S’il est des qualités qu’on lui reconnaît unanimement, pas seulement au sein de l’opinion mais aussi dans le camp de ses adversaires politiques, c’est bien la ruse, la langue de bois et la fourberie politique. L’homme réussit toujours à dribbler tout son monde, et même sur les questions sensibles. Comme par exemple au sujet de la polémique vaine sur la clarté de l’arrêt de la Cour de Justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) du 7 octobre 2011 dans l’affaire d’exclusion des députés ANC de l’Assemblée nationale, et nommément de leur réintégration. Il a encore eu le talent de conduire les Togolais devant un cul de sac sur cette question, de « laisser l’opinion dans le Bolingo (flou total) », glose un compatriote. Lui, c’est Me Yawovi Agboyibo, le président d’honneur du Comité d’action pour le renouveau (Car).
Sacré Me Yawovi Agboyibo !
« La classe politique est secouée depuis quelques jours par un arrêt rendu le 7 octobre 2011 par la Cour de Justice de la CEDEAO au sujet de neuf députés militants de l’ANC. La Cour de justice, après avoir relevé que la Cour Constitutionnelle du Togo a violé des engagements internationaux pris par le Togo, a condamné l’Etat togolais à réparer les violations et à verser à titre de dommages et intérêts, une somme de trois millions FCFA à chaque député. En tant que juriste-avocat, quelle interprétation faites-vous de cet arrêt qui pose problème ? En termes clairs, est-ce que selon vous, l’Etat togolais se conforme à l’arrêt en mettant la somme de trois millions à la disposition de chaque député ou faut-il qu’il fasse reprendre par les neuf députés leurs sièges à l’Assemblée Nationale ? ». C’est la question aussi claire que le confrère de l’agence savoirnews a posée au juriste-avocat dans une interview. Devant une telle question on pouvait s’attendre à voir l’homme dire si l’Etat togolais respecte ainsi la décision rendue par la Cour de Justice de la Cédéao en décidant seulement d’indemniser les neuf (09) députés ou si ces derniers doivent forcément être réintégrés à l’Assemblée comme ils le clament d’ailleurs. Mais l’interlocuteur a encore fait parler sa langue de bois et sa ruse légendaires.
« L’arrêt rendu le 07 octobre 2011 par la Cour de justice de la CEDEAO paraît suffisamment clair », darde Me Yawovi Agboyibo. Rien qu’avec ces mots, le commun des Togolais devrait penser qu’il allait clamer la réintégration des députés exclus comme la réparation des violations des droits des requérants, au regard de l’interdiction du mandat impératif inscrite dans la Constitution,. Mais l’homme va bien embrouiller l’opinion avec la suite de ses propos. « En dehors des pertes d’indemnités parlementaires à réparer par compensation pécuniaire, il y a un second préjudice résultant des implications politiques des sièges de députés en jeu, notamment celles concernant les décisions à prendre dans le cadre des réformes constitutionnelles et institutionnelles prescrites par l’Accord Politique Global (APG). Ce second préjudice qui est de loin le plus important est à réparer en nature. Je pensais que les parties allaient s’y accorder. Il s’est trouvé qu’elles ont eu de profondes divergences sur le contenu de l’arrêt au point que les neuf députés ont estimé que la Cour de Justice n’a pas statué sur leur demande de réintégration et l’ont saisie en vue de procéder à la réparation de l’omission. On attend la décision de la Cour ». On parie que les lecteurs ne se retrouvent pas. Nous non plus. Surtout avec ses déclarations préalables : « L’arrêt du 7 octobre 2011 s’inscrit dans la lignée des décisions par lesquelles les Cours communautaires condamnent les Etats à réparer les violations commises par leurs institutions dans l’application des textes internationaux auxquels ils ont souscrit. A propos de la manière d’exécuter ces condamnations, les textes régissant certaines Cours communautaires ont pris soin de l’indiquer. Il en est ainsi, pour ce qui concerne la Cour Européenne des Droits de