Cette interrogation vient d’un ouvrage portant sur le développement de l’Afrique et conjointement publié par l’Agence française de développement (AFD) et le Groupe de la Banque Mondiale sous le titre : « La transition démographique de l’Afrique/Dividende ou catastrophe ? ». L’agenda de l’Union Africaine portant sur les dividendes que le continent pourrait tirer de sa démographie concerne tous les pays et la tranche d’âge comprise entre 15 et 64 ans. Pour la Banque Mondiale et l’AFD, trois effets conjugués doivent se produire. Les autorités togolaises s’inscrivent-elles aussi dans cet agenda, ou bien ne pensent-elles qu’au maintien du statu quo ? Mais une chose est certaine, le nombre grandissant de chômeurs et l’oisiveté de la majorité de la tranche d’âge sus-mentionnée n’est pas un facteur de sécurité et de stabilité.

« Les investissements effectués aujourd’hui dans la jeunesse, laquelle représente le plus grand atout de l’Afrique, détermineront la trajectoire de développement de l’Afrique au cours des 50 prochaines années et placeront le continent sur la voie de la réalisation de « l’Afrique que nous voulons », un acteur et partenaire mondial puissant, uni et influent tel qu’envisagé dans l’Agenda 2063 », avions-nous lu dans la Feuille de route de l’Union Africaine sur comment « Tirer pleinement profit du dividende démographique en investissant dans la jeunesse ». Mais aujourd’hui, les deux institutions se montrent dubitatives.

Le concept de dividende démographique a été introduit à la fin des années 1990 pour décrire l’interaction entre les changements dans la structure de la population et la croissance économique rapide en Asie de l’Est (Bloom, Canning et Malaney 2000 ; Bloom et Williamson, 1998). Le premier dividende démographique, qui dope l’économie, concerne l’impact sur l’offre de main-d’œuvre des changements de la structure par âge de la population. Ce dividende peut intervenir si trois effets se produisent.

Tout d’abord, l’amélioration de l’état de santé des populations, et en particulier des enfants, augmente le taux de survie des enfants et contribue à baisser le nombre d’enfants nés de chaque famille, étant donné que le nombre total d’enfants que voudront avoir les familles diminuera. La combinaison de l’augmentation du taux de survie infantile dans une cohorte et de la plus petite taille des familles dans les cohortes suivantes entraîne l’apparition d’une génération nombreuse, c’est-à-dire d’une large cohorte qui fait son chemin à travers la structure par âge, avec d’importants effets macroéconomiques.

Deuxièmement, les investissements dans la santé et l’éducation sont plus élevés dans les cohortes qui suivent l’apparition de la génération nombreuse. Vu que les familles ont moins d’enfants, elles disposent de plus de ressources par enfant pour investir dans l’éducation et la santé des enfants survivants, et c’est aussi le cas pour les pouvoirs publics, ce qui conduit à une augmentation du capital humain (Kalemli-Ozcan, Ryder et Weil, 2000 ; Schultz 2005). L’offre de main-d’œuvre est d’ailleurs aussi stimulée par le fait que la faible fécondité permet à davantage de femmes d’intégrer la population active (Bloom et al., 2009).

Troisièmement, il faut un contexte économique favorable qui permette à cette génération nombreuse de trouver des emplois bien rémunérés et leur éviter de manquer d’emplois ou d’être contraints de prendre des emplois peu productifs. Si ces trois étapes sont correctement franchies et au moment opportun, il se produit un dividende économique quand la grande cohorte commencera à travailler dans des emplois hautement productifs, stimulant alors le revenu des ménages et le revenu national. Il est nécessaire d’assurer un environnement économique favorable pour que cette cohorte en nette hausse puisse trouver des emplois bien rémunérés plutôt que d’être simplement sans emploi ou contraints de prendre des emplois à faible productivité. Si les trois étapes sont réussies et franchies au moment opportun, il se produit un dividende économique car la grande cohorte va prendre des emplois hautement productifs, ce qui stimule le revenu familial et national.

En plus de ce premier dividende basé sur une offre de main-d’œuvre productive, un second dividende potentiel peut résulter de l’épargne et des investissements de cette génération nombreuse alors qu’elle avance en âge et économise en vue de la retraite. Ce dividende ne peut apparaître que s’il y a des politiques permettant de promouvoir l’épargne et que le secteur financier est suffisamment développé pour attirer l’épargne et l’utiliser pour financer des investissements productifs. Plus tard, la génération nombreuse vieillira, conduisant à un taux élevé de dépendance des personnes âgées et il faut donc que l’épargne soit suffisante pour financer la retraite de la cohorte et ses besoins en matière de santé.

Il n’est pas assuré qu’il y ait un dividende démographique dans tous les pays. Si, par exemple, la baisse du taux de natalité se fait lentement, les investissements dans l’éducation sont moins probables parce que les familles et les pays disposeront de moins de ressources par enfant. Si les réformes économiques ne sont pas réussies et que pas assez d’emplois à haute productivité sont créés, l’augmentation de l’offre de main-d’œuvre pourrait ne pas être utilisée de façon productive et les revenus n’augmenteront alors pas de façon conséquente. S’il n’y a pas de réforme du secteur financier, les économies de cette large cohorte ne se matérialiseront pas en volume suffisant pour stimuler l’investissement.

Bien qu’il n’y ait pas de garantie que le dividende démographique se réalise, si la taille des familles ne devait pas diminuer, cela pourrait exposer les pays à des risques supplémentaires. La grande cohorte de jeunes qui apparaît quand la mortalité infantile commence à décliner met une pression énorme sur les ressources des ménages et des pays. Le dividende démographique ne se produit que lorsque la fécondité diminue et que les cohortes suivantes sont plus petites, baissant alors le taux de dépendance des jeunes et permettant des investissements plus élevés par enfant. Sans baisse de la fécondité, les pays devront faire face à une population augmentant sans cesse et à des cohortes de jeunes toujours plus grandes. Les enfants seront alors encore plus exposés à des risques sanitaires, à la malnutrition et au manque d’investissements publics et privés dans l’enseignement. Cela peut se traduire par des taux de dépendance des jeunes plus importants, une pauvreté plus élevée, un chômage ou un sous-emploi plus élevé et des risques accrus d’instabilité. La démographie fixe peut-être la destinée des pays, mais ceux-ci peuvent élaborer des politiques qui leur permettent d’essayer d’en tirer un dividende plutôt qu’un désastre.
 
source : Liberté
 

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