Conseiller Afrique de François Hollande lors de la campagne électorale, Kofi Yamgnane a remis à l’actuel locataire de l’Elysée une note dans laquelle il définit les cinq axes prioritaires d’une nouvelle politique africaine de la France. Mais il se pose la question de savoir si cette litanie de bonnes intentions pourrait être traduite dans les faits.
 
Les cinq axes prioritaires de la politique africaine de la France
 
Pour le Franco-togolais Kofi Yamgnane, le nouveau président français François Hollande est une chance pour l’Afrique : «…concernant la nouvelle politique africaine de la France, François Hollande nous a demandé de travailler à achever la décolonisation et mener en Afrique une politique cohérente avec les autres Européens. Il entend respecter la démocratie là où elle existe et soutenir tous ceux qui se battent ailleurs à son avènement. Ce travail, nous le déclinons selon 5 axes prioritaires », écrit-il.
 
-Tout d’abord, tirer le bilan de 50 ans de relations ambigües
 
En tant qu’humaniste et homme de Gauche, François Hollande privilégie une approche plus respectueuse des peuples par la reconnaissance des aspirations populaires trop souvent brimées par des régimes autoritaires et parfois corrompus.
 
-Lancer une opération vérité sur la politique d’aide publique au développement
 
Expliquer le caractère fantaisiste et mensonger des déclarations d’aide au développement et d’engagements internationaux jamais tenus. La France déclare 10 milliards d’euros d’Aide Publique au Développement (APD) à l’OCDE, alors que l’APD n’a représenté que 3.3 milliards d’euros en crédit de paiement dans la loi de finances 2012. Il faut rétablir tout à la fois la vérité et la crédibilité de cet instrument. Depuis cinq ans, la politique de coopération se caractérise par une «bulle déclarative», avec un énorme écart entre les coûts pour l’État (0.25% du PIB), et les sommes déclarées (près de 0.5% du PIB).
 
-Ensuite, refonder ces relations sur des bases saines
 
Tourner définitivement la page de la colonisation, en finir avec les formes plus ou moins subtiles du paternalisme néocolonial ; regarder l’Afrique comme elle est aujourd’hui et pressentir ce qu’elle sera demain ; entrer dans une coopération sur la base de l’égalité et du respect mutuel et s’appuyer sur les forces qui feront l’Afrique de demain: étudiants, jeunes entrepreneurs, diplômés au chômage, artistes, écrivains, diasporas…
 
Aider les pays africains à contenir la fuite de ses cerveaux et à la transformer en gain de cerveaux; encourager partout les transferts de technologies; engager les entreprises françaises travaillant en Afrique sur la voie de leurs responsabilités sociale, sociétale et environnementale; faire respecter une éthique de la transparence, etc.
 
Enfin, disons-le tout net : aux yeux de beaucoup d’Africains, l’interventionnisme armé de la France et le recours très « sélectif » à la Cour Pénale Internationale incarnent une nouvelle «mission civilisatrice occidentale», rappelant à bien des égards la douloureuse «pacification» de l’ère coloniale. François Hollande veut en finir avec ces méthodes surannées.
 
Prendre en compte l’impératif démocratique
 
Au Sud comme au Nord du Sahara, la jeunesse africaine nourrit une vraie aspiration à la démocratie, à la liberté et au respect de ses droits élémentaires. Elle est partout exaspérée face à l’injustice sociale, la pauvreté, les inégalités, les manquements à la liberté de la presse ou à l’indépendance de la justice, et exprime colère et révolte face à la confiscation du pouvoir par un clan.
 
Les mêmes ingrédients – aspirations au changement, dignité, fin de la prédation et de la corruption, etc. – sont présents chez tous les peuples d’Afrique… des réalités différentes, mais un rêve commun…
 
La France saura se comporter en partenaire attentif devant des événements tels que ceux intervenus au Maghreb s’ils venaient à se reproduire. Elle encouragera la recherche de solutions pacifiques négociées conformément à la culture et aux civilisations africaines: à l’instar du Président Nelson Mandela, François Hollande encouragera partout le pardon et la réconciliation pour éviter l’affrontement et la violence. Contrairement à ce que dit la Droite par la bouche de Nicolas Sarkozy, l’Afrique a son Histoire et ses Civilisations et François Hollande le sait et entend respecter l’une et les autres.
 