l’Homme, de l’article 50 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales: « Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une partie contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la présente Convention, et si le droit interne de ladite partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée, une satisfaction équitable». Les Etats membres de la CEDEAO n’ont pas prévu de pareille disposition dans les protocoles relatifs à la Cour de justice ». En clair, la Cour de Justice de la Cédéao n’a pas prévu le mécanisme de réparation. Et pourtant dans cette affaire, elle a condamné l’Etat togolais, tout en égrainant les dispositions juridiques violées. « La Cour juge que les requérants ont été privés d’un droit fondamental de l’Homme qui est le droit à un procès équitable. Il est dès lors normal de réparer le préjudice subi par les requérants…En conséquence, ordonne à l’Etat du Togo de réparer la violation des droits de l’Homme des requérants et de payer à chacun, le montant de trois millions de francs CFA », lit-on dans l’arrêt. Cette langue de bois pose un problème d’éthique, surtout qu’on a affaire à un avocat, défenseur des droits de l’Homme, qui se peint aussi parfois en Jésus Christ et caricature les autres de Barrabas, donc a priori quelqu’un qui doit professer la vérité, dites-vous ? C’est du pur Agboyibo, devrait-on dire. La clarté requise par le confrère en posant la question, il ne la trouvera jamais dans les réponses de son interlocuteur.
Sur une telle affaire, difficile d’adopter une position médiane, car la violation des droits de l’Homme des requérants est manifeste dans ce dossier. Et la classe politique l’a compris et tous les partis et leaders qui ont eu à se prononcer là-dessus ont eu le mérite d’être clairs. Soit en optant pour la logique de l’Etat togolais qui consiste juste à indemniser les neuf députés et en occultant la question de leur réintégration à l’Assemblée nationale, comme le font si bien les porte-voix et les caisses de résonance du pouvoir et du gouvernement, le Belge Louis Michel et aussi l’Union des forces de changement (Ufc) de l’ opposant datable au carbone 14 qui claironne que la Cour de Justice de la Cédéao n’a jamais demandé la réintégration des députés exclus. Soit pour le bon sens et le droit, comme la plupart des partis politiques qui se savent encore dans l’opposition, la vraie, et aussi les organisations de défense des droits de l’Homme. Petit tour d’horizon des réactions dans ce dernier cas.
Psr, Obuts, Alliance, Uds-Togo…sans détour
« Cette décision confirme l’évidence des atteintes aux droits de l’homme dont se rendent quotidiennement coupables les autorités togolaises au mépris du bon sens, de l’éthique républicaine et en contravention flagrante de la réconciliation pourtant proclamée », dixit le Pacte socialiste pour le renouveau (Psr) dans un communiqué signé de son porte-parole, le Prof Agrégé de Droit Wolou Komi, qui « regrette le débat malsain auquel donne lieu l’interprétation de la décision de la Cour, dans l’ignorance des règles élémentaires du droit et du bon sens naturel ». « Il résulte de l’analyse de la Cour «qu’aucune lettre de démission n’a été présentée au président de l’Assemblée nationale par les requérants dans cette affaire ». Or, c’est cette prétendue démission qui fonde l’exclusion des députés. Les faits constatés par la Cour s’imposant aux parties, on en déduit que les députés exclus n’ont, en réalité, jamais perdu leur qualité de députés. Ensuite, il est une règle juridique qu’en matière de réparation, le principe est celui de la réparation en nature, à laquelle pourraient s’ajouter des dommages et intérêts. Dans cette logique, il est enseigné que « Réparer un dommage, c’est faire en sorte qu’il n’ait pas existé et rétablir la situation antérieure », C’est dans l’impossibilité matérielle d’une réparation en nature, qu’on se contentera d’une réparation par équivalent, des dommages et intérêts exclusivement », lit-on ensuite.
