Olivier_Yaovi_Sronvie


Rentrée judiciaire de la Cour d’Appel de Lomé
 
Placées sous le thème « Le juge dans la cité », la rentrée solennelle de la Cour d’Appel s’est déroulée la semaine dernière avec des activités de présentation de recueil, des conférences-débats et la cérémonie proprement dite vendredi 3 décembre.
 
Le président de cette cour a saisi l’occasion pour dresser un bilan peu complaisant sur l’année écoulée et surtout invité ses collègues à une autocritique par rapport aux attentes des citoyens au nom desquels la justice est rendue. Il a invité le pouvoir exécutif à jouer son rôle dans l’indépendance effective de la justice qui est aujourd’hui le pilier de l’édifice démocratique parce que « placée au cœur de notre système de gouvernance ».
 
A tous ceux qui attendent toujours la mise en fonction de la Chambre administrative de la Cour d’Appel, le président Olivier Yaovi Sronvie a promis le 15 décembre prochain, date des premières audiences de cette chambre. Cette information était très attendue et beaucoup voudraient être au 15 décembre pour y croire.
 
Parmi les attributs du juge, l’autorité de juger est un attribut divin, puisque consacrée par la Bible dans Esaïe 10, verset 1 à 2. Dieu veut des juges justes et propres, qui sachent arbitrer et départager sans parti pris. Tout ce qu’attend la société du juge est consacré par les principes définis dans la Directive N° 001 du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) tels que l’indépendance et l’impartialité, essentielles à un procès équitable, l’obligation de vigilance, la probité, la dignité, l’honneur, l’intégrité, l’obligation de réserve, la discrétion, la diligence, le respect, l’écoute et le respect de la hiérarchie, car un pouvoir sans contrôle peut être source d’insécurité pour les citoyens. Aussi le juge ne peut-il être digne que s’il reconnaît la dignité de l’autre. S’agissant de la dignité, le ministre de la Justice, Pius Agbétomey, a invité les juges à faire en sorte que « l’homme ne soit pas humilié avant que justice ne soit rendue ».
 
« Dans tout système démocratique, le devoir incombe aux hommes en charge de lourdes responsabilités de rendre compte », Olivier Sronvie.
 
Parce que rendant des sentences au nom du peuple et non en leur nom personnel, Pius Agbétomey a invité les magistrats à « ne pas afficher de l’indifférence dans l’objectif à atteindre, mais en ayant des égards à la personne qui souffre dans sa chair ». « Le juge doit inspirer confiance ; il doit être un recours, un secours et une source d’espérance, un artisan de paix, car avec de bons juges, on peut changer la société », a poursuivi le ministre qui, en référence à l’insécurité foncière qui a fait son lit devant la porte Togo, s’est référé à Victor Hugo pour encourager ceux des magistrats qui font preuve de persévérance : « Les opiniâtres sont les sublimes. Qui n’est que brave n’a qu’un accès, qui n’est que vaillant n’a qu’un tempérament, qui n’est que courageux n’a qu’une vertu ; l’obstiné dans le vrai a la grandeur. Presque tout le secret des grands cœurs est dans ce mot : perseverando. La persévérance est au courage ce que la roue est au levier ; c’est le renouvellement perpétuel du point d’appui » (Les travailleurs de la mer). Il a reconnu que le corps des magistrats comporte du bon et du mauvais, mais a émis le vœu que chaque magistrat fasse en sorte qu’après son départ d’un milieu, les administrés puissent dire : « ici a vécu la loi », et non « ici a vécu le juge ».
 
Le président de la Cour d’Appel a fait preuve de sa franchise habituelle dans son discours. A l’en croire, le thème choisi, « Le juge dans la cité », a pour objectif de faire comprendre aux magistrats que la vie privée du juge prime sur sa vie professionnelle, car la première doit forcément dépeindre sur la seconde, la société au sein de laquelle il vit, prenant plaisir à scruter chacun de ses gestes en dehors des prétoires. « Dans tout système démocratique, le devoir incombe aux hommes en charge de lourdes responsabilités de rendre compte. Le juge doit rendre compte de ses activités au peuple qui l’a mandaté, car la justice mystère est mère de soupçons malveillants », a défendu le président qui s’est appuyé sur un enseignement d’Albert Camus qui dit : « La vérité, comme la lumière, aveugle. Le mensonge au contraire est un beau crépuscule qui met chaque objet en valeur ».
 
