Mémoire. Designer du drapeau togolais, Paul Ahyi est reconnaissable par ses œuvres monumentales. Il mérite ce musée qui lui rend hommage.

Lomé est un musée à ciel ouvert. Au détour des grandes avenues bétonnées qui lui donnent une allure rappelant les artères monumentales des villes des pays de l’Est pendant la guerre froide, entre sa corniche ornée de palmiers et d’hôtels seventies qui font penser aux décors que l’on observe du côté de Palm Beach, impossible de ne pas tomber sur les œuvres colossales du célèbre artiste togolais Paul Ahyi. Pour bien comprendre l’importance de cet artiste, il faut savoir que jusqu’en 2016, c’est une œuvre de Paul Ahyi qui constituait le premier contact avec les étrangers débarquant à l’aéroport de Lomé en guise de symbole de bienvenue et d’indépendance. C’est dire que l’artiste a laissé une forte empreinte à la fois dans la pierre et dans les esprits. C’est pour pérenniser cela qu’un musée impulsé par sa famille lui est désormais dédié, et ce depuis le dernier mois de décembre.

Qui est vraiment Paul Ahyi ?

Né à Abomey, au Bénin voisin, en 1930, c’est dans la capitale togolaise Lomé qu’il est décédé en 2010. Sculpteur, architecte, peintre, décorateur et auteur, Paul Ahyi est vite sorti de son pays puisque, dès 1949, on le retrouve déjà à Dakar où il est parti poursuivre ses études, jusqu’à son départ à Lyon en 1952. Dans la capitale des Gaules, il fréquente l’École des Beaux-Arts. Son assiduité et son talent lui permettent d’intégrer l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, où il reçoit en 1959, en plus de son diplôme, la Médaille et le premier prix de Peinture. Arrive 1960, l’année de la proclamation de l’Indépendance. Le voilà qui dessine le drapeau du futur État du Togo. Un pied dans l’histoire de son pays, mais aussi dans l’histoire artistique du Togo avec le Premier prix de sculpture de son pays qui lui est décerné en 1965. En 1970, il est fait Officier de l’Ordre du Mono, prestigieuse distinction du Togo, avant d’être fait Officier des Arts et Lettres et Commandeur des Palmes académiques françaises. De quoi comprendre que l’artiste est reconnu pour ses sculptures monumentales, y compris sa participation au Monument de l’Indépendance à Lomé. Et sa stature internationale est réelle au regard de ses sculptures et statues extérieures que l’on trouve au Vatican, au Sénégal, au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Nigeria et en Corée du Sud. Artiste aux multiples facettes, Paul Ahyi s’est essayé de brillante manière à la réalisation de bijoux, dans l’art de la poterie, dans la céramique et les tapisseries. Bref, toute une palette qui en dit long sur le mérite qu’il a aujourd’hui d’avoir un musée qui lui soit dédié.

Au-delà de son intérêt historique, le musée a lui aussi une histoire singulière. Son portail est gardé par les deux imposants visages d’un couple, éléments caractéristiques de son œuvre. L’architecte a dessiné une maison sculptée, vivante qui, sous ses airs modernes, dévoile la tradition des dieux et des ancêtres d’Afrique. Le projet a commencé au début des années 1990, explique sa veuve Charlotte Ahyi. « Au départ, ça devait être notre maison. Puis on a décidé d’en faire un musée », reprend-elle. Elle explique qu’en préambule de toute chose, son mari a construit les œuvres. Avant même d’avoir posé la première pierre de la maison, « il se disait qu’il ne serait peut-être plus là quand ce serait achevé, il était souvent malade », souligne Charlotte Ahyi. À l’intérieur du musée également appelé à être un espace de création et un lieu d’éducation artistique pour les jeunes Togolais sont exposées diverses pièces du peintre sculpteur. Cela dit, malgré la renommée de l’artiste, la famille Ahyi n’a pas disposé de grands moyens au moment de construire la maison. Alors l’édifice a pris du temps à sortir de terre. Depuis son décès, il y a presque dix ans, sa femme et ses enfants ont continué petit à petit. Si Paul Ahyi était le favori du général Eyadema, l’État n’a aucunement contribué à édifier le petit musée. « Je les ai contactés pour avoir des financements, mais personne ne m’a jamais répondu», se désole Charlotte Ahyi, fière de son défunt époux qu’elle considère « comme le seul artiste capable de faire de grandes œuvres ».

Pourtant, c’est à lui que la présidence de la République a souvent fait appel pour les grandes occasions. Pour preuve, il n’est rien moins que le designer du drapeau togolais, le co-créateur de la statue de l’Indépendance lourdement érigée au cœur du quartier administratif, face au Palais des Congrès. Il est l’auteur du triptyque La Marche, qui exulte les valeurs de la République depuis les jardins de la présidence. « Ceci en étant fermement opposé au gouvernement tout au long de sa vie », précise Charlotte Ahyi.

Paul Ahyi a orné des bâtiments administratifs comme la Bourse du travail, devenu le siège de la Confédération des travailleurs togolais depuis les années 1970. Mais aussi des lieux saints, comme l’église Saint-Antoine de Padoue où l’homme travaillait l’art du vitrail. Une œuvre tout en contraste où délicatesse et brutalité se rencontrent dans les œuvres du sculpteur qui sertit ses vitraux de béton. Elles ont intégré les façades d’hôtels de renom, comme le Sarakawa. Ou l’architecture intérieure du massif Hôtel du 2 Février, qui domine la ville du haut de ses 36 étages. L’Eda Eba porte aussi la signature de l’artiste, l’un de ses derniers chantiers. De ciment, de granit ou encore de béton : les sculptures de Paul Ahyi en imposent indéniablement dans le décor de la ville de Lomé.

 Une question est cependant posée : comment survivront-elles au temps ? La famille Ahyi a en effet récemment constaté une rénovation qu’elle considère comme ratée : « Ils ont tout repeint sans respecter les couleurs et sans nous demander notre avis », souligne Charlotte Ahyi à propos de la sculpture de la Direction des statistiques. De quoi comprendre combien ce musée dédié à Paul Ahyi est une grande consolation. Avec lui, la famille Ahyi s’est donné les moyens de conserver et de continuer à faire rayonner les œuvres de cet illustre artiste togolais.

Le Point Afrique

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