-Enfin participer au renforcement de la sécurité collective en Afrique
 
François Hollande souhaite repenser la politique de lutte contre le terrorisme, en particulier au Sahel, pour permettre aux forces nationales concernées de lutter plus vigoureusement contre Al-Qaïda au Maghreb Islamique et les entités qui collaborent ou commercent avec cette organisation.
 
Dans ce domaine, en partenariat avec l’UE et l’ONU, l’Union Africaine et les organisations régionales et sous-régionales africaines (CEDEAO, SADC, UEAC…) doivent jouer le rôle qui est d’abord le leur, à savoir: définir l’architecture de défense du continent.
 
Vivement la rupture !
 
En mai 2007, les Africains ont accueilli avec alacrité la victoire de Nicolas Sarkozy qui, dans tous ses discours d’avant et pendant la campagne électorale, a promis de mettre fin à la Françafrique qui désigne les réseaux d’influence mêlant politique, affaires et affairisme entre Paris et ses anciennes colonies africaines. Cinq ans plus tard, le constat est là. Mais on continue d’observer le même enthousiasme avec l’élection de François Hollande, même si les plus avertis appellent à la prudence.
 
Interrogé sur le sens du changement d’intitulé du ministère de la Coopération, département traditionnellement en charge des questions africaines, le Premier ministre français Jean-Marc Ayrault a été clair dans sa réponse : « C’est un changement d’état d’esprit. Le mot «coopération» a un côté désuet et rappelle d’autres époques, un peu paternalistes. La plupart des dirigeants africains, notamment démocratiques, souhaitent de nouveaux rapports. C’est bien le signe qui est donné, celui du développement, du co-développement. La «Françafrique», pour nous c’est dépassé». Et la personne en charge du tout nouveau ministère du Développement n’est autre que le jeune député européen écologiste Pascal Canfin. Cet ancien journaliste de 37 ans est expert en matière de lutte contre les lobbies financiers et les paradis fiscaux. « Canfin symbolise le renouveau annoncé », se félicitent certains intellectuels africains. Mais va-t-il avoir les coudées franches pour mener à bien sa mission ? Ne va-t-on pas le remplacer à la suite d’un simple coup de fil d’un dictateur africain, à l’image de Jean-Marie Bockel qui s’est fait taper sur les doigts pour avoir voulu concrétiser la politique de rupture tant proclamée par Nicolas Sarkozy ? L’avenir nous le dira.
 
En revanche, d’autres Africains ainsi que certaines ONG comme Survie, sont circonspects avec la nomination de Laurent Fabius au ministère des Affaires étrangères. Cet ancien Premier ministre de François Mitterrand connaît bien l’Afrique et le pré carré. N’était-il pas récemment à Lomé où il a été reçu en audience par le jeune dictateur togolais et a donné une conférence ? N’était-il pas aussi l’invité de marque de l’autre mal élu gabonais, Ali Bongo ? Des questions qui amènent à se demander si Fabius est réellement l’homme de la rupture avec la Françafrique.
 
Selon une source bien informée, le pouvoir de Lomé qui avait l’urticaire en entendant Kofi Yamgnane annoncer urbi et orbi une nouvelle politique africaine de la France, est un peu soulagé avec la nomination de Laurent Fabius et compte passer par lui pour avoir des accès faciles à l’Elysée.
 
« S’il se confirme que les néo-socialistes ont vraiment décidé de la suppression de cet instrument du néo-colonialisme, ce serait un coup de tonnerre dans les palais africains. Mais pour les populations africaines, ce serait le soulagement. Surtout pour les populations des pays francophones qui n’ont jamais compris le rôle de ce machin qui les plonge dans la soumission et la continuité du colonialisme d’un autre temps. Alors et seulement alors, nous pourrions dire: nous l’avons toujours rêvé, Hollande l’a fait », déclare un analyste de la politique françafricaine à « Nouvelle Afrique ». Tel est le souhait des Africains qui doivent comprendre qu’avant tout, il leur revient de mettre la charge au niveau du genou avant d’appeler à l’aide.
 
R. Kédjagni
 
liberte-togo.com
 

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