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« Il est sans comparaison plus facile de faire ce que l’on est que d’imiter ce que l’on n’est pas ». Cette réflexion d’un véritable homme d’Etat, Louis XIV, roi de France, laissée à la postérité dans ses Mémoires, conforte la prudence et le doute qu’alimentait le revirement tapageur de Mensan Gabriel Agbéyomé Kodjo.
 
Mr. Kodjo s’éclatait d’un délire zoopathique de mépris et de naissance contre son ancien cocon politique, notamment, en mettant en relief la nullité du fils héritier d’Eyadéma, ses petitesses viscérales, ses qualités creuses, ses ordures dionysiennes, ses tares insoupçonnés, sa valeur de pacotille, sa dimension criminelle, ses horizons politiques inexistants, son inhumanité rebutante, ses qualités intellectuelles douteuses à faire accoucher des avortons politiques… Pour garder une certaine « pureté » de sa « race politique », il avait fait le serment devant le peuple togolais de ne jamais se salir les mains et déroger de sa « race » pour composer avec la pire espèce d’une descendance frappée du sceau de la délinquance meurtrière.
 
Agbéyomé Kodjo, cet homme aux veines gonflées d’humeurs parfois trop brutales et irascibles qui butine au nectar des prétentions les plus folles est bien connu de nos concitoyens du règne du « Timonier », de ses pulsions de démolisseur, de ses vieux instincts redoutables, de son zèle foudroyant à briser toute contrariété politique en défaveur de l’éternité au pouvoir de son mentor qui le dégoulinait du venin à administrer aux contestataires de son régime.
 
Les torpilles au renouvellement politique, à la lutte démocratique portée par la mobilisation populaire n’étaient pas non plus excentriques à ce personnage des rendez-vous de la terreur qui nourrissait le secret désir d’une succession princière sans être de la lignée de sang pur. Quand le « vieux Timonier» usé s’était rendu compte que cet homme de main visait plus loin qu’il l’eût autorisé, il s’était permis de le passer à la tronçonneuse. Mais, le félin dauphin supposé esquiva la foudre par un bond spectaculaire par-dessus nos frontières pour un exil de diatribes, de brûlots et de pamphlets nourris contre celui que lui-même proclamait de sa ritournelle sur le podium propagandiste : « Vous voulez ou vous ne voulez pas, Eyadéma est le seul capable de conduire le Togo ».
 
Agbéyomé ignorait, entre temps, que les cimetières sont remplis d’hommes indispensables et que le monde continue de tourner sans eux. Mais, l’exil forcé lui a imprimé subitement quelque éclaircie sur ses propres contradictions qui participa de sa décision de rentrer au bercail pour s’offrir un champ politique personnel de substitution et de conquête du pouvoir. Comme il s’était trop isolé des rangs du RPT, naturellement, il avait pris le manteau d’opposant avec des slogans acides qui amusaient le public sans convaincre grand nombre. L’image d’homme complètement reconverti se fait dans une épreuve de longue durée. Et ceux qui aiment le royaume des honneurs sans de grandes vertus sont de petite foi dont ils se dégonflent très vite dans l’âpreté du combat. En politique, ceux qui ont plus d’appétit que de dîners, quand ils ne sont pas de grandes valeurs éthiques, succombent à toutes les tentations, à l’immédiateté du gain sans se poser objectivement la question sur la dynamique sociale, ses sacrifices, ses finalités, et le devenir commun promis à des populations peut-être naïves.
 
Que peut-il se passer dans l’équilibre de la personnalité d’Agbéyomé Kodjo, qui haranguait des foules sur l’idée de changement et du départ urgent et nécessaire de « Bébé Gnass » du pouvoir, aujourd’hui dans sa posture d’accompagnateur ?
 
En sachant qu’un homme politique ne saurait être statique et complètement figé, doit-il se permettre, sans frisson d’intelligence et sans la moindre considération pour lui-même et pour son peuple, tant d’écarts coupables ?
1- L’homme, sa personnalité, ses tourments
 
Les rebonds de pétard dont le tonitruant ex-ministre d’Eyadéma est coupable, tant dans son long séjour au RPT que dans son passage éclair à l’Opposition arrosé de formules à tirer des obus sur Faure Gnassingbé, sa faillite intellectuelle et éthico-morale, nous éveillent à la curiosité de faire une brèche sur les tissus fondateurs de l’homme, c’est-à-dire, sa personnalité de base, le tourbillon éternel qui constitue une écharde jamais exorcisée son être et ses vacillants clignotements fort spéciaux.
 