Quelle image les magistrats reflètent-ils aux concitoyens ? Il est vrai que la justice ne saurait s’accommoder de bruits et agitations préjudiciables à la sérénité nécessaire à l’accomplissement de sa mission, il est tout autant vrai que « certaines critiques doivent en ce moment précis nous interpeller, surtout celles dans lesquelles les questions de liberté se posent. Une justice toujours contestée. Une justice discutée sur tous les points. Impartialité, indépendance, lenteur, mais aussi le manque de poigne dans la gestion de certaines affaires. Une justice trop sévère et trop laxiste à la fois. Et que sais-je encore ? Mais une justice de plus en plus saisie », a concédé le président de la Cour qui a trouvé la juste métaphore en qualifiant les journalistes de « chiens de garde de l’Etat de droit » de par leurs critiques parfois véhémentes.
 
Il n’est d’Etat de droit sans une justice indépendante, efficace et crédible. Pour le président Sronvie, le système de gouvernance devient l’arbitre impartial du jeu démocratique en faisant régner le droit envers et contre tous, riches et pauvres, humbles et puissants, administration et administré. Mais « s’il ne joue pas à merveille ce rôle, s’il cesse de le faire pour des raisons qui lui sont propres, il fera taire le droit dans la cité », a prévenu le président.
 
Du point de vue des résultats, le président s’est réjoui des efforts sans cesse croissants dans le processus de reddition des arrêts et autres ordonnances. Le démarrage le 15 décembre prochain des activités de la Chambre administrative est aussi à mettre à l’actif de la Cour. Et le président a saisi l’occasion pour plaider pour une augmentation en ressources humaines et la création d’un secrétariat général pour le soulager. Les statistiques produites indiquent que la moyenne des affaires a été dépassée tant au pénal qu’au civil. Mais reste à ce jour la célérité dans la délivrance des expéditions qui est du ressort des greffiers et qu’il faudra améliorer. Le président a requis l’exécutif pour garantir l’indépendance de la justice à travers des moyens devant favoriser l’exercice de la profession.
 
Au cours de la semaine ayant consacré la célébration de la rentrée solennelle, le président a procédé le 1er décembre à la dédicace du recueil intitulé : « Arrêts civils et commerciaux annotés de l’année judiciaire 2012-20103», qui est une compilation des arrêts de la Cour d’appel avec toutes les références et qui serviront de jurisprudence pour l’avenir. Le lendemain, une conférence portant sur le thème « L’assistance de l’avocat au stade de l’enquête préliminaire : bilan à l’épreuve du temps et perspectives » et ayant rassemblé magistrats et officiers de police judiciaire s’est tenu à l’auditorium du campus de l’université de Lomé. Il s’était agi de relever les dysfonctionnements qui ont souvent cours lors des arrestations de prévenus et les problèmes soulevés par la présence d’avocats aux côtés de ceux-ci. Vendredi dernier, ce fut le tour du thème « L’exécution des décisions de justice en matière foncière : le phénomène des gros bras » de faire l’objet de débats houleux.
 
Mais il faut relever que la justice togolaise a encore du chemin à faire, surtout que des événements ayant entrainé des conflits ouverts se sont encore produits justement dans la semaine de la rentrée judiciaire, spécifiquement dans le canton de Zanguera, avec une malheureuse illustration des gros bras dont il a été question vendredi. Tout le mal qu’on peut souhaiter à cette cour est que cette nouvelle année soit moins heurtée en matière de violations de la loi, et plus porteuse d’avancées démocratiques, résultat d’une indépendance plus prononcée de la justice..
 
Source : [09/12/2015] Godson K., Liberté / 27avril.com
 

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