• Le métro plutôt que la monnaie

Les aspirants à une monnaie pour la CEDEAO doivent désormais le savoir. Ce n’est pas parce qu’un président français et son vassal ont déclaré la mise en marche d’une nouvelle monnaie que pour autant, celle-ci prendra forme à la date indiquée. Dix jours exactement et le mois de juillet tant attendu sera boudé, sans que les « promoteurs » de l’eco-UEMOA reviennent sur le sujet. Ils ont mieux à faire : maintenir Ouattara sur le fauteuil en Côte d’Ivoire pour que soient préservés les intérêts français dans ce pays. Mais le décès d’Amadou Gon Coulibaly a montré que les préoccupations des uns ne sont pas les soucis des autres. Une leçon aura été toute fois retenue, les paroles d’un président français ne sont pas une vérité d’Evangile.

Et si c’était pour faire baisser la fronde anti-CFA que le président français Emmanuel Macron avait effectué le déplacement d’Abidjan en décembre 2019 pour désamorcer les tensions par ses propos de mise à mort du franc CFA? Bien sûr, le chef de l’Etat français avait une première raison de rallier la capitale ivoirienne en décembre dernier : lancer les travaux du métro d’Abidjan. 

Parce que beaucoup avaient leur attention focalisée sur la question monétaire, ils étaient loin de réaliser qu’Emmanuel Macron était plus préoccupé par la bonne santé des entreprises françaises que la question de la monnaie qui allait réduire leur mainmise sur les pays d’obédience française en Afrique de l’ouest. Et donc, à propos du métro dont les travaux avaient été retardés par un désaccord financier –les Français avaient renchéri les coûts des prestations-, il faut relever que la France finance l’intégralité du prêt de ce projet dont la facture avait finalement arrêtée à 1,5 milliard d’euros, soit près de 984 milliards FCFA. Le jeu en valait la chandelle. Ce montant valait bien un déplacement du président français, non seulement pour affirmer la présence française en Côte d’Ivoire, mais surtout pour l’image d’un président qui cherche à convaincre les électeurs à lui accorder une seconde fois leur vote.

D’une longueur de 37 km, le métro devra relier la commune d’Anyama, au nord d’Abidjan, à l’aéroport au sud. A ce propos, Amadou Gon Coulibaly s’était extasié sur le projet à l’époque : « Le futur métro aérien permettra de décongestionner Abidjan et de fluidifier les déplacements. Ce projet de très grande ampleur, comparable aux métros des grandes capitales mondiales, permettra, en outre, de créer plus de 2000 emplois directs ». Malheureusement, il ne sera pas là pour le voir, la nature en ayant décidé autrement.

A l’analyse, la tentation est de plus en plus grande de penser ou d’affirmer que, et Macron et Ouattara savaient très bien que l’annonce de la fin du franc CFA était du fake, juste un appât pour détourner l’attention de l’essentiel qui était le lancement des travaux du métro, et en même temps faire baisser les tensions anti-fanc CFA. Sinon, comment comprendre qu’exactement six mois avant la comédie de Macron et Ouattara de décembre 2019, les ministres des quinze pays de l’espace CEDEAO se soient mis d’accord –justement dans la même capitale ivoirienne, Abidjan- sur bien des choses au sujet de l’Eco de la CEDEAO : nom et symbole de la monnaie unique, textes juridiques régissant le cadre institutionnel de l’harmonisation des statistiques de la balance des paiements dans l’espace, rapport de convergence macroéconomique 2018, mise en œuvre des activités de la Feuille de Route, choix du régime de change et du cadre de politique monétaire, et modèle de la Banque centrale. Si « poignarder » ou « torpiller » un accord signé six mois plus tôt n’est pas le terme exact, ça y ressemble fortement.

