faure_31dec2013


En raison de sa prise de pouvoir violente, de son illégitimité immédiate de départ, le régime est resté dans une fragilité institutionnelle compensée paradoxalement par une répression persistante. Faure Gnassingbé a besoin de Denis Sassou Nguesso pour être reçu à Paris par un Hollande réticent.
 
Malgré ses faiblesses en Françafrique et au Togo, le chef d’Etat togolais a réussi, contre toutes attentes, à se maintenir et il arrive presque à faire oublier son illégitimité en multipliant les tours de passe-passe. Il est trop jeune pour mourir vieux au pouvoir, et il finira par partir, mais le plus tard possible et après avoir profité de la dictature pour casser ses opposants et empêcher alternance simple et une démocratisation rapide.
 
La limitation de mandat ajoutée en 1992 par un référendum constitutionnel, a été supprimée en 2002 par Eyadéma Gnassingbé, et selon le Collectif Sauvons le Togo (CST) « La révision constitutionnelle de 2002 a donc été un élément d’aggravation de la longue crise politique togolaise. En effet, si la constitution de 1992 n’avait pas été révisée, le Général Eyadema ne se serait pas présenté en 2003 pour un nouveau mandat présidentiel et sa succession aurait été assurée de son vivant. Ce qui aurait sans doute épargné au Peuple Togolais, les tueries au lendemain de l’élection présidentielle de 2005. »
 
Le Togo rejoint les pays concernés en raison de la signature en 2006 de l’Accord Politique Global (APG). Cet accord a été signé suite aux coups d’État militaire et électoral de Faure Gnassingbé après la mort de son père en 2005. Après le scandale international de ces coups d’Etat et des massacres, l’APG a été signé avec l’opposition menaçante de l’époque, 8 partis dont le principal, l’Union des Forces de Changement (UFC). L’UFC s’est ensuite décomposée à partir de la trahison de son président, Gilchrist Olympio, lors de la présidentielle de 2010. Le site Afrika Express résume ainsi la récupération de l’opposant historique : « Gilchrist demande 500 milliards… (puis)… 150 milliards … Compaoré, pour garder le ministère, demande à Faure de lui apporter ce qu’il a. Personne ne saura exactement combien le président togolais enverra, mais avec le complément burkinabé, le deal est conclu. »
 
Dans l’APG, le chapitre 3 est « consacré à la poursuite des réformes constitutionnelles et institutionnelles nécessaires à la consolidation de la démocratie, de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance et mis à la charge du gouvernement un point 3.2 sur les révisions constitutionnelles relatives notamment : au régime politique, à la nomination et aux prérogatives du Premier Ministre, aux conditions d’éligibilité du Président de la République, à la durée et à la limitation du mandat présidentiel, à l’institution d’un sénat et à la réforme de la Cour Constitutionnelle. » L’APG prévoit ainsi le retour à la limitation du nombre de mandats, mais un débat très hypocrite sur la rétroactivité pour décider de la possibilité du 3e mandat permet encore à Faure Gnassingbé de tergiverser et de gagner du temps.
 
A partir de 2010, l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) a récupéré le soutien de la population qui a suivi ce parti dans ses mobilisations dans la rue et dans les urnes. Le Collectif Sauvons le Togo a rassemblé pour aller aux législatives de 2013, l’ANC, d’autres partis et des organisations de société civile et a organisé des manifestations chaque samedi à Lomé pendant plus de 2 ans. Au premier semestre 2013, l’opposition a été victime d’un regain de répression, en particulier sous la forme d’une mascarade juridique dans l’affaire de l’incendie des marchés, et n’a pas réussi à obtenir une organisation correcte des législatives. Le 25 juillet 2013, un découpage sans rapport avec la réalité démographique, déjà dénoncé par l’Union européenne en 2007, a permis d’attribuer pour un nombre de voix équivalent, plus de deux tiers des sièges de députés au parti au pouvoir, UNIR.
 
Fort de cette 3e mascarade depuis 2005, Faure Gnassingbé bénéficie d’un parlement aux ordres. Les députés ont rejeté par 63 voix sur 91, le projet de loi de révision constitutionnelle proposé par le gouvernement, ce qui a repoussé la mise en œuvre des réformes prévues par l’Accord Politique Global (APG) au-delà de la présidentielle de 2015, dont la limitation du nombre de mandats à deux et le scrutin à deux tours. Selon le CST « Le vote de rejet émis par la majorité parlementaire UNIR-UFC, sur un texte fondamental proposé par le gouvernement, est une véritable supercherie qui cache mal la réticence du gouvernement RPT/UNIR/UFC à honorer les engagements politiques souscrits devant le Peuple Togolais et la Communauté internationale. »
 
Malheureusement sur la campagne à mener sur le sujet, l’opposition démocratique réelle forte du collectif Sauvons le Togo (ANC principalement, ADDI, Obuts), et les autres partis donc ceux de la Coalition Arc en Ciel ( essentiellement le CAR ) semblent divisés sur les mots d’ordre, sur le débat de la rétroactivité, sur la stratégie. Après le passage piégé au parlement en juillet 2014, le débat risque de ne reprendre qu’après la présidentielle de 2015, trop tard pour une rétroactivité limitant le pouvoir de Faure Gnassingbé à 10 ans. Le fils d’Eyadéma qui avait si mal démarré et sur lequel personne ne misait est proche de réussir à rester 15 ans, et il devrait tenter les 20 ans si rien ne l’arrête, alors qu’en 2006, quand il était faible, le débat sur la limitation de mandat avait déjà commencé.
 
