Tikpi Atchadam

« Notre vie commence à s’arrêter le jour où nous gardons le silence sur les choses graves » – Martin Luther King Jr

 
Je m’en vais d’abord vous dire merci M. Tikpi. Je me joins ainsi à la grande majorité des Togolais et même des simples amoureux de la vie qui partagent l’idéal de la liberté et de la démocratie à travers le monde. Merci pour l’intérêt pour votre peuple et la passion pour la liberté que vous avez su magistralement porter au Togo avec panache et courage face à une des plus cruelles dictatures au monde.
 
La force et la justesse de l’analyse qui sous-tend votre action, la rectitude de la démarche et surtout la juste humilité de son expression ont forcé et continuent de forcer mon respect et celui de bon nombre de nos concitoyens.
 
Le peuple ne s’y est pas trompé. L’accent de vérité a trouvé en résonance l’oreille de son cœur. Il s’est donc levé. Il a surtout perçu le pont subtil et pourtant primordial que vous établissez entre l’histoire du Togo interrompue ce funeste soir du 13 janvier 1963 et sa continuité que tu proposes désormais en mettant hors jeu la voie substituée de l’imposture cinquantenaire qui préside aux destinées de l’État togolais.
 
La marche du 19 août 2017 restera gravée dans la mémoire collective comme le début de la fin du régime des Gnassingbé. Elle sera surtout le début d’une ère nouvelle et l’invitation pressante à l’avènement d’un homme politique nouveau au Togo. Ce n’est pas la moindre de vos victoires, cher Tikpi et je vous en suis très reconnaissant.
 
Il convient désormais, pour l’ensemble de l’opposition, de se hisser à ce niveau d’exigence et de probité et d’être à la hauteur de l’enjeu. Le peuple togolais ne peut plus souffrir de voir les errements et tergiversations motivés par les égos mal réglés qui ont fait pendant 50 ans le lit du régime en place et le malheur du peuple.
 
L’opposition dans son ensemble semble enfin sortir de sa léthargie, percevoir la gravité de la situation et la nécessité impérieuse d’une oblation sincère pour l’avènement d’un Togo nouveau.
 
Salut l’artiste !
 
Je salue ici cher frère, l’humble et habile accent de votre appel à l’unité et symétriquement l’accueil attentif que Jean-Pierre Fabre et la majorité de l’opposition lui ont réservée. Ensemble désormais, coude à coude, cœur à cœur., il n’y a aucune raison que le peuple ne vous suive pas et que ce régime ne tombe inéluctablement. J’invite les membres de la nouvelle jonction démocratique au sens de l’État et M. Jean-Pierre Fabre à qui je tiens à préciser que le statut de chef de file de l’opposition ne donne aucun surcroît de légitimité au sein de cette coalition nouvelle. Tikpi a reconnu en vous, avec une humilité touchante le grand frère, le primus omnes pares, celui à qui il cède volontiers le témoin d’amplificateur dans le cadre du nouveau cadre programmatique et revendicatif tracé par la nouvelle coalition de combat. Ce faisant, M. Atchadam vous faites montre de force d’âme qui vous fait percevoir l’intérêt supérieur de la nation. Vous reconnaissez sans arrogance ni forfanterie l’utilité du combat mené par les autres partis d’opposition même si, je le confesse, la stratégie jusque là adoptée, n’avait aucune chance d’aboutir face à un pouvoir aussi autoritaire que le régime togolais. La rupture opérée est décisive. La part prise par les leaders politiques successifs de l’opposition n’est pas négligeable. Le souligner en le prenant humblement à votre compte vous a véritablement grandi.
 
L’Union De La Force, La Force De L’Union
 
Frère Tikpi, votre appel clair et humble en direction de l’ANC et de toute l’opposition a donné une couleur historique particulière qui n’a pas fini de produire tous ses effets. Par cet acte, vous avez atteint la gravita qui fait l’étoffe du véritable homme d’État et montré le génie de l’homme politique doté d’une claire vision de sa mission au service de son peuple. En posant cet acte vous n’avez pas emporté la victoire sur la satrapie malgré la justesse de la vision faute de taille critique nécessaire pour renverser seul ce régime sanguinaire. Mais, croyez-moi, vous avez catalysé, en les libérant, les énergies nécessaires à sa chute inéluctable. Et pourtant vous connaissez, pour les avoir fréquentés, ces foules d’opposants qui ne savent malheureusement pas faire foule. Des chiens qui aboient et qui ne troublent en rien le sommeil du tyran puisqu’il sait qu’ils ne mordront jamais. Ces marches qui prêtent à la condescendante rigolade, la tape fraternelle et complice dans le dos qui semble dire « salut mon pote. Tu es mon soutien le plus sûr ». C’est cette torpeur assassine, cette tranquillité des copains et des coquins que le PNP et Tikpi viennent de perturber dans ses bases les plus sûres. Tikpi a mis le pied dans la fourmilière. Et il a bien fait.
 
