Plus de 200 millions de Franc CFA de chiffres d’affaires mensuels contre moins de 2 millions Franc CFA versés annuellement à l’État.

Le 28 septembre 2018, au détour d’une mission de prospection dans l’optique de l’acquisition d’un lopin de terrain à Bolou-Vavati, un village situé à une quinzaine de kilomètres de Tsévié, nous avons eu droit à une découverte très surprenante, surtout pour des étrangers dans la localité. Il s’agit d’une véritable carrière d’exploitation de gravier dont nul ne pourrait imaginer l’existence, s’il n’est soit du milieu ou lié à la production. Notre stupéfaction fut d’autant plus grande qu’il n’y a aucune indication sur l’activité qui se déroulait à cet endroit. « C’est une exploitation clandestine ! », a lancé un membre de la délégation, très étonné de la découverte. Nous avons donc pris la décision de mener une enquête autour de cette activité puisque c’était « trop beau pour être vrai ». Il fallait percer le mystère qui entoure cette production clandestine. Après plusieurs aller-retour du site et dans le village et à l’aide des témoignages, nous avons découvert pas mal de choses. L’enquête nous a également amené à rentrer en contact avec quelques acteurs liés à la gestion des carrières, notamment la préfecture de Zio, l’OTR de Tsévié, l’ANGE, etc. seulement, après tous ces efforts, le mystère demeure tout entier, les doutes persistent, les interrogations toujours sans réponses. Mais, ce qui est évident, c’est que la carrière de Bolou-Vavati reste une production qui s’opère en toute clandestinité, qui génère des centaines de millions par mois. La malédiction des zones minières n’épargne pas cette localité. Seuls les « Chinois » et les autorités locales qu’ils « abreuvent » de temps en temps tirent profit de l’exploitation. Les populations sont abandonnées à leur sort avec tous les dangers auxquels elles sont exposées.

Au bout d’une voie poussiéreuse se « cache » Bolou-Vavati, un village situé au Nord-est de Tsévié. Une localité dans laquelle les habitants vivent essentiellement de l’agriculture. Les services sociaux de base sont inexistants. Seule une école primaire « végète » dans une brousse à l’entrée du village. Là encore, le bâtiment laisse à désirer. La route qui dessert le village à partir de Tsévié est une voie « hybride », puisque la majeure partie est constituée de latérite, mais on retrouve par endroits du gravier concassé, « généreusement » mis par la société qui détient la carrière.

Depuis quelques années, c’est l’activité de la carrière qui retient les attentions dans la localité. Il y a un indice concordant qui pourrait guider tout étranger à reconnaître cette carrière. Il s’agit bien évidemment des nombreux camions gros porteurs qui se dépassent sur la route dégageant une poussière étouffante.

Un site « clandestin »

Le site se trouve dans une zone insoupçonnable où il faut traverser un sentier d’au moins 3 km à partir de la route principale qui mène vers Alokoegbé. Là on retrouve des Chinois et certains ouvriers sans cesse en train de faire des manœuvres soit pour extraire le minerai soit pour le concasser. Plusieurs visites discrètes sur le site sans oublier quelques documents que nous avions obtenus, nous ont permis d’en savoir davantage.

Comme mentionné plus haut, il n’y a aucune indication sur la société qui exploite cette carrière. Au cours de nos recherches, on a découvert que c’est l’Entreprise d’extraction de sable et de gravier (EESG SARL U), appartenant au Chinois Ding Peixi. On s’est également aperçu, curieusement, que ce projet constitue sa première expérience dans l’exploitation d’affleurement rocheux et de production de gravier au Togo. Elle s’est assigné pour objectif, dans le cadre de ce projet, de produire du gravier concassé de qualité, offrir aux entrepreneurs une gamme variée de graviers concassés pour la réalisation des ouvrages de génie civil, augmenter les revenus de la société et contribuer à la réduction du taux de chômage sur le plan national. De bonnes intentions qui, a priori, devraient être saluées. Mais qu’en est-il au juste ?

En effet, ce projet consiste à exploiter et à concasser un affleurement de gneiss pour la production du gravier dans la préfecture de Zio, plus précisément dans le village de Bolou-Vavati. Le site occupe une superficie de deux hectares neuf ares quatre-vingt-quatre centiares (2ha 9a 84ca). Selon les propriétaires terriens, la vente du site s’est effectuée dans des conditions rocambolesques. A les en croire, ils ont finalement cédé aux pressions du « Chinois » (le responsable de l’entreprise) qui menaçait de lâcher l’affaire après plusieurs concertations puisque la somme qu’il proposait était vraiment dérisoire. Lors des pourparlers, la communauté avait opté pour le bail du site. Mais, les responsables de la société EESG SARLU ont exigé plutôt une vente. C’est ainsi qu’ils ont dit que le coût de l’hectare est d’un million franc CFA. Les deux parties se sont mises d’accord (à contrecœur pour les propriétaires) sur la somme de 2 millions francs CFA, avec pour obligation pour la société de mettre en œuvre les doléances à elle soumises par les populations, notamment la réalisation d’un forage et l’électrification du village. « Nous avions débuté les négociations entre 2014-2015. Normalement les minerais comme cela font l’objet de bail. Seulement, le Chinois nous mettait une pression folle pour l’acheter. Tous les jours, il nous harcelait pour qu’on cède. La manière dont il était intéressé, prouve à suffisance qu’il a trouvé une affaire luxueuse chez nous. On a fini par lui vendre le site à 9 millions et il a payé cash. Ainsi nous avions effectué un acte notarial pour formaliser la vente, la mort dans l’âme. C’était un combat entre David et Goliath… on ne pouvait pas grand-chose », raconte un représentant de la collectivité.

