Caricature : Donisen Donald / Liberté
Caricature : Donisen Donald / Liberté


La raison du silence de l’Eglise catholique togolaise vis-à-vis des dérives du pouvoir de Faure
 
« Il faut défendre et comprendre le peuple ». Telle est l’exhortation du Pape François à Faure Gnassingbé, au terme de sa visite dite de travail au Vatican. Selon le communiqué officiel, l’hôte togolais et le souverain pontife ont passé en revue la coopération bilatérale entre le Vatican et le Togo, l’extrémisme, le développement de l’Afrique, entre autres sujets. Cette visite offre l’occasion d’aborder les rapports clairs obscurs entre le pouvoir en place et l’une des structures de l’église catholique, Sant’Egidio.
 
Cette communauté a été à l’origine du rapprochement entre le pouvoir Rpt/Unir et Gilchrist Olympio, un rapprochement dont le clan Gnassingbé s’est servi pour décapiter l’opposition, user de diktat et entrainer aujourd’hui une situation de blocage politique. Comme une complicité avec le régime en place, Sant’Egidio et l’église catholique sont depuis silencieuses.
 
Sant’Egidio et le Togo
 
Sant’Egidio est une communauté fondée en 1968 à Rome en Italie par Andrea Riccardi. Sa vocation première est l’assistance des pauvres ; d’où sans doute l’appel du souverain pontife à l’hôte togolais. Baptisée « la petite ONU de Trastevere », du nom du quartier de Rome où elle est implantée, elle est devenue au fil des années une experte en négociations de paix et en médiations politiques. On en parle aujourd’hui comme un des canaux de la « diplomatie de l’ombre » du Vatican. Entre autres pays dont le Mozambique, la Côte d’Ivoire, Sant’Egidio est intervenue pour l’apaisement (sic) politique au Togo, au vu et au su de tout le monde.
 
Elle est l’artisan du rapprochement entre Gnassingbé Eyadema et l’« opposant historique » Gilchrist Olympio au début des années 2000, puis du dialogue poursuivi par Faure Gnassingbé dès 2006.
 
« Dans ce bâtiment se sont nouées certaines choses qui sont méconnues des Togolais et qui ont ouvert la voie au succès du dialogue politique. Au moment où toutes les perspectives semblaient bloquées, la Communauté avait très discrètement pris langue avec les autorités togolaises de l’époque et avec les forces de l’opposition, notamment l’Ufc pour essayer d’entamer un rapprochement.
 
Sant’Egidio a joué un rôle important à un moment de la vie politique de notre pays, quelques mois, quelques semaines avant le décès du président Gnassingbé Eyadema. Puis le dialogue s’est noué avec Gilchrist Olympio au fur et à mesure des rencontres sous ma présidence. Ma visite en ce jour est donc un hommage et un devoir de reconnaissance à cette formidable Communauté », a confié Faure Gnassingbé, à en croire republicoftogo. C’est au regard de ces rapports que le numéro 1 togolais parle de cette visite comme d’un « retour aux sources ».
 
« Le président Faure Gnassingbé est effectivement un vieil ami de la communauté de Sant‘Egidio. Une amitié qui est née dans les moments difficiles pour le Togo et dans cette période, nous avons expérimenté la sagesse et l’intelligence politique et la capacité – il était ministre à l’époque – d’entamer un dialogue avec les différentes parties. Sant’Egidio n’est pas seulement une réalité européenne, c’est une réalité africaine, c’est un engagement fort en faveur du Togo », a déclaré pour sa part Andrea Riccardi le fondateur de Sant’Egidio, dans une interview accordée au confrère republicoftogo.
 
L’un des artisans du rapprochement entre Lomé et Sant’Egidio n’est autre que Robert Dussey, le ministre des Affaires étrangères qui en fut membre de longues années durant. Faut-il le rappeler, pour sceller ces liens, le Togo a concédé il y a quelques jours seulement, un accord de siège à la communauté afin qu’elle s’installe dans notre pays. Pour avoir sa part du gâteau ? Ce n’est pas à exclure.
 
Silence complice éhonté devant le blocage politique
Andrea Riccardi et Faure Gnassingbé jeudi 28 janvier 2016 à Rome, Italie | Photo : Republicoftogo
Andrea Riccardi et Faure Gnassingbé jeudi 28 janvier 2016 à Rome, Italie | Photo : Republicoftogo
 
Sant’Egidio croyait aider le peuple togolais en favorisant le rapprochement entre le pouvoir Rpt à l’époque et l’Union des forces de changement (Ufc) ou plutôt entre Gnassingbé Eyadema et Gilchrist Olympio. Compte tenu de la tension politique qui régnait et la suspension de la coopération avec les partenaires du Togo, cette organisation catholique voulait desserrer l’étau et amener les deux frères ennemis à fumer le calumet de la paix. C’est dans ce cadre que des pièces d’identité nationale avaient été délivrées à Gilchrist Olympio. Les conciliabules se poursuivaient entre les deux hommes représentés souvent par leurs lieutenants jusqu’au 5 février 2005 où le Général-président a passé l’arme à gauche. Des rencontres qui causaient à l’époque de l’urticaire à Me Yawovi Agboyibor et les siens, obligés de se gratter la tête. Mais les contacts déjà établis ont fait leur chemin. C’est au cours de ces tractations que Faure Gnassingbé, avec la complicité de Sant’Egidio a capté « l’opposant historique ».
 
