Au nombre des goulots d’étranglement de la mission de la CVJR, figure l’exclusion des députés ANC de l’Hémicycle togolais, a reconnu le Prof. Koffi Ahadzi Nonou, rapporteur général de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation. Mais aucune recommandation n’a été formulée à ce sujet . Pour deux raisons, s’est défendu ce dernier : d’abord cette affaire est « hors mandat » de la CVJR; ensuite, elle est éminemment « politique ». Des raisons somme toute pertinentes, mais qui peinent à convaincre.
 
Aucun mandat n’est illimité. Il reste toujours encadré dans le temps et dans l’espace. Celui de la CVJR porte sur les violences politiques à caractère électoral survenues au Togo de 1958 à 2005. L’affaire des neuf députés ANC exclus, elle, ne date que de 2010. Elle est donc, selon l’expression du rapporteur général de la CVJR, « hors-mandat ». C’est cet argument massue qui a permis, plus que tout autre, à ce dernier de se tirer d’affaire lorsqu’un confrère lui a demandé pourquoi la CVJR n’a pas daigné s’épancher sur le sujet et faire des recommandations à l’endroit de qui de droit. Grand juriste qu’il est, il ne pouvait raisonner autrement. D’ailleurs, même les non initiés en droit exciperaient d’une telle évidence. Tant elle crève les yeux. Le but de cette analyse n’est donc pas de démentir le Prof. Koffi Ahadzi-Nonou. Du moins sur cet aspect de la question.
 
Mais tout en apportant de l’eau à son moulin, une réserve s’impose, notamment au sujet de sa conclusion. Et ceci est d’autant plus vrai que plusieurs autres sujets brûlants de l’actualité et qui ne se sont pas déroulés durant la période couverte par le mandat de la CVJR ont reçu une attention particulière de Mgr Nicodème Barrigah et les siens. Les actes de torture perpétrés à l’ANR et confirmés par la CNDH, bien qu’ils ne se soient déroulés qu’en 2009 et révélés en 2011 ont valeur d’exemple. Ils ont suscité la recommandation numéro 2, telle qu’elle figure dans la « Synthèse des recommandations ». Ainsi, peut-on y lire : « La CVJR recommande à l’Etat de prendre toutes les mesures idoines en vue de garantir l’intégrité physique et mentale de la personne, à travers : la criminalisation des actes de torture, l’inscription de l’imprescriptibilité du crime de torture dans les textes pénaux, la recherche, la poursuite et la sanction des auteurs présumés d’actes de torture et de mauvais traitements».
 
Dans ce sens, elle a exhorté l’Etat à « poursuivre efficacement la mise en œuvre des recommandations de la CNDH suite aux allégations de torture dans l’affaire d’atteinte à la sûreté de l’Etat, poursuivre la mise en œuvre des treize (13) mesures prises par le gouvernement ( ndlr : des mesurettes en réalité) suite au rapport de la CNDH ; mettre sur pied, dans les meilleurs délais, le mécanisme national de prévention de la torture et le doter des moyens nécessaires pour réaliser son mandat ». Dans une moindre mesure, même la médiation que le Prélat a accepté de mener auprès de Faure Gnassingbé en faveur de Kpatcha Gnassingbé, vide aussi de son sens cet argument d’événement « hors-mandat ».
 
L’argument tenant également au caractère politique de l’affaire des neuf députés ANC exclus du Parlement togolais ne mérite pas un meilleur sort, nous a révélé un expert en justice transitionnelle. Car fait-il valoir, toute la mission de la CVJR concerne des faits à caractère essentiellement politique. Voilà qui bat en brèche les raisons invoquées par la CVJR pour esquiver le dossier des députés ANC. Alors qu’est-ce qui a bien pu empêcher Mgr Barrigah et les siens d’aborder cette question qu’eux-mêmes citent comme un facteur qui compromet le processus de réconciliation ? Le caractère sensible du dossier, en ce qu’il met en cause la crédibilité même des institutions de la République togolaise ne serait-il pas passé par là ?
 
D’aucuns estiment dans ce même ordre d’idée, que la Commission Barrigah était frileuse à l’idée de froisser les susceptibilités du Prince, celui-là même qui leur a confié cette mission de réconcilier les Togolais. En d’autres termes, il était question de le ménager et de ne pas porter de coup dur à l’Accord RPT-AGO dont on ne sait vraiment plus ce qu’il reste, à part les strapontins auxquels restent scotchés les affidés de Gilchrist Olympio, et la possibilité pour Faure Gnassingbé de brandir à loisir l’ex-leader charismatique de l’opposition togolaise, comme un trophée de guerre. La question des députés ANC, cela est davantage plausible, a ainsi été sciemment occultée pour céder aux desideratas du Prince, au grand dam de la réconciliation nationale tant prônée. Autant dire que la mission de réconciliation nationale ne vaut que tant qu’elle ne compromet pas les intérêts de Faure Gnassingbé. Drôle de réconciliation, n’est-ce pas ?
 
Magnanus FREEMAN
 
liberte-togo.com
 

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