Contrairement à Joël Egah que j’ai rarement vu ces dernières années, je suis assez proche de Ferdinand Ayité que j’ai eu longuement ce matin, la voix tremblotante d’émotion sans doute mais aussi de perdition, de déperdition j’allais dire sans cerner avec précision, le distinguo entre ces deux mots. Peut-être parce que déjà un peu perdu…

Joël, l’un des meilleurs de tous les temps comme journaliste, après son emprisonnement incompréhensible et injuste, avait encore la rage de la vie. Il suit une formation à Dakar dont l’apogée devant avoir lieu dans quelques jours, il avait demandé à son avocat d’introduire ce matin une réclamation de son passeport encore détenu par ceux qui l’ont placé sous contrôle judiciaire. La préposition « sous » dans l’expression « sous contrôle judiciaire » fait penser à un endroit. Une sorte de coin lugubre où on place les indésirés de la société… Joël n’a jamais pu se rendre en France comme prévu, à cause de ce passeport qu’on lui a arraché. Son déjeuner de dimanche, il ne l’a pas fini. Quand mal l’a pris, il réclamait sa Ventoline, un truc au nom plus monstrueux qu’il n’est amusant, ce costaud qui a souvent vaincu son asthme ne l’utilisera que pour la dernière fois. Puisqu’il est mort dans la foulée, Joël aura été l’un des meilleurs journalistes du Togo, plus pour la noblesse de ses combats (droits de l’homme, égalité, justice…) que pour sa plume plutôt insolente et doucereusement hilarante. Il savait sourire de tout, si ce n’est rire aux éclats. Il est mort, c’est fini. Point de Joël.

Je ne veux pas forcément lier ce départ à sa détention mais on ne ne peut pas ne pas mettre un parallèle entre son incarcération dans l’exercice de son métier et sa disparition. Il n’y a peut-être pas de lien certain, mais on ne saura se l’interdire. Chaque instant dans une prison de Lomé est létale. La souffrance psychologique, celle physique surtout pour cet asthmatique chronique malgré sa très bonne forme, la bouillante colère à laquelle soumet une détention injuste, tout cela peut avoir contribué à ce qui est arrivé.

Je rends rarement hommage aux morts, non pas que mon ADN de la sensibilité soit si modifié mais parce que je suis, par essence un fragile catastrophiste, mon fils dit plutôt fataliste. Je me dis, à tort fort heureusement, qu’après la mort, il n’y a plus rien. Et je vois dans la mort des autres que j’ai toujours crus plus invincibles que moi, ma propre mort. Une sorte de saloperie dont Dieu est le macabre metteur en scène qui vous prend par surprise et n’a pas la décence de vous accorder 1h pour régler deux ou trois trucs avant de vous en aller. Et il y a une part de folie que Dieu ait créé des gens aussi uniques, juste pour mourir. La finalité est absurde mais aussi antipathiquement stupide.

Joël devrait se rendre à la messe, Joël avait une réunion familiale, Joël était certain d’être à ces deux rendez-vous, Joël nous laisse cinq enfants et une veuve qui ont enduré tant entre les deux fêtes de fin d’année à cause de sa détention.

On ne peut pas lui rendre hommage sans avoir une pensée pour  Ferdinand. Je sais que leurs sorts ne son pas liés, mais prions pour lui et mes pensées vont vers ce frêle journaliste dont la détermination contraste avec la fragilité physique apparente. Sois fort Ferd!

J’ai dû relire plusieurs fois ce texte, tellement des coquilles m’échappaient…

Max Sanvi Carmel

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