Le rapport d’activités exercice 2018 de la Commission nationale des droits de l’Homme est désormais disponible. Le document retrace le fil des actions menées par ladite commission au cours de l’année dernière. Divisé en deux parties, le rapport fait l’état des actions de promotion (1ère partie) et de protection (2ème partie) des droits de l’Homme. C’est à cette dernière partie que nous nous sommes intéressé parce qu’elle fait le point des litiges entre les individus, d’une part, et entre ces derniers et les différentes institutions du pays.

La première partie des activités menées par la Commission en 2018 est relative aux requêtes dont elle a été saisie par les populations. Le rapport révèle qu’au cours de l’exercice 2018, la CNDH a enregistré au total soixante-dix (70) requêtes dont certaines ont été classées irrecevables après étude. « Ainsi 37 requêtes ont été déclarées irrecevables. Cette irrecevabilité tient le plus souvent à l’incompétence de la Commission pour connaître de certaines affaires », souligne le rapport.

33 requêtes ont donc été déclarées recevables par la Commission. « Les allégations de violation des droits enregistrées concernent majoritairement les droits civils et politiques (81,81%). Dans cette catégorie, les plaintes portant sur les détentions arbitraires sont au premier rang…  S’agissant des droits économiques, sociaux et culturels, le faible taux peut s’expliquer par la méconnaissance de cette catégorie de droits par le citoyen. Cette situation interpelle les organisations de défense des droits de l’homme pour l’intensification des activités de promotion sur lesdits droits », rapporte la CNDH.

Elle a établi un classement qui permet de se faire une idée du degré d’implication des différentes administrations dans les affaires de violation des droits de l’homme. Parmi les administrations citées, le ministère de la Sécurité et de la Protection civile (27,27%) figure en bonne place. Il est suivi du ministère de l’Administration territoriale (24,24%) et du ministère de la Justice chargé des Relations avec les Institutions de la République (15,15)%. « Il est reproché au ministère de la Justice chargé des Relations avec les Institutions de la République un déni de justice et des détentions arbitraires. Cette situation est le résultat de la lenteur administrative et de détentions préventives longues. C’est le lieu de rappeler à ce ministère la nécessité d’appliquer les dispositions du code de procédure pénale en la matière qui font de la détention préventive une mesure exceptionnelle », lit-on dans le rapport.

S’agissant du ministère de la Sécurité et de la Protection civile, le rapport assure qu’« il existe de bonnes raisons de penser que dans l’exercice de ses fonctions régaliennes, des risques potentiels de violation des droits de l’homme sont redoutés ».

En ce qui concerne le ministère de l’Administration territoriale, « il lui est reproché de s’ingérer dans la désignation des chefs traditionnels, gardiens des us et coutumes. Il importe d’insister sur le strict respect du mode de désignation des chefs traditionnels, conformément aux réalités de chaque milieu », indique la CNDH.

Sur les 33 requêtes jugées recevables, 11 ont été clôturées. « Les requêtes clôturées sont celles qui ont été instruites et ont connu une issue. Au titre de l’exercice 2018, 11 requêtes ont été clôturées dont 03 non fondées et 08 fondées. Les requêtes non fondées sont celles dont les allégations de violation de droits des l’homme ne sont pas avérées après investigations. Les requêtes en cours sont celles dont les investigations n’ont pas encore abouti. Ainsi, 22 requêtes font toujours l’objet d’instruction. Les raisons de cet état de chose sont multiples : le déficit de collaboration de certaines administrations ; la complexité de certaines affaires ; la non permanence des membres », relève la Commission.

Le rapport porte également sur les cas de violations dont la Commission s’est saisie conformément à l’article 35 alinéa 3 de la loi organique portant composition, organisation et fonctionnement de la CNDH qui stipule : «En dehors des requêtes qui lui sont adressées, la Commission, à la demande de son président ou de l’un de ses membres, se saisit d’office des cas de violation de droits de l’homme dont elle a connaissance ».

Ainsi, au cours de l’année 2018, la Commission s’est saisie de deux (02) dossiers. L’un porte sur l’affaire du décès d’un jeune, le 8 juin 2018, à Tokpli (préfecture de Yoto) dans le cadre d’une opération  Entonnoir II. L’autre est relatif à l’affaire du décès d’un détenu à la prison civile de Kpalimé. Dans la première affaire, la Commission a estimé que la répression du trafic de carburant ne doit pas déboucher sur des atteintes aux droits de l’Homme. « Conclusion et recommandations : La répression du trafic illicite de carburant est légitime eu égard aux conséquences que comporte cette activité. Ces conséquences sont d’ordre sécuritaire et socio-économique. Toutefois, il est souhaitable que cette répression ne débouche pas sur des atteintes au droit à la vie, comme ce fut le cas le 8 juin 2018 à Tokpli. Au terme de cette enquête, la Commission formule les recommandations suivantes à l’attention du gouvernement : revoir le système de sécurité tout au long des frontières nationales ; juger l’auteur du coup de feu fatal conformément à la loi ; indemniser la famille de la victime ; accélérer le processus de mise en place des points de vente de carburant dans les milieux reculés de concert avec les populations locales », indique la Commission.

