La mise en œuvre des réformes attendue depuis des lustres est entrée dans l’histoire depuis le mercredi 8 mai. Au sein du pouvoir, on se jette des fleurs d’avoir accompli la plus grande tâche de sa vie, avec ces réformes tout cousues pour Faure Gnassingbé. Comme l’ombre d’un complexe ou d’une gêne, c’est  un ballet des griots qui est organisé sur les chaines internationales, le régime cherchant à tout prix à convaincre l’opinion internationale de la cocasserie des réformes taillées. Mais à l’analyse de ces textes qui tuent la démocratie et l’alternance, tout porte à croire qu’il n’y a jamais eu de crise politique au Togo. En tout cas le régime n’en a visiblement pas connu compte.

Faure réinstallé pour longtemps

Départ immédiat de Faure Gnassingbé du pouvoir, c’est ce que réclamaient au tout début  les militants de l’opposition et les populations en général, en se levant dès août 2017 à travers des manifestations gigantesques. Le peuple en avait en effet marre du Prince dont la gestion est « humanicide » et n’est destinée qu’à favoriser la minorité pilleuse. Les messages sur les pancartes au cours des marches étaient assez expressifs. Mais au fil du temps, les choses ont évolué. Cette exigence s’est muée en (simple) réclamation de l’alternance à la tête du pays. Et c’était on ne peut plus légitime. Le pays est dirigé depuis un demi-siècle par le même clan et la même fratrie. Après le père qui l’a régenté trente-huit (38) années durant, l’armée a installé son fils qui conduit aux destinées du Togo depuis 2005…Pendant ce temps, tous les pays de l’espace ouest africain ont connu plusieurs alternances, isolant davantage le Togo qui reste une curiosité démocratique.

Le bon sens aurait voulu que toute véritable solution de sortie de crise ou réforme envisagée tienne compte de cette aspiration fondamentale exprimée au travers des nombreuses manifestations. Mais c’est tout le contraire qui est fait par Faure Gnassingbé et son Assemblée de godillots. Les réformes ont été plutôt taillées selon les desiderata de l’« homme simple », scellant du coup le sort de l’alternance. Les compteurs du nombre de mandat présidentiel lui sont remis à zéro avec les dispositions de l’article 158 et les députés « nommés » par ses soins l’autorisent à faire deux mandats supplémentaires en 2020 et 2025. On tend ainsi vers soixante-trois (63) ans de régence de la fratrie Gnassingbé, une monarchisation tacite du Togo. En plus, il lui est accordé une impunité totale pour les crimes qu’il viendrait à commettre. Comme pour dire au Peuple togolais : on n’a que faire de ton aspiration à l’alternance…

Adieu la Constitution de 1992

La retour à la Constitution de 1992 était la première revendication formelle qui a tenu le haut du pavé durant les nombreuses marches organisées par la Coalition de l’opposition. C’est après cette exigence que le reste des réclamations vient.

En effet, les populations réclamaient le retour de la Constitution adoubée par le peuple, et à raison. Au départ une exigence formelle du Parti national panafricain (PNP), initiateur du vaste mouvement qui allait ébranler le pouvoir de Faure Gnassingbé, mieux, le dénuder à la face du monde, elle a été récupérée par la Coalition de l’opposition formée à la suite de l’appel lancé par TikpiAtchadam à l’endroit de Jean-Pierre Fabre, à l’époque chef de file de l’opposition. De bonne guerre, car cette Constitution pave la voie à l’alternance au pouvoir et a eu l’onction populaire à travers un référendumorganisé en 1992. C’est le régime RPT qui, pour satisfaire les lubies du père, avait procédé à son tripatouillage en 2002. C’est cette Constitution que la Commission Vérité, Justice et Réconciliation, mise en place en 2009 par Faure Gnassingbé himself et dirigée par Mgr Nicodème Barrigah-Benissan, avait recommandée en avril 2012 au terme de ses travaux. L’église catholique, plusieurs autres religieux ou organisations de la société civile ont aussi, au plus fort de la crise et dans la dynamique des voies et moyens pour en sortir, appelé au retour de cette Constitution.