Bien avant le démarrage des activités par EESG qui, dans la foulée, s’est vu délivrer en mars 2016 un permis d’exploitation par la Direction Générale des Mines et de la Géologie (DGMG), une étude d’impact environnementale a été naturellement menée par l’ANGE (Agence nationale de gestion de l’environnement) qui a donné son feu vert. Seulement, la société semble faire fi de certaines recommandations. Leur non-respect agace sérieusement au niveau de l’ANGE. Plusieurs mises en demeure ont été envoyées à l’entreprise sans suite favorable. « Ils ne se fichent pas mal de nos mises en demeure. A plusieurs reprises, nous avons attiré leur attention sur le non-respect de certains engagements que nous avions pu constater lors des contrôles réguliers que nous effectuons sur le site. C’est très surprenant, mais je ne pourrais vous en dire davantage puisque moi-même je ne comprends pas grand-chose sur les motifs de cet entêtement », nous confie un cadre de l’ANGE. Soit dit en passant, il aura fallu s’armer de patience avant de soutirer ces quelques confidences au cadre qui a insisté à être cité sous le sceau de l’anonymat. « Je ne pourrais vous en dire plus », a-t-il dit.

Les impacts négatifs sur les populations sont énormes. Elles sont, depuis le début de la production, victimes de certaines maladies méconnues. De plus, certains se plaignent des bruits assourdissants lors du dynamitage du minerai car cela se fait sans avertissement. Toutes ces plaintes sont restées sans suite.

Une exploitation avilissante

Tout d’abord, la carrière est impressionnante et à perte de vue. A l’entrée, on retrouve la base des Chinois avec leur petite résidence où il y a presque tout. Ils passent la plupart du temps-là. A côté se retrouvent bien souvent les ouvriers qui se démerdent pour faire tourner les activités. Ils travaillent dans des conditions très précaires. Déjà ils sont sans contrat depuis qu’ils sont employés sur le site. Nous avions pu entrer en contact avec certains qui ont accepté de témoigner sous le sceau de l’anonymat. « C’est pénible, ce que nous vivons dans ce travail. Nous travaillons comme des fous, mais on est traité comme des moins que rien. Les Chinois n’ont pas d’égard pour nous », accuse un employé. Et il a fallu que les ouvriers saisissent l’Inspection du travail avant de pouvoir avoir tout récemment des bottes dignes du néolithique et des casques.

En fait, les employés travaillent de 7h à 22 h avec juste une petite heure de pause. Ils n’ont droit qu’à un salaire dérisoire (40.000 F CFA), d’après un ouvrier, contre 100.000 F CFA promis au début de leur engagement. Même pour embaucher quelques personnes du milieu dans la carrière, cela n’a pas été aisé. Il a fallu que ces autochtones pestent à plusieurs reprises avant que quelques-uns ne soient recrutés.

Selon les recommandations des environnementalistes, les ouvriers qui inhalent quotidiennement une quantité remarquable de poussière devront bénéficier de quelques accompagnements pour atténuer les risques auxquels ils sont exposés lors de leurs travaux. « Ils avaient promis qu’on se fera consulter au moins tous les trois mois, mais cela fait plus de deux ans que nous travaillons dans la carrière, mais rien. Même en cas d’accident de travail, les Chinois montrent une indifférence terrifiante, pourtant le business tourne bien », révèle un employé.

Il a manifestement raison puisqu’à en croire les informations, le mètre cube du gravier concassé se vend à 12000 F CFA. Or, des gros porteurs de 10 et de 14 pieds se suivent sur le site. « Les Chinois brassent des millions par jour. Ils font un chiffre d’affaire conséquent. On charge sans arrêt les camions ici. Seulement, ils refusent de tenir leurs engagements envers le village », regrette un autre employé. Une source interne dans la société nous a confié qu’ils font un chiffre d’affaire de plus de 200 millions le mois. ENORME ! Ceci pourrait bien expliquer l’attitude des Chinois et de certains employés. Personne ne veut répondre à nos questions. Sur le site, c’est la loi de l’omerta qui règne. Plusieurs tentatives pour avoir quelques bribes d’informations sur le site en dehors de nos contacts (traditionnels) se sont révélées infructueuses.

