« A aucun instant, je n’ai puisé dans les caisses de l’Etat. Bien au contraire, j’ai usé de mes propres deniers jusqu’à mes dernières économies »
 
Jugé et condamné par la Cour d’Assise de Lomé jeudi dernier, l’ancien Premier ministre du Togo (1999-2000), Eugène Koffi Adoboli, a accepté se prêter à nos questions aux fins d’éclairer les lanternes des Togolais. « A aucun moment, je n’ai eu à manier du cash provenant des caisses de l’Etat. Les chèques que j’ai contresignés avaient au préalable été soumis à bon nombre de contrôles tant par les ministres concernés que par les experts relevant de leur ministère », affirme-t-il. Lecture.
 
Bonjour M. le Premier ministre, vous venez d’être jugé par la Cour d’Assises de Lomé qui vous a condamné à cinq ans de prison et à 100 millions d’amende pour détournement de deniers publics lors de la construction de la Cité OUA. Comment avez-vous accueilli ce verdict ?
 
J’ai été choqué, blessé, meurtri et déçu. Chez moi, la déception est plus profonde que la colère. La décision de la justice togolaise est arbitraire. Elle ne respecte aucunement la déontologie en matière de justice qui voudrait que l’accusé ait droit à la parole. Ce n’est que la veille du jugement, précisément le mercredi 20 juillet, que j’ai été informé par une connaissance que j’allais être jugé. Ce jugement frise, à la limite, le ridicule et n’honore pas le Togo.
 
L’Etat togolais vous accuse d’avoir détourné 100 millions de FCFA. Dites-nous, avez-vous vraiment détourné ce pactole ?
 
Non, non et non !!! J’ai été appelé par feu président, son Excellence, Gnassingbé Eyadema à une période où l’image du Togo était au plus bas sur le plan international. Le sommet de l’OUA 2000 devait avoir lieu à Lomé dans un contexte où bon nombre de pays africains voulaient le boycotter. En raison de ma stature internationale, ma mission en tant que Premier ministre était d’organiser ce sommet afin d’en faire une réussite. A cette fin, j’ai dû effectuer plusieurs déplacements à l’étranger. Le gouvernement a décidé de construire la cité OUA pour l’accueil des convives. Il a ainsi fait appel à divers prestataires de services. Le sommet s’est révélé être un grand succès.
 
A aucun instant, je n’ai puisé dans les caisses de l’Etat. Bien au contraire, j’ai usé de mes propres deniers jusqu’à mes dernières économies pour préfinancer des frais qui afféraient à l’Etat, dont des missions à l’étranger. De plus, contrairement à la pratique, je n’ai pas été officiellement logé durant mon mandat. Je payais de ma poche le loyer de ma villa.
 
Par ailleurs, mon rôle dans la construction de la cité OUA s’est limité à contresigner les chèques qui m’étaient présentés. A aucun moment, je n’ai eu à manier du cash provenant des caisses de l’Etat. Les chèques que j’ai contresignés avaient au préalable été soumis à bon nombre de contrôles tant par les ministres concernés que par les experts relevant de leur ministère. Qui plus est, les chèques étaient libellés au nom des prestataires de services. Fort de tout ce qui précède, je ne peux que répondre par la négation à votre question. Je n’ai pas détourné un centime de l’Etat togolais.
 
Tout cela me blesse profondément, d’autant plus que j’ai créé il y a plus de 25 ans et par amour pour mon pays, la fondation « LVA (Lumière Vie et Amour) » qui soigne gratuitement les enfants aveugles du Togo avec un budget annuel de 50 millions de CFA.
 
Est-ce à dire que ce sont les ministres Hope Agboli et Saïbou Issa Samarou qui ont commis ces malversations ?
 