La main tendue au « grand frère » Jean-Pierre met celui-ci enfin devant ses responsabilités. Le « moi ou rien » prendra-t-il encore le dessus ? semble lui demander le « petit frère » Tikpi. Stratégiquement le PNP se positionne comme le parti du présent et du proche avenir. Fabre n’a tout simplement pas les moyens de se soustraire aux rets serrés de ceux qui jusqu’à présent le tiennent si fermement avec pour mission de tromboner les troupes et d’anesthésier toute velléité émancipatrice du peuple. Tikpi aurait donc commis une erreur stratégique en tendant la main à un tel opposant ? Point du tout. Le contraire aurait été une faute politique majeure.
 
Jean-Pierre Fabre est désormais confronté à son ombre portée sur une bonne partie des militants sincères de l’ANC. Ils verront progressivement et s’affranchiront d’une telle emprise, s’il ne mène pas cette lutte jusqu’à la victoire. C’est inéluctable. Fabre est assis désormais entre deux chaises : continuer à « soutenir » la dictature en allié objectif ou participer à la libération du peuple. Il n’a donc que des coups à prendre de part et d’autres. Soutenir clairement enfin l’opposition c’est s’exposer à l’ire du pouvoir qui l’a fait chef de file de l’opposition (CFO). Basculer tout à fait clairement du côté du pouvoir, c’est prendre le risque de perdre sa « clientèle » de l’ANC, le fonds de commerce qu’il monnaye vis-à-vis du pouvoir, très content de le manipuler à travers son statut d’institution de la nation.
 
Reste le scénario du « passager clandestin » chargé de freiner l’élan de l’intérieur en aiguillant l’opposition et le peuple sur des stratégies sous-optimales comme Fabre sait bien le faire. Le but de la manœuvre étant clairement de donner du temps au pouvoir pour mettre en marche la machine répressive surprise par la profonde soudaineté de la mobilisation populaire, pour organiser la contre-offensive et pour décimer le PNP en le frappant à sa tête et dans ses structures. Jean-Pierre Fabre pourrait avoir la tentation de récupérer le mouvement à son compte, de continuer à préserver le pouvoir en place tout en se débarrassant d’un concurrent performant et gênant.
 
Les atermoiements enregistrés depuis le 20 août 2017, la chasse aux sorcières et aux militants du PNP, l’abattage militaire sur les instances du PNP et la ville de Sokodé et de Kara, les campagnes de désinformation, d’intimidation et de dénigrement organisées par le pouvoir viendraient prendre précisément place dans cet espace aménagé habilement par l’ANC. La quasi clandestinité à laquelle M. Atchadam semble contraint favoriserait la mise en place de ce plan machiavélique. Jean-Pierre Fabre soutiendrait-il son petit frère Atchadam comme la corde soutient le pendu ?
 
Heureusement et contre les apparences, la main tendue de Tikpi a rencontré plus celle de Brigitte Adjamagbo que celle de Fabre. C’est une autre histoire qui s’amorce sous leur impulsion. Exit l’ANC et ses stratégies « collaborationnistes » ? La réponse à ce scénario réside dans le discours très porteur du retour à la constitution de 92 et le vote de la diaspora qui met le pouvoir dos au mur.
 