A l’impossible nul n’étant tenu, nous nous sommes rabattus sur les coordonnées des responsables de la société. Là aussi, c’est une énorme déception à la fin. Le numéro de téléphone est inaccessible tout le temps. L’adresse email sur laquelle nous avons laissé quelques questions n’est pas valable. Pourtant, ce sont ces adresses qui figurent sur la carte d’opérateur économique du DG de la société EESG SARLU et du rapport ITIE 2016 publié en décembre dernier. La société opère-t-elle dans la clandestinité ? De la route nationale N°1 jusque sur le site de la carrière, aucun panneau ne renseigne sur la société et l’extraction et la transformation des roches en gravier concassé. Même les adresses semblent relever de l’ordre du mythe… A chacun de tirer sa conclusion.

La corruption !

L’autre nœud du problème, c’est la non tenue des engagements pris lors de la signature du contrat de vente entre la collectivité et l’entreprise productrice. Déjà l’exploitation de ce minerai cause des dommages environnementaux considérables sur les populations. Elles sont elles-mêmes exposées à la poussière qui détruit aussi leurs productions agricoles sans oublier les habitations qui sont recouvertes de poussière provenant de la carrière. Malheureusement, l’entreprise ne fait rien pour pallier ces dégâts collatéraux. Les populations victimes de cette injustice ont plusieurs fois fait des mouvements d’humeur pour revendiquer la mise en œuvre de l’accord. Mais c’est compter sans la capacité de corruption des Chinois qui n’hésitent pas à arroser les autorités locales. Selon les informations, elles sont toutes à la soupe, histoire de noyer les revendications légitimes des populations, qui sont livrées à elles-mêmes.

Mais où vont tous ces millions brassés à travers cette activité très lucrative ? Une question très simple mais dont la réponse reste énigmatique. Bien sûr, l’entreprise réalise des chiffres d’affaires énormes. Mais quid de la municipalité et du fisc ?

A la préfecture, on s’est contenté de nous dire que c’est seulement une taxe de 2000F CFA qu’elle prélève sur chaque camion qui sort du site. Là encore, aucune traçabilité. « Les agents aussi font leur business. Il n’y a pas un mécanisme de contrôle. Si par jour l’agent vous dit que c’est tel nombre de tickets qu’il a vendus, vous êtes obligé de vous en tenir à ça», avoue-t-on à la préfecture. Nous avons pu constater nous-même cet état de chose lors d’une excursion sur le site. Un agent ne s’est d’ailleurs pas caché pour « rançonner » un camion qui venait d’en sortir rempli de gravier caché sous une bâche. Il a pris 1000 F sans délivrer de reçu au chauffeur. Même à la préfecture, difficile de voir un document dans lequel ces recettes sont comptabilisées. On s’est juste contenté de nous dire que les recettes que génèrent les carrières dans la préfecture ne représentent rien dans le budget annuel. Une réponse évasive qui cache beaucoup de non-dits.

A l’Office togolais des recettes (OTR) de Tsévié, on a appris à jouer au jeu de cache-cache. Déjà lors de nos recoupements, il nous a été révélé qu’une équipe de l’OTR se rendant sur les lieux une fois, a été rappelée avec fracas pour retourner à l’agence. Que veut-on cacher ? Qui protège-t-on ? Mystère ! Mais nous nous sommes déplacés sur place pour juste savoir si la fameuse société est en règle avec le fisc. Aucune réponse satisfaisante ne nous a été donnée. On s’est contenté de dire premièrement que c’est impossible, avant de nous rediriger vers le Chef d’agence qu’on ne verra pas jusqu’à notre départ. Depuis, c’est le statu quo. Toutes les démarches effectuées pour avoir du moins une idée sur l’état fiscal de la société ont été sans succès. A l’OTR où on nous vend une supposée transparence, c’est donc l’omerta.

Selon le dernier rapport ITIE, l’EESG fait partie des sociétés non retenues dans le périmètre de rapprochement et a versé aux régies financières 1 816 482 FCFA pour le compte de l’année 2016 (1 450 000 à la DGMG, 193 500 au Commissariat des Impôts, 107 382 au Commissariat des douanes et droits indirects et 65 600 à l’ANGE). Au niveau de la commune et de la préfecture des localités minières, rien n’a été signalé. A chacun d’apprécier ce que verse à l’Etat une société qui fait plus de 200 millions de FCFA par mois.

« A voir les choses de près, il n’est pas exclu que des pontes du régime soient derrière ce Chinois, affirme un cadre de la préfecture. Le Chinois semble en territoire conquis et c’est pourquoi il ne respecte rien ».

Beaucoup de mystères entourent cette carrière comme bien d’autres dans la préfecture du Zio. Il est nécessaire dans un premier temps que les populations qui vivent dans une situation indescriptible, puissent rentrer dans leurs droits, surtout qu’elles aient accès à l’eau potable. Le permis d’exploitation de 3 ans arrivant à échéance le 31 mars 2019, on espère que les termes du contrat vont être renégociés au profit des populations et de l’État avant tout renouvellement. Affaire à suivre.
 
Shalom Ametokpo

 
Source : Liberté No.2876 du 11 mars 2019
 

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