Faciliter l’accès des moins de 25 ans au marché du travail sur le continent qui en compte le plus, n’est pas seulement une affaire de croissance économique. Les printemps arabes, les guerres civiles dans l’ouest du continent et l’expansion des groupes terroristes en témoignent.

Comment faire d’un dividende démographique – une hausse de la productivité économique dont un pays peut profiter quand la part des jeunes (15-24 ans) dans sa population augmente et que le taux de fécondité baisse -, un handicap ? Si les dirigeants africains ne s’attellent pas à créer des emplois pour les jeunes, ils risquent de devenir les initiateurs d’une contre-performance inédite.

Quand bien même la baisse des taux de fécondité n’est pas encore une généralité sur le continent : il y a des disparités entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne où les taux restent élevés. Néanmoins, faire tourner l’économie en donnant du travail aux plus jeunes reste un moyen de lutter contre l’instabilité politique, par ailleurs nourrie par les problèmes de gouvernance, la pauvreté ou encore la corruption.

Le chômage des jeunes n’est pas une exception africaine, mais il constitue une urgence parce qu’avec environ 1,3 milliard d’habitants, dont la moitié de moins de 25 ans, l’Afrique est le continent qui compte le plus de jeunes.

Vivier de main d’œuvre

Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), « 25,6 millions de jeunes travailleurs âgés entre 15 et 29 ans entreront sur le marché du travail et auront besoin de trouver un emploi » d’ici 2030. Cette hausse de la main-d’œuvre des jeunes sera « presque entièrement » le fait de l’Afrique.

La population en âge de travailler sur le continent africain devrait atteindre près d’un milliard à l’horizon 2030. Pour faire face à cette croissance, selon la Banque africaine de développement (BAD), « l’Afrique doit créer chaque année environ 12 millions de nouveaux emplois pour contenir l’augmentation du chômage ».

En moyenne, toujours selon des estimations de l’institution panafricaine, 11 millions de jeunes entrent chaque année sur le marché du travail en Afrique qui ne dispose pour eux que de 3 millions d’emplois, soit un écart d’environ 8 millions. Résultat : »Les jeunes représentent 37% de la population active, mais constituent environ 60% des personnes au chômage », note la BAD.

L’Union africaine (UA) a lancé le 25 avril 2019 un programme baptisé « 1 million by 2021 Initiative », « une preuve de (son) engagement en faveur des jeunes », précise un communiqué de l’organisation. L’objectif de ce projet est d’offrir des opportunités à « des millions de jeunes Africains d’ici 2021 », notamment en matière d’emploi, d’entrepreneuriat et d’éducation.

Deux ans pour éclaircir, par exemple, l’horizon des « plus de 11 millions de jeunes sans travail en Afrique subsaharienne et (des) 69% des jeunes qui s’identifient comme ‘travailleurs pauvres’ »,  selon les chiffres de l’OIT. Dans cette partie du continent, le marché du travail est caractérisé par l’importance du secteur informel, où les rémunérations sont faibles et la protection sociale inexistante.

Sortir de la précarité à tout prix

« En plus d’autres réalités sociales, les jeunes, vulnérables, sont devenus des recrues faciles pour les organisations criminelles, les milices rebelles, les gangs politiques et les réseaux extrémistes », expliquait, il y a quelques années, le chercheur Andrews Atta-Asamoah, de l’Institute for Security Studies (ISS) basé à Pretoria, en Afrique du Sud.

Primo, il note que « dans leur quête d’accéder au coeur de l’État où se trouvent les ressources, le pouvoir et les privilèges », de nombreux jeunes rejoignent des réseaux au service « d’élites politiques et de poids lourds économiques ». Ils deviennent ainsi « des soldats d’infanterie pour des activistes locaux qui les manipulent pour saper les processus politiques, comme lors des violences post-électorales de 2007-2008 au Kenya ».

Secundo, pour ces « désespérés » qui « n’ont rien à perdre », « le coût du recrutement dans des conflits est faible, ce qui accroît leur propension à contribuer à l’instabilité politique, à la violence collective, aux crimes et aux conflits ».

D’autant que « l’effondrement de l’Etat de droit et le chaos associé aux conflits offrent aux criminels l’occasion de subvenir à leurs besoins en se livrant au pillage, au vol et même à l’exploitation excessive des ressources naturelles en collusion avec des réseaux criminels transnationaux ».

Pour illustrer son propos, Andrews Atta-Asamoah donne l’exemple des guerres civiles qui ont éclaté dans les années 1990 en Afrique de l’Ouest, dans des pays comme la Sierra Leone, le Liberia et la Côte d’Ivoire, où les chefs de guerre ont pu « facilement (transformer) les jeunes chômeurs en soldats ».

Le chercheur ajoute que « le Printemps arabe en Afrique du Nord a montré que là où les jeunes se sentent, ou sont, politiquement exclus et économiquement marginalisés, leur inclination à la révolte ne peut être contenue par aucune mesure coercitive de l’Etat, aussi dure soit-elle ». L’Algérie l’a encore récemment prouvé. En dépit de la manne pétrolière, le taux de chômage des jeunes est l’un des plus élevés du continent. Il était de 28,7% en 2017, selon le Fonds monétaire international.

Le taux de chômage en Afrique du Nord est relativement plus important qu’en Afrique subsaharienne. Notamment à cause de celui des moins de 25 ans. Dans le nord du continent, ce taux devrait dépasser les 30% en 2019, selon l’OIT. Soit 3,5 fois celui des plus de 25 ans.

Le chômage des jeunes, « un drapeau rouge »

Conclusion : le chômage des jeunes est « un drapeau rouge pour l’instabilité politique en Afrique ». Pire, lorsque les deux constats mis en avant par le chercheur Andrews Atta-Asamoah « rencontrent la mobilisation populaire par le biais de l’endoctrinement religieux, de la radicalisation, de la polarisation politique ou encore de la manipulation ethnique, la déstabilisation et l’instabilité politique sont au rendez-vous ». Exemples : « la secte Mungiki au Kenya, les militants islamistes Shebab dans la Corne de l’Afrique, Boko Haram au Nigeria et enfin le Mujao et Ansar Dine dans le nord du Mali ».

La Banque africaine de développement (BAD) indiquait récemment dans un tweet que « 40% des jeunes Africains qui rejoignaient des groupes extrémistes (mentionnent) l’absence de travail » pour expliquer leur enrôlement.

Sans compter la tentation de la migration. Les jeunes sont ceux qui migrent le plus. Un rapport, publié par la Fondation Mo Ibrahim début avril 2019 lors de son forum annuel et intitulé « Jeunesse en Afrique : emploi ou migration », rappelle que « 80% des migrations sont motivées par la recherche d’un emploi ou de meilleures perspectives économiques ».

Même si, en 2017, les « 36,3 millions de migrants africains » répertoriés ne représentaient que 14% du total des migrants dans le monde. En 2017, poursuit le document, « les dix principaux flux migratoires en provenance du continent africain étaient inférieurs à l’unique flux migratoire du Mexique vers les Etats-Unis ».

 
Franceinfo Afrique
 

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