L’ambassadeur de France au Togo, sur le départ, Nicolas Warnery, a déclaré le 14 juillet 2014 : « Nous avons été surpris de voir le 30 juin dernier, sous nos yeux incrédules, les députés de la majorité rejeter le projet de réforme constitutionnelle déposé par le gouvernement, alors même que cette réforme avait été annoncée par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale devant cette même Assemblée nationale quelques mois plus tôt ». La méthode cyclique est bien rôdée : promettre une avancée, faire patienter, reculer, piéger.
 
Aucun dictateur africain ne maîtrise aussi bien que Faure Gnassingbé le double langage, la fausse démocratie, la fausse justice, les fausses « vérité et réconciliation », la fausse négociation avec les démocrates, la manipulation des observateurs de la communauté internationale, sans doute parce qu’il a été formé à l’école de la Françafrique de Charles Debbasch.
 
 Pourquoi les réformes ne seraient pas faites avant la présidentielle en 2015 ? Parce que le parlement lui obéit et le suit dans son double jeu.
 Pourquoi le parlement lui obéit, parce qu’en plus de quelques fraudes, le découpage électoral aberrant n’a pas été refait avant les législatives de 2013 ?
 Pourquoi l’opposition a-t-elle été obligée d’aller aux législatives dans ces conditions ? Parce que Faure l’a réduite financièrement et épuisée par une répression féroce avec la mascarade judicaire des incendies des marchés début 2013.
 Pourquoi Faure Gnassingbé était-il au pouvoir après 2010 ? Parce que le résultat de la présidentielle de 2010 a été très vraisemblablement inversé entre RPT-UNIR et FRAC de Jean-Pierre Fabre, les résultats avec détails des procès verbaux n’ayant jamais été publiés.
 Pourquoi la population est mal informée ? Parce que la presse est férocement réprimée dès qu’elle parle d’un sujet stratégique, sous couvert d’une législation détournée.
 
La dictature affaiblie s’impose par étapes violentes, alors que les témoins internationaux sont piégés. Faure Gnassingbé le faible a su corrompre adroitement.
 
Le dictateur se comportant comme un adolescent sans foi ni loi exaspère progressivement la communauté internationale : le 10 octobre 2014, « Les Chefs de missions de l’Union européenne, de la France, de l’Allemagne, des États-Unis ainsi que la coordinatrice résidente du système des Nations unies accrédités au Togo s’associent à l’appel récent des églises du Togo en faveur d’une issue positive du processus de réformes constitutionnelles, encore inachevées». Sans bien préciser la nécessité de réformes avant la présidentielle, qui pourrait relancer le débat sur la candidature-même de Faure Gnassingbé en 2015, la prise de position des Eglises Catholique, Evangélique, et Méthodiste a remis à l’ordre du jour, avant la présidentielle, les réformes attendues depuis l’APG, comme préalable à la présidentielle.
 
Faure Gnassingbé et son parti, UNIR, ont provisoirement accepté le principe d’un retour à la limitation de mandat à 2, mais Faure Gnassingbé refuse de partir après 2 mandats en rejetant la rétroactivité de la loi. Ils s’apprêtent à organiser une élection très peu crédible : passif des 3 précédentes mascarades non soldé, scrutin à un tour, absence d’observation correcte après le refus des services de l’Union européenne, soutien de la CENI et du conseil constitutionnel sous contrôle, répression prévisible pour empêcher l’opposition de faire campagne sur tout le territoire, budget disproportionné à sa disposition pour s’imposer dans les media, affaiblissement financier de l’opposition, soutien du chef d’Etat à de faux opposants pour diviser, et surtout achats de consciences.
 
Face à une opposition divisée, fragilisée par la répression et le manque de financement, à une population mal informée dans un pays sans liberté de la presse, dans un scrutin à un tour, il est de plus en plus probable qu’il gagne avec ou sans fraudes, malgré son électorat minoritaire. Mais une victoire par une élection douteuse après les 3 précédentes mascarades, suivant 38 ans de règne de son père, irait contre la volonté populaire réelle. La tension ne peut que croître.
 
Source : [21/10/2014] Régis Marzin, pour Afrika Express
 

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