Le contenu revendicatif actuel est véritablement une idée géniale. Elle situe idéalement le débat au niveau constitutionnel et donc du peuple à travers ses représentants. Il pointe du doigt la forfaiture de 2002 qui a constitué à violer par un acte unilatéral la volonté massivement exprimée par le peuple par la voie référendaire. En invitant en filigrane le peuple à réclamer son dû, M. Atchadam met le pouvoir face à ses responsabilités en le sommant de réparer le dommage causé en 2002. Il enserre le pouvoir touché au cœur, dans un double pont stratégique où le retour ou non à la constitution de 92 signifie son arrêt de mort. Cette constitution semble ne pas être pour certains observateurs la panacée puisque par deux fois, le pouvoir a pu frauder avec elle. Mais l’instrument des anciennes forfaitures est devenu le point d’achoppement d’aujourd’hui. Un retour à la constitution de 92 signifie mutatis mutandis la fin du règne du clan Gnassingbé puisque le texte constitutionnel prévoit que : « en aucun cas nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ». Il règle au passage le fumeux problème de la rétroactivité de la loi constitutionnelle. Ce texte restauré, d’application immédiate, exclue de facto Faure Gnassingbé qui exerce son troisième mandat depuis 2015. Le résultat est très exactement ceci : « Faure dégage » selon la volonté souveraine du peuple. Le tyranneau est sommé de s’exécuter ou de se démettre. Telle est l’équation et tel paraît le génie politique du stratège Tikpi. Il a su aller bien plus loin que la simple revendication autour des réformes institutionnelles et constitutionnelles qui laissent toute latitude à l’exécutif pour réaliser à travers la commission Nana une autre énième « sodomisation » du peuple.
 
Dialoguer, Négocier avec la Dictature ? Voilà le Danger !
 
Aujourd’hui, le risque réside dans l’édulcoration progressive de cet axe puissant de revendication par un retour à la demande classique de réformes incombant à l’action de l’exécutif, sous sa conduite et probablement selon les règles qu’il aurait arrêtées. Le calendrier du pouvoir vient d’être accéléré à cette fin. La mise en place de négociations, de dialogues, de missi dominici … ne peut qu’affadir la mobilisation et donner du temps et des issues au pouvoir en lui permettant, comme dans les années 90, de se maintenir contre la volonté du peuple.
 
Ce risque n’est pas neutre. La commission Awa Nana vient d’annoncer l’arrêt de sa tournée hautement controversée et il n’est pas douteux que le pouvoir va, à la place de son départ massivement souhaité par le peuple, se contenter d’imposer la forfaiture constitutionnelle déjà arrêtée et tailler une constitution sur mesure au tyranneau Faure Gnassingbé pour lui assurer un règne ad vitam sur le Togo envisagé comme un butin familial. Élection présidentielle à deux tours portant sur un mandat de 7 ans renouvelable une fois et la remise des compteurs à zéro. Il suffirait ensuite d’organiser une campagne nationale et internationale intense prouvant l’effectivité des réformes réclamées par le peuple togolais. La diabolisation, l’accusation d’ethnicisme, de djihadisme, de va-t-en guerre… devraient parachever la forfaiture. Attention donc aux négociations et dialogues qui n’ont jamais servi que le dessein de la dictature.
 
Tikpi semble avoir perçu dans sa grande lucidité ce risque en tentant d’endiguer les acteurs récurrents d’une telle démarche. Fabre et ses partisans sont rentrés nolens volens dans la danse en infléchissant l’axe de leurs revendications proprement improductives. En appelant les anciens opposants des années 90 Joseph Kokou Koffigoh, Edem Kodjo, Gilchrist Olympio et Yaovi Agboyibor à sortir de leur silence coupable par rapport aux violations massives des droits des citoyens notamment à Sokodé, Tikpi met à nu ces anciens caciques de la dictature déguisés en opposants. Il les somme de « se mouiller » ou de disparaître. Il s’agit d’un dévoilement ultime de ces politiques « véreux » qui se terrent en attendant de tirer les marrons du feu à la poursuite du rêve de constituer une alternative en mettant dos-à-dos l’oppresseur et l’opprimé. C’est assassin. Tikpi les pointe du doigt et les désigne au peuple comme ce qu’ils sont et ont toujours été : les traîtres de la cause du peuple. Il se prémunit habilement, par cet appel qui pourrait paraître aux yeux des observateurs non avertis comme une faute de dispersion des forces du changement, contre ce qui constitue depuis les années 90 la faiblesse intrinsèque et récurrente de la lutte du peuple : la tendance à la négociation et aux compromis toujours en faveur du pouvoir que chacun de ces acteurs politiques a toujours prôné. Il s’agit ni plus ni moins que d’une stratégie d’endiguement de ceux qui ont encore une capacité de nuisance qui pourrait affaiblir la mobilisation. Tikpi venait donc de les disqualifier. Là aussi la stratégie de Tikpi a fait merveille car, ne l’oublions pas à la suite de Martin Luther King : « A la fin, nous nous souviendrons non pas des mots de nos ennemis, mais des silences de nos amis »
 
Jean-Baptiste K.
 

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