Non, pas du tout ! Comme je viens de vous le dire, les travaux ont été payés au moyen de chèques et non d’argent liquide. Les chèques ont été soumis à divers contrôles particulièrement du ministère des Finances qui débloquait en dernier ressort les fonds aux prestataires. Mes ministres n’ont pas eu d’argent liquide pour payer les prestataires qui étaient les bénéficiaires directs des chèques spécifiquement libellés en leurs noms.
 
C’est votre gouvernement qui avait quand même géré la construction de la Cité OUA. Dites-nous comment ces travaux ont été exécutés et les problèmes que vous aviez rencontrés.
 
Le gouvernement que je dirigeais a certes suivi la construction de la cité OUA, cependant les prestataires de services étaient des entreprises indépendantes. Hormis la pression du temps, moins d’un an pour bâtir de rien la cité qui devait être opérationnelle pour accueillir le sommet, nous n’avons pas eu de problèmes majeurs.
 
Je tiens à saluer, par cette occasion, le dévouement avec lequel les divers prestataires de services ont réalisé leurs ouvrages.
 
Pour vous, c’est l’Etat togolais qui vous doit plutôt de l’argent. Pourquoi n’avez-vous pas engagé une procédure pour entrer dans vos droits ?
 
Un dossier avait été constitué et soumis à feu son excellence Gnassingbé Eyadéma, à mon successeur, son excellence M. Agbeyome Kodjo et à M. Barry Moussa Barqué, conseiller de feu M. Gnassingbé Eyadéma. Je n’ai pas entamé des poursuites judiciaires par respect pour le Togo et parce que je me préoccupais de la situation économique peu reluisante de mon pays et de mes concitoyens.
 
En parlant de ce problème aujourd’hui, est-ce que vous ne cherchez pas un argument pour vous disculper ?
 
Pas du tout. Si je n’ai pas rendu public ce dossier jusqu’à ce jour, c’est uniquement par respect pour mon pays ainsi que par ma compassion pour mes concitoyens au vu de la situation économique peu favorable du Togo.
 
Quelle suite comptez-vous réserver à cette affaire ?
 
Tout ce que je peux vous dire pour l’instant, c’est que cette accusation est totalement mensongère. Je prends très au sérieux cette affaire qui ne fait honneur ni à ma personne, ni à mon pays. Les réflexions sont actuellement en cours pour déterminer la suite à donner à cette affaire. Bien entendu vous en serez informé le moment venu.
 
Monsieur le Premier ministre, il semble qu’au cours de votre passage à la Primature, vous vous êtes toujours demandé pourquoi l’argent de l’Etat allait ailleurs au lieu du Trésor public. Vous confirmez ?
 
J’ai effectué mon mandant en conformité avec les pratiques usuelles de gestion d’un Etat à savoir : « l’argent de l’Etat revient à l’Etat », comme l’éthique le recommande dans tous les pays.
 
Racontez-nous les circonstances dans lesquelles votre démission était intervenue en 2000.
 
Tout d’abord, je n’ai pas démissionné mais j’ai été destitué. C’est avec un grand étonnement que j’ai appris ma destitution à la télévision nationale comme tout autre citoyen. Cette annonce a suivi mon éloquent discours au parlement sur le bilan de mon mandat, discours chaleureusement accueilli par les applaudissements des députés.
 
Aujourd’hui, vous vous rendez certainement compte de la nature du pouvoir en place. Vous-même vous l’avez dit, après l’avoir servi, on vous remercie du revers de la main. S’il vous était encore demandé de revenir occuper la Primature, l’accepteriez-vous ?
 
Ce fut un honneur d’avoir servi en toute loyauté mon pays. Au regard des évènements, ma dignité m’interdirait de répondre par l’affirmative à votre question. Toutefois, mes principes, mes valeurs et mon sens de patriotisme ne m’autorisent pas à vous répondre par la négation. Au demeurant, je suis et resterai fidèle et disposé à servir mon pays selon les circonstances. Je vous remercie.
 
Propos recueillis par la Rédaction
 
source:  LIBERTE HEBDO TOGO

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