Comment le pouvoir en place peut-il bien sortir de ce pétrin ? Faure Gnassingbé est-il vraiment conscient de la gravité de cette affaire ? Ces questions, ils sont nombreux, les observateurs à se les poser, devant cette atmosphère lugubre créée par la publication du rapport Koffi Kounté accablant l’Agence nationale de renseignement (Anr) de tortures.
Une affaire grave
Col Yotrofeï Massina, Cdt Kuloh, Cpt Kadanga…voilà les hommes qui doivent faire dans leur froc, avec l’acte courageux posé par Koffi Kounté. Et l’intéressé même l’a dit sur Rfi, en parlant de l’entourage de Faure qui faisait des pressions sur la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh) afin qu’elle publie un contre-rapport prenant littéralement le contre-pied de ce qu’elle a pu constater. Mais en réalité, c’est tout le pouvoir en place qui est éclaboussé par cette affaire puante, et Faure Gnassingbé nommément. D’autant plus que l’Anr est placée sous sa responsabilité directe. Et en plus le rapport provient d’une commission nationale des droits de l’Homme.
Ce dossier remet en cause tous les efforts surhumains faits pour paraître bon à l’endroit de la communauté internationale et écorne davantage son image. La gravité de l’affaire tient au fait que la torture est un crime imprescriptible combattu par le Système des Nations Unies et le Togo a ratifié nombre de conventions et instruments internationaux contre ce fléau, comme la Convention des Nations Unies contre la Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples, des traités ratifiés par le Togo respectivement le 18 novembre 1987 et le 05 novembre 1982. Et pour ne rien arranger, le Togo est membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies depuis janvier et le préside d’ailleurs au cours de ce mois de février. Cela ne donne pas une bonne image du Conseil de Sécurité qui joue souvent au parangon de vertu et au régulateur des conflits et autres situations de crise. Faure Gnassingbédoit forcément être appelé à rendre compte.
Les pressions tous azimuts
C’est un tollé général que suscite cette affaire. Le pouvoir en place attire beaucoup plus l’attention avec les manœuvres, les pressions et les menaces des tortionnaires à éviter la publication du vrai rapport et la polémique inutile créée par le gouvernement. Par un communiqué publié lundi nuit, il se dit stupéfait que le rapport à lui transmis et publié par ses soins « en toute transparence » ne soit pas le vrai et que la Cndh publie sur son site un autre qualifié d’authentique, et d’annoncer saisir à nouveau la Commission pour mieux comprendre la situation. En réalité une telle polémique n’a pas sa raison d’être, car M. Koffi Kounté a bien indiqué que leur rapport a été « travesti » et « obtenu sur menaces ». Et tout gouvernement responsable et aimant la vérité devrait juste aviser ; mais la sortie de Gilbert Houngbo et les siens cache mal des intentions obscurantistes. Le ministre des Arts et de la Culture Me Hamadou Yacoubou, ancien défenseur des droits de l’Homme et aujourd’hui pourfendeur invétéré de ces droits a été envoyé au front pour charger proprement Koffi Kounté qui venait d’accomplir un acte civique et patriotique. Sans le dire ouvertement, le gouvernement voudrait bien que le faux rapport concluant à l’inexistence des tortures soit le vrai et est embêté que le président de la Cndh ait mis l’affaire sur la place publique.
Aujourd’hui, la situation préoccupe au plus haut point et les pressions proviennent de partout sur le gouvernement. L’Alliance nationale pour le changement (Anc) et le Comité d’action pour le renouveau (Car) que le pouvoir a réussi à amener à la table des discussions ont claqué la porte mardi et exigent, entre autres, une clarification sur « l’existence de deux rapports de la Cndh et sur la disparition du président de la Cndh, une affaire qui entame gravement le climat de confiance nécessaire aux discussions politiques ».
Les Organisations de défense des droits de l’Homme ne sont pas en reste. La Fédération internationale des droits de l’Homme (Fidh) et son membre au Togo, la Ligue togolaise des droits de l’Homme (Ltdh) demandent au gouvernement de prendre la mesure de la situation et punir les coupables. « Le gouvernement doit endosser le rapport authentique de la Cndh et se féliciter que l’organe de contrôle officiel du respect des droits de l’Homme au niveau national joue pleinement son rôle comme dans un Etat de droit », a déclaré le président de la Ltdh Me Raphaël Kpande-Adzaré. « Les faits dénoncés par la Cndh sont graves et doivent être pleinement reconnus et sanctionnés », renchérit la présidente de la Fidh, Mme Souhayr Belhassen.
Comme pour ne rien arranger, c’est l’Union européenne qui s’en mêle. Sa Délégation, en accord avec les chefs de missions des Etats membres au Togo marque « sa vive préoccupation après la parution du rapport de la Commission nationale des droits de l’Homme sur les allégations de cas de torture mettant en cause l’Agence nationale de renseignement (Anr) sous deux versions divergentes » et « souhaite que des clarifications puissent être apportées rapidement, afin d’éviter que cette situation ne nuise au climat de confiance et d’apaisement indispensable au processus de démocratisation et à la tenue d’élections libres et transparentes ».
Et ce n’est certainement pas la fin des pressions. Il faut s’y attendre venant surtout de Paris. Déjà Koffi Kounté a trouvé refuge en France et est allé mardi demander protection pour lui et sa famille au Quai d’Orsay.
Faure « s’enjaille » à New York
Il est constant que dans les situations d’urgence, les dirigeants annulent des voyages programmés ou écourtent des séjours pour rentrer au pays lorsqu’il y a urgence. Le Togo est dans une situation pareille. Faure Gnassingbé était certes annoncé depuis belle lurette à New York pour présider la séance du Conseil de Sécurité qui devrait se tenir mardi et consacrée à l’impact de la criminalité transnationale organisée, sur la paix, la sécurité et la stabilité en Afrique de l’Ouest et dans la région du Sahel. La maison brûle, et on pouvait légitimement s’attendre à le voir y renoncer ou écourter son séjour et rentrer précipitamment au pays pour éteindre le feu allumé par son gouvernement. Mais le « Leader nouveau » fait comme si de rien était et joue à la star à New York. Et tous les médias officiels sont mobilisés sur ce sujet.
Tant sur la Télévision Togolaise que sur Togo Presse en passant par radio Lomé et autres LCF et republicoftogo, c’est le sujet qui fait la une. Un envoyé spécial était du voyage pour la TVT et rapportait le séjour de l’ « Esprit nouveau » en temps réel. C’est un Faure aux anges et s’entretenant avec Ban Ki-Moon et autres personnalités par-ci, faisant son discours ou offrant un déjeuner à des convives par-là que l’on voit. Bref, l’homme jouait à la star. Et pourtant la maison brûle ! Un contraste qui légitime la conviction selon laquelle Faure Gnassingbé ne dirige pas, ou n’a pas la tête aux « togolaiseries ».
Tino Kossi
liberte-togo.com