« C’est en entendant votre jeunesse que j’ai voulu engager cette réforme. Le Franc CFA cristallise de nombreuses critiques et de nombreux débats sur la France en Afrique. J’ai entendu les critiques, je vois votre jeunesse qui nous reproche de continuer une relation qu’elle juge postcoloniale. Donc rompons les amarres », avait osé le président français. « Cette décision historique a été prise en toute souveraineté. Elle prend en compte notre volonté de construire notre futur de manière responsable », avait renchéri son homologue ivoirien. Mais à l’épreuve du temps, on constate que pour le métro d’Abidjan, c’est ok ; quant au lancement de ce qu’il convenait d’appeler Eco-UEMOA, rien n’a plus filtré, et les populations continuent dans leur statut de vassales. Volatilisé, le président français qui, le 28 novembre 2017, bombait le torse en affirmant devant des universitaires à Ouagadougou au Burkina Faso: « le franc CFA est un non-sujet pour la France ». Vous avez dit un président « yoyo » ? Entre Ouagadougou en novembre 2017 et Abidjan en décembre 2019, qu’est-ce qui n’a pas marché ? Ou mieux, qu’est-ce qui a trop bien marché ? Macron aurait-il pu prendre un avion pour un « non-sujet » ?

Quand on y repense, il ne pouvait en être autrement, la Côte d’Ivoire bien qu’étant la locomotive de l’UEMOA, ne figure pas parmi les dix pays les plus solides du continent : NIGERIA, AFRIQUE DU SUD, EGYPTE, ALGERIE, MAROC, ETHIOPIE, KENYA, ANGOLA, GHANA, TANZANIE. Remarque de poids : tous ces pays disposent de leur monnaie, et aucun n’appartient à l’espace francophone de l’Afrique de l’ouest. De quoi faire réfléchir !

Et dire que même la BCEAO (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest) s’est engouffrée dans l’enfarinement à travers un communiqué qui dit en substance : « En vue de permettre aux économies de l’UEMOA de se préparer à l’ECO, les accords de coopération monétaire liant les Etats membres de la zone à la France ont été profondément remaniés. Concrètement, trois décisions ont été prises : le changement du nom de la monnaie Franc CFA en ECO, lorsque les pays de l’UEMOA intégreront la nouvelle zone ECO de la CEDEAO ; l’arrêt de la centralisation des réserves de change au Trésor Français, la fermeture du compte d’opérations et le transfert à la BCEAO des ressources disponibles dans le compte ; le retrait de tous les représentants Français dans les organes de décision et de gestion de l’UMOA (Conseil d’Administration de la BCEAO, Commission bancaire et Comité de Politique Monétaire). Par ailleurs, dans l’optique de faire de l’ECO le fondement du dynamisme de l’union économique, ainsi que de la prospérité des populations des pays concernés, les plus Hautes Autorités de l’UEMOA ont souhaité conserver deux piliers clefs de la stabilité monétaire de la zone : Le maintien du taux de change fixe par rapport à l’euro (qui assure la parité actuelle) ; la garantie de convertibilité illimitée de la monnaie par la France ». Où en est cette banque centrale à dix jours de la fin du mois de juillet 2020 ?

Et quand le président nigérian Muhammadu Buhari hausse le ton, on comprend que tout soit remis en cause. Car, rien que le Ghana et le Nigeria réunis constituent les deux locomotives de la CEDEAO.

Aujourd’hui, ce qui manque le plus aux quinze Etats de la CEDEAO reste l’abandon de leur souveraineté individuelle. La vision semble présente, tout comme les compétences ; ne reste que la gouvernance qui devra décider de la marche –parfois forcée- à suivre. Car sans sacrifices, rien ne se fera. C’est ici que revient la question de l’harmonisation des textes de gouvernance et des tripatouillages constitutionnels, selon les humeurs de chaque président quidam. Le marché aussi existe déjà pour consommer ; ne manque que la production et sa transformation sur place. Et lorsque les secteurs primaires, secondaires et tertiaires seront alignés, que les produits locaux seront encouragés au détriment des imports, et que la question de la porosité des frontières sera réglée, alors la marche de la CEDEAO sera visible et tangible. En espérant que le lancement véritable de l’Eco-la vraie- se fera par des dirigeants africains, et au profit exclusif des peuples africains.

En attendant, chacun veut savoir la position de la France par rapport à un 3ème mandat d’Alassane Ouattara. Avaler la couleuvre ou hausser le ton sans sortir le bâton ? A suivre.

Godson K. / Liberté Togo

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