grande ampleur réalisé par le secteur privé au Togo depuis plus de 10 ans » ouvrira la voie à d’autres projets du même genre et contribuera à satisfaire les importants besoins d’infrastructure du pays et de la région au sens large », a déclaré Bernard Sheahan, directeur de l’IFC pour les questions d’infrastructure.
 
En outre, il est mentionné dans le même communiqué que l’IFC a pour mission de promouvoir des investissements privés durables qui réduiront la pauvreté et amélioreront les conditions de vie des populations. Ce contrat de Contour Global concourt-il à réduire la pauvreté au Togo ? A chacun d’y répondre. C’est quand même curieux qu’une institution de ce standing puisse s’associer à ce projet qui fait couler la CEET et qui risque d’asphyxier tous les Togolais.
 
Sur son site Internet, cette institution membre du Groupe de la Banque mondiale revendique elle aussi des vertus d’intégrité. « L’IFC agit avec intégrité dans le cadre de ses opérations et de ses activités quotidiennes ; en effet, elle exige d’elle-même et de ses clients le respect des normes les plus rigoureuses sur les plans professionnel et éthique ; reconnaît dans le cadre de chaque investissement l’importance et la valeur d’un bon gouvernement d’entreprise ; s’efforce d’être transparente, responsable et équitable ; est honnête et ouverte et fait preuve de probité dans ses interactions avec son personnel, ses clients et les communautés locales », y lit-on. Pourtant, elle fait partie de ceux qui vont tirer profit des 500 milliards verser par la CEET contre seulement 100 milliards investis. Drôle d’intégrité et de transparence !
 
Comme on le voit, il y a des non-dits et du laxisme dans la gestion du projet de Contour Global. Si rien n’est fait pour rectifier le tir, la CEET et les Togolais risquent de connaître à l’avenir des jours sombres comme au Sénégal après l’échec d’un projet semblable réalisé par une société américaine, Greenwich Turbine Inc (GTI). Affaire à suivre.
 
Enquête réalisée par R. Kédjagni
 
Liberté N° 982 du lundi 6 juin 2011