Dans son oeuvre, La personnalité de base, Ralph Linton insiste sur la lecture particulière des hommes, leur historicité, leur temporalité, leur parcours, leur trajectoire pour déterminer le répondant approprié à élaborer sur leur cas, les espérances qu’on peut attendre d’eux, les chutes qu’ils sont capables de provoquer dans la collectivité, les entraînements qu’ils peuvent charrier afin d’échafauder une anticipation qu’inspirent leurs marges de cantonnement comportemental. Quand on ne connaît pas très bien comment les hommes fonctionnent, de surcroît ceux qui aiment prendre l’ascenseur de leaders, on s’égare des choix qu’on fait en leur faveur et on se sent après coup trahi.
 
L’approche sociologique, psychologique, psychanalytique interconnectée permet d’accéder au « background » de la personnalité pour circonscrire les possibles, les déterminations, les mobiles et les motifs qui le font agir, l’équilibre qu’on exige de sa transcendance, de ses efforts… Sigmund Freud, dans Les trois essais sur la sexualité conçoit l’homme comme une histoire, celle de son enfance. Pour lui, « L’enfant est le père de l’homme ». Notre évolution n’opère jamais une rupture définitive avec notre enfance. Un homme qui a connu les affres de la faim dans son enfance et qui s’est forgé un caractère à s’agripper à n’importe quoi pour s’en tirer a en lui une résistance de baroudeur sans forcément avoir des repères éthico-moraux.
 
Agbéyomé Kodjo, lui même, raconta lors d’un meeting à la plage un épisode terrifiant de sa vie d’élève où il vivait dans le dénuement complet et la faim qui ont motivé son vol de chinchard fumé sur un marché hebdomadaire, à une revendeuse de poisson apparemment distraite. Cette confession publique n’est pas absolument malheureuse. Elle participe d’un soulagement d’un traumatisme psychique.
 
En revanche, elle nous aide à comprendre le caractère intrépide de l’homme à l’effraction, sa propension à la transgression, les escalateurs dont il est pourvu, les fins particuliers qui le portent à briser tous les totems et les tabous, le principe de réalité auquel il s’accommode sans un frisson moral.
 
En réalité, Agbéyomé est habité par « une volonté de puissance » au sens nietzschéen du terme, il n’a que son objectif à attendre quel que soient les moyens et les immondices dont ils sont couverts. Il est armé d’une force de triomphe à piétiner le monde, à sauter les verrous de la décence et des privations légales pour réaliser son être, accomplir ses voeux, matérialiser ses objectifs. Il ne peut pas avoir la patience des grandes vertus, la douleur de la construction morale, la trajectoire des grandes âmes, le parcours patient de l’exemplarité. L’ivresse de l’objectif le détourne de la normalité de la démarche à suivre et le recours aux raccourcis trop faciles le bascule dans les ténèbres, dans la grande faiblesse des détours du faux, du mensonge et peut- être du crime.
 
Il y a des tranches de vie qui fondent l’homme, qui le rendent malade de lui-même, de son histoire propre. Il n’y a rien à proprement parler à espérer d’Agbéyomé Kodjo, malade de lui-même, de sa « volonté de puissance », de ses déguisements permanents. Il faut plaindre cet homme perdu. Quand on est incapable de tirer les conséquences logiques de ses propres développements, de ses propres sermons et serments, on perd toute notion de responsabilité. Il vociférait mille fois : « Je ne servirai jamais Faure Gnassingbé qui a trucidé 1000 Togolais pour prendre le pouvoir » ; « Je connais Faure Gnassingbé mieux que quiconque… On ne bondit pas du néant pour atterrir au sommet, surtout lorsqu’on a une addiction à la fête et aux plaisirs hédonistes de la vie ».
 
Les Nations-Unies par leurs enquêtes sur la tragédie d’une succession connaissent la triste dimension étriquée du fils d’Eyadéma autant que le monde entier et les Togolais. Se mettre à la vitrine avec un tel personnage affublé de toutes les impairs par un politique comme Agbéyomé sans qu’il ne se sente froissé, se flanquer aux côtés d’un tas d’immondices et lever le front haut, voilà ce qui est de terrifiant pour les Togolais. De quelle étoffe cet homme est-il ? Comment pouvons-nous croire à ces paroles, à ses actes, à sa restitution des massacres de Fréau Jardin qui n’a jamais été confirmée ni par maître ( Yawovi) Agboyibo ni par le professeur ( Messan ) Gnininvi ? Dans les faits, le fondateur d’OBUTS se déguise à tout le monde jusqu’à lui même. André Gide, dans L’Immortalité nous invite à comprendre une chose essentielle : « On ne peut être à la fois sincère et le paraître ».
2- Agbéyomé en situation de chauve-souris
 
Quand l’esprit échoue à rendre l’évidence pour en tirer des références, il faut savoir qu’il est trop faible pour respecter les règles de la logique ou qu’il s’en détourne par mauvaise conscience pour s’accommoder complaisamment au déguisement, à la falsification et à l’immortalité. Mais, le prix à payer pour nos inconduites, pour nos fautes volontaires vient au galop et nous rattrape. Nos camouflages éphémères volent en éclats parce que sortir de la vérité et du bon sens nous expose dans une fragilité nue tel un verre de terre.
 