« Après ses mémorables cafouillages d’Abuja, le leader de l’UFC s’est fait encore avoir par le « petit Eyadema » le 21 juillet 2005 au cours d’un tête-à-tête organisé à Rome par la Communauté Sant’Egidio dont la cheville ouvrière au Togo est Robert Dussey qui fait partie de la Commission nationale de Faure Gnassingbé. Le grand gagnant de cette rencontre est incontestablement Faure qui a conquis en terre italienne après un tourisme mérité en Iran, sa légitimité.
 
Gilchrist Olympio qui lui déniait dans un passé récent toute légitimité présidentielle le reconnaît enfin comme son président. Le titre du communiqué en dit long : « Le président du Togo et le leader de l’opposition radicale se sont rencontrés à Sant’Egidio : espoirs sur le chemin de la réconciliation » ». Jean-Pierre Fabre serait sage s’il qualifiait aussi cette rencontre de « nègrerie » (allusion à la rencontre secrète entre Faure et Gilchrist à Abuja au lendemain du scrutin, NDLR). Non. Comme cela s’est passé en Europe, « blancherie » ne serait pas du tout mauvais », avions-nous écrit sous le titre « Faits et gestes politiques : Gilchrist Olympio, l’autre fléau national » paru dans Liberté N°19 du 27 juillet 2005. Ne nous demandez pas ce que nous avions enduré à l’époque après la sortie de cet article.
 
Une rencontre qui avait fait sortir Me Yawovi Agboyibo de ses gonds : « Le CAR n’a pas donné mandat à Gilchrist Olympio. Les discussions que M. Gilchrist Olympio mène à Rome ne sauraient, dans ces conditions, engager le CAR ».
 
Ce sont ces conciliabules qui ont fini par aboutir au fameux accord noué le 26 mai 2010 et ouvrir une ère de collaboration entre l’« opposant charismatique » qui se considère comme « the second man of the power » et le fils de l’assassin (sic) de son père. Mais Sant’Egidio aura plutôt rendu service à Faure Gnassingbé. Il a consisté à asseoir la « dictature héréditaire » au Togo.
 
D’ailleurs les conditions de ce rapprochement étaient illustratives. Les discussions ont été menées avec le leader seul, au mépris de l’avis du parti ou de ses cadres. Cela entraînera une fracture profonde qui engendrera l’implosion du parti et le départ des cadres pour créer l’Alliance nationale pour le changement (Anc) en novembre 2010. Ce pacte était même nuisible. Une entreprise de décapitation de l’opposition fut enclenchée. Pour avoir rompu et fondé leur propre formation, un triste scénario sera monté pour chasser neuf des députés apparentés à l’Anc. Et depuis ce deal, toute opposition était matée.
 
On se rappelle que les manifestations de réclamation de sa victoire par Jean-Pierre Fabre étaient synonymes de répression, de courses-poursuites contre son véhicule sur lequel les forces de l’ordre tiraient des grenades lacrymogènes. Cet accord du 26 mai 2010 avait repris l’essentiel des recommandations de l’Apg dont la mise en œuvre des réformes constitutionnelles et institutionnelles et était presqu’appelé Apg bis.
 
Mais jamais ses clauses n’ont été respectées, à part l’entrée des Amis de Gilchrist Olympio (Ago) au gouvernement ou dans d’autres structures dont les conseils d’administration de sociétés. Mais aussi curieux que cela puisse paraitre, jamais les responsables de Sant’Egidio dont la notoriété est pourtant engagée, n’ont levé le petit doigt pour appeler le pouvoir à honorer son engagement, notamment concernant les réformes qui avaient été formulées dans l’intention de la décrispation de l’atmosphère politique.
 
Etant partie prenante de l’instauration de la « dictature héréditaire », l’église catholique togolaise ne peut pas se dédire. Ce ne sont que des sorties sporadiques qui ont été faites par les évêques, au détour de conférences épiscopales et des appels hypocrites lancés aux acteurs de la classe politique (sic) et non directement au pouvoir Faure Gnassingbé qui a toutes les manettes en main. Sans réel engagement des dignitaires de l’église au Togo, au contraire de ce que l’on constate dans d’autres pays où le clergé n’hésite pas à dire la vérité aux gouvernants en place sur des questions politiques sensibles, et même à appeler le peuple à s’opposer à leur envie de s’ accrocher au pouvoir.
 
C’est le cas notamment au Burkina Faso et en République démocratique du Congo (Rdc). La situation est restée en l’état au Togo. Certains croient même dur comme fer que l’indifférence de l’église togolaise est due aux ordres venus du Vatican.
 
Depuis 2006, la question des réformes reprise par l’accord scélérat du 26 mai 2010 qui porte l’empreinte de l’église est restée en l’état. Les rares tentatives de mise en œuvre se sont heurtées à l’obscurantisme du pouvoir. En l’absence des réformes, Faure Gnassingbé a simplement prétexté de la Constitution en vigueur (sic), celle de 2002 tripatouillée par son défunt père pour briguer un 3e mandat.
 
Le silence de Sant’Egidio sonne, au demeurant, comme une caution ouverte à la dictature des Gnassingbé au Togo. Et pour des observateurs, l’accord de siège qui ouvre l’installation dans notre pays d’une représentation de la communauté n’est qu’une sorte de « rétribution », de « gratitude du pouvoir pour remercier l’église pour son assistance ô combien utile qui a permis de fragiliser l’opposition». T
 
out comme on le voit souvent, avec les multinationales occidentales qui raflent des marchés dans des pays où leurs pays d’origine ont fait la guerre…L’église donne l’impression d’adouber le régime en place par son silence, abandonnant ainsi le peuple dont font partie intégrante ses fidèles.
 
Source : [05/02/2016] Tino Kossi, Liberté : 27avril.com
 

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