Un régime responsable qui gouverne vraiment pour le bonheur du peuple, ne devrait pas réfléchir plusieurs fois avant de s’exécuter. Mais il a royalement ignoré cette exigence des populations. Même si, au nom de l’évolution, il voudrait y ajouter des nouveautés, le bon sens voudrait que la substance de cette loi fondamentale réclamée soit ramenée. Mais Faure Gnassingbé et son régime n’en ont cure. Une proposition de texte se rapproche même de cette Constitution de 92, il s’agit de celle de l’expert constitutionnaliste de la CEDEAO Alioune BadaraFall. C’est une perche tendue au pouvoir, à défaut de s’humilier (sic) et ramener la Constitution de 1992. Mais le texte adopté le mercredi 8 mai par l’Assemblée de godillots est à des années-lumière des bonnes vertus professées dans la Constitution de 1992…

Pas de vote pour la diaspora

Les populations avaient réclamé l’effectivité du droit de vote pour les nombreux compatriotes vivant à l’extérieur. Bien que la Constitution togolaise leur reconnaisse ce droit, ils ont toujours été écartés par le pouvoir RPT/UNIRdu choix des dirigeants de leur patrie mère. Une injustice en fait lorsqu’on considère leurs contributions énormes à l’économie nationale.

En effet, les chiffres rendus fréquemment publics par la BCEAO font état de plusieurs centaines de milliards de FCFA transférés par ces compatriotes de la diaspora à leurs proches qui dépasseraient de loin l’aide publique au développement accordée par les partenaires. Ces transferts font de la diaspora togolaise l’une des plus contributrices à l’économie nationale en Afrique.

Cette réclamation ne devrait pas en réalité être si difficile à concéder, d’autant plus que le régime Faure Gnassingbé est, depuis une décennie, dans la drague de ces compatriotes vivant à l’extérieur. Un département spécial a été créé pour eux et plein d’initiatives dont « Réussites diasporas » prises en leur faveur au ministère des Affaires étrangères pour les appâter. Mais aussi curieux que cela puisse paraitre, le pouvoir a trouvé le génie d’oublier ces compatriotes dans les réformes adoptées. Pas un seul article dans les vingt-neuf (29) de la Constitution modifiés ne statue sur le vote de la diaspora. Conséquence, ces concitoyens, évalués à plus de deux millions éparpillés à travers le monde, le tiers au moins donc de la masse des populations vivant au pays, restent écartés du choix des dirigeants de leur mère patrie. Ici  aussi, le Togo continue de constituer une exception…Le message du pouvoir à ces millions de compatriotes semble le suivant : allez vous faire…foutre.

Faire tout pour sauvegarder la paix sociale, c’est la plus grande recommandation de la CEDEAO et de toute la communauté internationale aux acteurs politiques togolais, les protagonistes de la crise notamment, et à raison. Au regard des coulées d’adrénaline, du niveau des tensions et risques, avec leurs cortèges de morts et de dommages, le Togo revient de loin. Il avait fallu de peu qu’il ne bascule dans l’instabilité totale. Cette crise avait beaucoup inquiété les chefs d’Etat de la région ouest-africaine et tous qui se sont sentis interpellés. C’est la stabilité de tout l’espace qui était ainsi menacée car étant conscients qu’une crise ou un conflit politiqueau Togo impacterait la quiétude de toute la région qui semblait, depuis quelques années, retrouver une certaine normalité politique et sécuritaire. Aujourd’hui  la situation est à l’apaisement et le bon sens aurait voulu que chacun, notamment les gouvernants qui ont toujours les manettes du pays en main et le pouvoir de décision, tiennent compte des motivations profondes de la crise, des revendications du peuple, dans leurs agissements et mesures. Enjeu, ne pas réveiller les frustrations, attiser le feu et déclencher à nouveau des manifestations…Mais c’est ce risque que vient de prendre le pouvoir Faure Gnassingbé, au vu des réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales cocasses offertes par l’Assemblée de godillots. Il a agi comme si cette crise n’a jamais existé…

 

Tino Kossi
 
source : Liberté
 

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