Il faut savoir bondir de colère devant les grands coupables de l’histoire, quand ils sont reconnus comme tels et que notre conscience se heurte à accepter les crimes qu’on leur reproche. Accepter leur invitation arrosée après de longues diatribes réprobatrices et véhémentes sur leur parcours fangeux et lorgner des dividende à tirer d’eux, c’est être abject ou proclamer son propre affaissement éthico-moral dans un brasier d’auto-consumation. Ce qui fait un homme n’est rien moins que sa responsabilité entière assumée dans la dignité. Le slalom de l’appétit de vivre par la compromission, entre le rejet proclamé et la mauvaise conscience, entre la désapprobation et le mercantilisme de la guillotine éthique nous offre une sépulture indécente.
 
Le sauvetage manqué d’Agbéyomé Kodjo est une grande faiblesse. Il ne s’est pas rendu compte qu’il est très loin de ses bases originelles et que sur les rivages du parti dont il a coupé les ponts, il n’y a plus une terre promise. Cette situation est celle qui amuse spécialement le Rpt/ Unir. Il lui en donnera le grossivement en plusieurs formats pour décourager d’éventuels déserteurs inconséquents de ses rangs et affirmer sa solidité à renverser les pseudo-téméraires en mal de sensation qui, de leur évasion puérile ne peuvent jamais aller loin dans leur aventure insolente. Jamais le Rpt/ Unir ne se met à réhabiliter ceux qui défient ce parti, surtout après en avoir fait une ascension sociale. Le confinement périphérique et la mort lente, c’est le coup médiatique de démolition sournoise parfaitement insidieuse que le régime réserve aux départs ratés de ses rangs. Il les considère comme des trahisons qu’il fait payer fort chères pour dissuader les faux-inspirés qui allument des tempêtes à l’intérieur du parti.
 
L’ex-dauphin supposé du « Timonier » est dans un engrenage politique qu’affectionne l’instinct revanchard de triomphe qui tient le vieux parti cinquantenaire. Ce cadeau de voyage arrosé en Italie est la ciguë préparée à un pour le précipiter dans les falaises politiques. En politique, il y a des erreurs dont on ne peut pas se remettre quand on est à une période d’essai et sur le palier de dilettante. Il y en a d’autres, quand on arrive au sommet et qu’on s’y livre, les possibilités de rachat sont quasi inexistantes.
 
Mais, ceux qui dégringolent du piédestal de l’histoire de façon aussi pitoyable que sonore sont, selon Hegel dans La raison dans l’histoire, dans l’oeuvre d’autodétermination de leurs propres actes, de leur propre culpabilité. Ils sont dans les suites d’une oeuvre souveraine de la justice immanente à la nature elle –même. On ne peut pas faire carrière en s’amusant avec le sang des hommes, le sang des Togolais ou donner caution sans passer par l’enclume des représailles de l’histoire par- delà la faiblesse des pauvres victimes. Dans La chute, Albert Camus nous délivre cette vérité existentielle : « N’attendez pas le jugement dernier. Il a lieu tous les jours ». Les exemples sont légions sous nos yeux. Agbéyomé peut fermer les yeux sur ce qui arrive aux autres, même à ses propres amis. Les fruits jaune-or du mirabellier sentent très bons sans faire du bien au palais.
 
Dans tout ce que la nature opère, il y a une patience, une méthode, une spécificité, mais rien ne se fait brutalement surtout quand l’abaissement met en relief l’audace d’un déclassement humain. Un soleil d’hiver est trop faible pour éclairer un visage lugubre de honte, jamais il ne se réchauffe. Quelle pitié pour les politiques qui sont sur l’échafaud d’une illusion ! La soif du tapis rouge et des honneurs les livre à une tauromachie où ils succombent pitoyablement de leur aveuglement.
 
Il n’y a rien de plus laid que le mensonge dans un vieillard. Et ceux qui pensent que cet homme a de l’expérience à faire valoir, comme lui-même aime à le diffuser pour se mettre en exergue dans une morbide autosatisfaction de son parcours, manquent de lucidité pour comprendre que l’expérience n’est qu’une somme d’actes accumulés dans la durée. Quand elle est mauvaise, elle marque négativement le développement de la personnalité. Nous sommes en partie ce que nous fûmes, nous serons essentiellement ce que nous sommes. Pour Nietzsche : « Le malheur de l’homme, c’est d’avoir été enfant ».
 
Source : [01/09/2015] Didier Amah Dossavi, L’Alternative N°453 / 27avril.com
 

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