« Affaire de décès de prisonnier A.L. à la prison civile de Kpalimé. Suite aux rumeurs faisant état du décès du détenu A.L. le samedi 19 mai 2018 à la prison civile de Kpalimé, la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) a dépêché une équipe sur les lieux afin de vérifier les faits. Conclusion et recommandations. Eu égard à la gravité et à la complexité des faits, vu que les mis en cause sont déposés à la prison et que l’affaire est pendante, la commission se dessaisie et laisse la justice poursuivre ses enquêtes afin de punir les auteurs de cet acte criminel. Au terme de cette affaire, la commission recommande au Ministère de la Justice ce qui suit : Juger le plus tôt les mis en cause afin qu’ils soient fixés sur leur sort ; Revoir la hiérarchisation des SAP ; Confier la gestion totale des SAP au ministère de la justice », telles sont les conclusions et recommandations de la CNDH sur l’affaire du décès du détenu à la prison civile de Kpalimé le samedi 19 mai 2018.

En outre, la Commission a fait le monitoring des lieux de détention. Ce qui a confirmé des conditions de détentions difficiles. Par rapport à l’effectif carcéral, il est à noter qu’à l’exception des prisons civiles de Kara et de Mango, toutes les autres connaissent une surpopulation carcérale. « Les détenus n’ont droit qu’à un seul repas par jour au lieu de trois. Les mets servis n’ont pas une valeur nutritive suffisante au maintien de la santé physique et mentale des détenus. Dans presque toutes les prisons, les cellules sont éclairées à la lumière naturelle et artificielle. Les nattes servent de couchettes aux détenus. La séparation des détenus est respectée selon le sexe et l’âge dans toutes les prisons. Cependant, la séparation entre condamnés et prévenus, condamnés et inculpés de même qu’inculpés et prévenus n’est pas respectée dans l’ensemble. Les prisons disposent d’installations sanitaires. Les femmes et les mineurs disposent de toilettes internes. Les détenus ont accès à l’eau potable. Les prisons de Dapaong, de Mango et de Kara disposent d’un infirmier permanent. Cependant, la rupture de médicaments est récurrente. Par ailleurs, les prisons ne sont pas désinfectées. Les maladies le plus souvent développées par les détenus sont le paludisme, les dermatoses, les infections respiratoires et la lymphangite. Six (06) cas de décès ont été enregistrés à la prison civile de Dapaong », décrit le rapport.

Autre fait bien connu en milieu carcéral, le droit de visite. « Les détenus jouissent du droit de visite aussi bien de la part de leurs parents que des tiers. Cependant, l’exercice de ce droit est subordonné à l’achat d’un ticket de deux cent (200) francs, ce qui n’est pas normal. Les fonds perçus sont prétendument destinés à effectuer certaines dépenses relatives à la santé des détenus et au bon fonctionnement des prisons », déplore la Commission.

Si dans le rapport, il est dit que le droit à l’information est garanti dans la plupart des prisons, ceux relatifs aux loisirs sont inexistants. « A l’exception des prisons civiles de Kara et de Kpalimé qui disposent d’un terrain de jeu, les autres structures d’accueil, de par leur configuration, offrent peu de possibilités aux détenus pour les loisirs », dit le rapport.

Ce monitoring a amené la Commission a conclure que « les conditions de vie des détenus dans les prisons, au vu de ce qui précède sont loin d’être idéales malgré les efforts consentis dans ce sens. L’application des règles minima pour le traitement des détenus reste à revoir. De nombreuses difficultés subsistent ».

Ainsi, des recommandations sont formulées. « A l’endroit de l’administration pénitentiaire : prendre des mesures pour séparer les condamnés des autres détenus (prévenus et inculpés) ;  améliorer quantitativement et qualitativement les repas servis ; désinfecter régulièrement les cellules afin d’éviter les maladies ; doter les prisons de produits pharmaceutiques ;  allouer un budget de fonctionnement aux prisons ;  créer des lieux de distraction au sein des prisons. A l’endroit de la justice : mettre en liberté les détenus qui sont des délinquants primaires et qui ont purgé plus de la moitié de la peine maximale encourue ; accélérer les procédures judiciaires pour désengorger les prisons ; accélérer le processus d’adoption du nouveau code de procédure pénale afin de rendre effective l’application des mesures alternatives aux peines d’emprisonnement ; organiser régulièrement les audiences foraines afin de fixer les détenus sur leur sort. A l’endroit du gouvernement : augmenter le budget de l’administration pénitentiaire ; augmenter l’effectif et améliorer les conditions de vie et de travail des gardiens de prison ; aménager et équiper les infirmeries tout en affectant des infirmiers et autres professionnels permanents ; augmenter le nombre de greffiers au niveau des prisons ; mettre en place des centres ou structures d’accueil des enfants en conflit avec la loi », recommande la CNDH.

