Seule une voix collective populaire et puissante est susceptible de mettre fin au racisme structurel dans les départements de police de nombreuses villes américaines.

Le meurtre de George Floyd a suscité une réaction collective d’une force et d’une ampleur qui dépassent d’ores et déjà les manifestations qui avaient suivi la mort de Michael Brown en 2014 à Ferguson. Ce mouvement de protestation véhément, dans des dizaines de villes, s’inscrit dans une longue histoire : celle des manifestations organisées contre les violences policières, qui sont au cœur du militantisme noir américain depuis un siècle.

Au début des années 1920, la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), la principale organisation de défense des droits des Noirs, dénonçait la collusion entre certains services de police et de justice et des organisations suprématistes blanches comme le Ku Klux Klan (KKK), alors tout puissant dans le Sud profond. Des chefs du KKK portaient une étoile de shérif le jour et une cagoule blanche la nuit. Dans les grandes villes du Nord, ce sont les policiers, presque tous blancs jusqu’aux années 1960, qui étaient accusés de violences, comme à Chicago, en 1919, lorsqu’ils participaient aux ratonnades dans le quartier noir.

Brutalités policières

Pendant le mouvement pour les droits civiques, Martin Luther King n’hésitait pas à dénoncer les policiers violents et racistes. Dans son plus célèbre discours, « I have adream », il avertissait : « Nous ne pouvons être satisfaits tant que le Noir est la victime des horreurs indicibles des brutalités policières ». Le combat contre la ségrégation et les violences trouva des échos profonds en Afrique.

En 1964, Malcom X, qui avait alors quitté Nation of Islam, entreprit un long voyage qui le mena à La Mecque, où il se convertit au sunnisme, puis dans un grand nombre de pays africains dont il rencontra les responsables politiques. Il assista également, en tant qu’observateur, au sommet du Caire de l’Organisation de l’unité africaine (organisation ayant précédé l’Union africaine), en juillet 1964, où il demanda que l’ONU se saisisse de la cause des Noirs américains oppressés. Dans un communiqué diffusé il y a quelques jours, Moussa FakiMahamat, actuel président de la Commission de l’Union africaine, rappelle justement que, lors de ce sommet du Caire, l’OUA réaffirma sa condamnation des discriminations vécues par les Noirs américains.

En 1966, la fondation du « Black Panther Party for Self-Defense » fut motivée par les agissements de la police, qu’il fallait affronter physiquement au moyen de patrouilles de militants armés dans les quartiers noirs. Les incidents violents entre policiers et Black Panthers se multiplièrent. Huey Newton, l’un des fondateurs des Black Panthers, fut accusé du meurtre d’un policier blanc, John Frey, en octobre 1967. De nombreux militants des Black Panthers, comme Fred Hampton à Chicago, furent abattus par les forces de l’ordre.

« Comment une population ne se révolterait-elle pas quand un policier étouffe froidement un homme dont le seul tort est d’être noir ? »

Même si le parti des Black Panthers n’attira qu’une fraction réduite du monde noir, ses militants étaient souvent bien vus dans les ghettos, exaspérés par l’arrogance d’une police brutale et parfois corrompue. Après les émeutes de 1967, presque toujours causées par une altercation entre de jeunes Noirs et la police, une commission fédérale américaine recommanda, entre autres, l’embauche de policiers noirs pour changer la culture raciste de la police américaine. L’idée était bonne, mais insuffisante. À Baltimore, trois des six policiers mis en cause pour la mort de Freddy Gray en avril 2015 étaient noirs.

Racisme structurel

À ces violences récurrentes, il faut ajouter les relations ordinaires entre Noirs et policiers. Beaucoup d’Africains-Américains sont pris dans un cercle infernal d’arrestations pour des peccadilles, d’amendes non payées et majorées à l’absurde pour renflouer les caisses municipales, de permis de conduire annulés, menant parfois à des licenciements et des expulsions.

Comment une population soumise à un tel traitement ne se révolterait-elle pas, quand, pour faire bonne mesure, un policier étouffe froidement un homme dont le seul tort est d’être noir ? Les départements de police de trop nombreuses villes américaines sont gangrenés en profondeur par un racisme structurel qui ruine la vie des Américains noirs depuis des décennies. Des efforts sérieux ont été consentis ici et là, mais on est encore très loin du compte.

Face à cette situation inadmissible dans une grande démocratie, le gouvernement fédéral est relativement démuni : certes, le ministère de la Justice peut engager des poursuites pour violation des droits civiques, mais les Cours de justice donnent toute latitude aux policiers pour décider d’user de leurs armes s’ils estiment que leur vie est en danger. Dès lors, seule une voix collective populaire et puissante est susceptible de faire évoluer les choses. Par exemple, en faisant que le meurtrier de George Floyd soit inculpé de meurtre et non d’homicide involontaire.

Une fin de mandat cauchemardesque

Deux facteurs aggravants compliquent la situation actuelle. Le premier est la crise sanitaire du Covid-19, qui a tué plus de 100 000 Américains, dont un quart d’Africains-Américains. Ces derniers, particulièrement touchés et endeuillés, ont souvent le sentiment que leurs vies comptent moins que les autres aux yeux des autorités : leur situation sociale et professionnelle, leur état sanitaire et le coût des assurances santé, expliquent ce triste bilan.

Le second est Donald Trump lui-même, qui, dès avant son élection à la Maison Blanche, a dit et redit son hostilité au mouvement Black LivesMatter, et a envoyé moult clins d’œils amicaux à des mouvements racistes suprémacistes blancs. Il a, ces jours-ci, multiplié les tweets venimeux à propos des manifestants qualifiés de « voyous » et en appelle à la force pour les faire rentrer chez eux.

Alors qu’on attend d’un président des paroles fortes et rassembleuses, surtout par gros temps, Trump fait tout le contraire : il tweete et se claquemure dans la Maison Blanche. La fin de son mandat, qui combine crise sanitaire, crise économique et désormais crise politique, est cauchemardesque.

Jeuneafrique.com

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