On peut reléguer au second plan cette réaction. Car le parti de Me Abi Tchessa est un allié du Front républicain pour l’alternance et le changement (Frac), et c’est la réaction contraire qui aurait étonné. L’Organisation pour bâtir dans l’union un Togo solidaire (Obuts), entre-temps en rupture de banc avec le Frac et l’Alliance nationale pour le changement (Anc) a eu la décence de condamner l’exclusion des neuf députés et fustiger la polémique inutile entretenue autour du verdict de la Cour de la Cédéao. « L’arrêt N° ECW/CCJ/JUD/09/11 rendu le 07 octobre 2011 par la Cour de Justice de la CEDEAO est sans équivoque. En effet, la Cour de Justice de la CEDEAO a condamné l’Etat Togolais pour violation des droits de l’Homme en ce que les députés exclus de l’Assemblée nationale n’ont pas eu droit à un procès équitable. D’où l’injonction faite à l’Etat Togolais de réparer ladite violation. En ordonnant la réparation, la Cour exige non seulement la réparation pécuniaire mais également le rétablissement du statu quo ante ! En clair, le retour des députés à l’Assemblée nationale », a assené, sans détour, le parti dans un communiqué daté du 8 novembre et signé de son président national Agbeyome Kodjo. Et d’ajouter : « En refusant de respecter cette décision de la Cour de Justice de la CEDEAO, l’Etat togolais porte au plan international son mépris avéré du droit. Cette position de l’Etat Togolais est tout simplement inacceptable. Car l’Etat togolais, en refusant de procéder au statu quo ante viole manifestement les conventions sous-régionales et internationales ayant valeur constitutionnelle en se fondant sur le préambule de la Loi fondamentale de notre pays. La lecture biaisée de cette décision par l’Etat togolais constitue à la fois une hérésie juridique et une grave imposture politique. Car ce n’est pas la Cour constitutionnelle dont les décisions sont inattaquables qui est désavouée, mais bien l’Etat Togolais. In fine, la CEDEAO demande au premier magistrat de fait du Togo, Faure GNASSINGBE, d’assumer ses responsabilités ! ». Une position claire comme l’eau de source.
Même les formations politiques qui ne sont pas réputées sympathiques aux responsables de l’Anc ont eu à faire parler la jugeote. Allusion faite ici à l’Alliance de Dahuku Péré et à l’Union des démocrates socialistes (Uds-Togo) d’Antoine Folly qui ont aussi condamné ouvertement l’exclusion et demandé le respect de l’arrêt du 7 octobre et la réintégration des députés exclus. « Pour le Comité Directeur de l’UDS-Togo, cette décision de la Cour ne souffre d’aucune ambiguïté. Dès lors que la Cour l’a jugé illégale, la décision ayant conduit à l’exclusion des Députés de l’ANC doit être considérée comme nulle et de nul effet, avec pour conséquences automatiques, la réintégration immédiate des Députés exclus dans leurs fonctions et la réparation des préjudices subis par le paiement des sommes fixées par l’arrêt », note le parti dans une déclaration datée du 14 octobre dernier. Et d’exhorter « les autorités togolaises à donner aux Togolais et à la communauté internationale, la preuve de leur attachement à la démocratie, au droit et à l’Etat de droit, en mettant immédiatement à exécution la décision de la Cour de Justice de la CEDEAO par la réintégration des neuf députés et le paiement des amendes fixées par l’arrêt ».
Dans la collection de réactions sans détour, on ne saurait oublier celles régulières de la Ligue togolaise des droits de l’Homme (Ltdh). Et c’est agréable, lorsque le bon sens est appliqué. Il faut le constater, dans cette pile de réactions, aucune ne prête à confusion. Toutes ont le mérite d’être claires. Sauf celle du candidat du Car à la dernière présidentielle. Sacré Agboyibo ! Dira-t-on. Et le plus attristant, cela émane d’un avocat, défenseur par excellence des droits de l’Homme. Son alter égo du parti des intellos, lui – suivez les regards -, a carrément préféré se taire, comme si de rien n’était. Certainement pour ne pas s’obliger à choisir un camp.
Tino Kossi
source: liberté hebdo togo