Dans la visite des lieux de garde à vue aussi, des insuffisances relevées ont trait à la tenue des registres, à l’état des locaux, aux délais de garde à vue et à la logistique. Le rapport indique que nonobstant une amélioration dans la tenue des registres par rapport aux années précédentes, force est de constater que par endroits, les rubriques ne sont pas suffisamment renseignées. « Dans d’autres unités, lit-on dans le rapport, il n’existe pas de registre de garde à vue proprement dit. Les informations relatives à la garde à vue sont consignées dans un même registre que d’autres informations d’ordre général. Certains lieux de garde à vue sont dotés d’un registre pour mineurs ».

De l’état des locaux, il a été souligné la vétusté des infrastructures. « Ils sont restés vétustes, délabrés et ne répondent pas aux standards internationaux », déplore la Commission.

Par rapport au délai de garde à vue, à l’exception de certains commissariats de police et brigades de gendarmerie des préfectures de Tône, Tandjouaré et Mandouri, dans la région des Savanes, la plupart des unités de garde à vue respectent les délais de garde à vue de quarante-huit (48) heures prévus par le code de procédure pénale.

La Commission, au regard de ces constats, formule des recommandations. Elle demande aux commissariats de police et brigades de gendarmerie de tenir convenablement les registres et de veiller à la salubrité des cellules de garde à vue. Au gouvernement, elle recommande de doter les brigades de gendarmerie et commissariats de police de ressources humaines, financières et matérielles suffisantes, et de construire les brigades de gendarmerie et commissariats de police conformément aux standards internationaux.

L’autre aspect du monitoring de la CNDH est relatif aux manifestations publiques. La Commission a déploré les pertes en vie humaines et les blessés enregistrés lors de ces manifestations. Au cours des manifestations, la Commission a fait les constats suivants : répression de manifestations interdites ; présence de mineurs ; actes de violence commis par certaines personnes ; interpellation de personnes ; mort d’hommes et blessés graves.

Au regard des constats faits, la Commission recommande : « au gouvernement de prendre des mesures pour éviter les violences faites sur les manifestants ; prendre des mesures pour éviter des actes susceptibles d’engendrer mort d’hommes et de blessés ; prendre des mesures pour interdire la présence des mineurs lors des manifestations. Aux partis politiques de prendre les dispositions pour empêcher la présence de mineurs lors des manifestations ; former les militants au civisme ; respecter les dispositions de la loi du 16 mai 2011 sur les manifestations pacifiques publiques ».

La Commission a observé les élections législatives de décembre 2018. Au vu des insuffisances et des anomalies constatées au cours du processus électoral et pour une meilleure organisation des scrutins à venir, elle formule des recommandations à l’endroit du gouvernement, de la CENI et des partis politiques ou des candidats indépendants.

A l’endroit du gouvernement, la Commission recommande d’opter pour la mise en place d’une CENI exclusivement technique, neutre et permanente ; identifier la CNDH comme partenaire des processus électoraux en charge du volet éducation et sensibilisation en lui allouant des moyens financiers et matériels conséquents ; veiller davantage au professionnalisme des forces de l’ordre et de sécurité lors du maintien d’ordre ; et prendre des mesures afin que l’enregistrement sur la liste électorale soit subordonné uniquement à la présentation d’une pièce nationale d’identité.

A l’endroit de la CENI, la CNDH formule : « en tant qu’institution chargée d’organiser et de superviser les élections, la CENI a le devoir de rassurer toutes les parties prenantes. A cette fin et pour garantir la transparence des élections, leur équité et leur acceptabilité par tous, la CNDH recommande à la CENI de : veiller à ce que le matériel de recensement électoral soit testé plusieurs jours avant le début des opérations de révision ; prévoir une période de recensement raisonnablement plus longue ; former à temps et dans une période plus longue les membres de bureaux de vote pour plus d’efficacité ».

Enfin, à l’endroit des partis politiques ou des candidats, la CNDH demande de veiller à la formation de leurs militants quant au comportement à adopter dans les centres de vote et à la manière de voter ; former les délégués sur leur mission dans les bureaux de vote ; et veiller à la présence effective de leurs représentants dans tous les centres de vote.

Géraud Afangnowou
 
source : Liberté
 

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