Les billets d’avion, les frais de mission du ministre pris en charge par la société

En dehors des sommes faramineuses qu’elle verse à Contour Global Togo SA, l’autre scandale financier sous Faure Gnassingbé, la Compagnie énergie électrique du Togo (CEET) fait face à de sérieux problèmes de gestion interne. La société est constamment siphonnée par son ancien Directeur général aujourd’hui ministre des Mines et de l’Energie, Dammipi Noupokou. La plupart des dépenses du ministre, de ses proches et de certains cadres du ministère sont prises en charge par la société. Des pratiques qui viennent s’ajouter aux problèmes de gestion interne.
 
De la création de la CEET à sa privatisation ratée
 
La Compagnie Energie Electrique du Togo (CEET) est créée le 20 mars 1963 pour assurer la production, le transport et la distribution de l’énergie électrique au Togo. Mais avec la création en 1968 de la Communauté Electrique du Bénin (CEB), société appartenant au Bénin et au Togo, chargée de la production et du transport de l’énergie électrique sur l’ensemble des deux territoires, les activités de la CEET se sont recentrées sur la distribution de l’énergie électrique au Togo. Avec le boom phosphatier, cette société comme toutes les autres a connu un moment de gloire au point de s’offrir un immeuble sur le Boulevard Malesherbes à Paris. En revanche, ceux qui étaient aux affaires n’ont jamais pensé développer le secteur et assurer une autonomie en énergie électrique aux Togolais. De plus, la compagnie a été victime de gabegie et de mauvaise gestion. Ce qui a eu pour conséquence les nombreux délestages que le pays a connus vers la fin des années 90.
 
En 2000, à la suite d’une réforme du secteur de l’électricité au Togo, les activités de distribution de l’énergie électrique au Togo ont été concédées à Togo Electricité, filiale de la Société Elyo qui appartient au Groupe Suez. Une privatisation opaque qui a donné des résultats catastrophiques. La coupure fréquente du courant électrique a valu à cette société le surnom de « Togo Obscurité ». C’est dans cette situation de chaos que le gouvernement a décidé le 22 février 2006, de mettre fin à la concession de Togo Electricité, ramenant ainsi à la CEET dans le giron étatique. « Face au non respect des engagements pris par le groupement Elyo et Hydro Québec International qui a cependant perçu toutes les redevances dues à leur société Togo-Electricité et en raison des dysfonctionnements multiples constatés dans l’exécution de la convention de concessions, le Gouvernement n’avait d’autres choix que de mettre fin à cette expérience qui s’est avérée douloureuse pour nos populations », a précisé à l’époque un communiqué du gouvernement. Ce que contestent les propriétaires de Togo Electricité qui parlent de rupture unilatérale de contrat et qui portent plainte contre l’Etat togolais devant le Centre International de Règlement des Différends relatifs à l’Investissement (CIRDI). A en croire La Lettre du Continent N°634 du 1er septembre 2010, la sentence est lourde : l’Etat togolais est condamné à payer la somme de 60 millions d’euros, soit près de 40 milliards de francs CFA aux propriétaires de Togo Electricité.
 
Ainsi, depuis 2006, la CEET a repris service mais fait face à une gestion hasardeuse et à un pillage systématique.
 
La compagnie siphonnée par le ministre
 
Le ministre des Mines et de l’Energie, Dammipi Noupokou est le seul dont les sociétés relevant de son département ont à leur tête des directeurs généraux par intérim : la SNPT et la CEET. Est-ce une situation créée à dessein ? Difficile de le dire. Mais c’est le cas de la CEET qui nous intéresse ici. Son DG actuel par intérim, le sieur Mawussi Kakatsi, n’a aucun pouvoir réel et ne peut rien refuser au ministre qui a fait de cette société une vache à lait. Il est peint dans la boîte comme une marionnette qui évolue selon la cadence imprimée par le ministre et ses hommes de main qui veillent sur ses intérêts dans la compagnie. « Depuis que l’ancien DG Dammipi Noupokou est nommé ministre des Mines et de l’Energie, il n’y a eu que des DG intérimaires à la CEET. Et ça fait bientôt quatre ans que cette situation dure. Dans ces conditions, le DG actuel estime tout devoir au ministre et ne fait rien pour contrecarrer la stratégie de siphonage de la société mise en place par le ministre. Si rien n’est fait, la société risque de connaître des lendemains difficiles avec ce qu’elle endure déjà avec les milliards versés à Contour Global Togo SA », s’inquiète un agent qui ajoute que la nomination de l’ancien ministre Foli-Bazi Katari au poste de Président du Conseil d’Administration de la CEET ne va rien changer.
 
Bien que chaque ministère dispose d’un budget de fonctionnement, la plupart des dépenses du ministre et de son entourage sont prises en charge par la CEET. « Il existe à la CEET un compte pour le ministère. C’est la CEET qui a aménagé son ancien bureau dans l’immeuble des Services des chèques postaux non loin de la BTD et l’actuel bureau se trouvant dans l’enceinte de l’ARSE. Quand le ministre offre une réception à quelqu’un pour des dépenses de 100 à 300 000 FCFA, il envoie la facture à la CEET. Ce qui énerve les petits agents dont les conditions de vie et de travail sont des plus exécrables », raconte ce même agent. Ainsi, l’Etablissement Luxair Distribution & Prestation s’est, pour les boissons des fêtes de fin d’année, vu payer par la CEET la bagatelle de 20 millions FCFA.
 
De plus, les billets d’avion, les frais de mission du ministre et de certains cadres du ministère sont souvent à la charge de la compagnie. Une femme explique : « Il existe des agents au ministère qui sont directement payés par la CEET. Il y en a qui n’ont pas de numéro matricule et qui ont un salaire à la fin du mois. Comme ils ont des facilités à la CEET, ils multiplient des missions fictives. Pour les chantiers du ministre, ce sont les véhicules et les chauffeurs de la CEET qui sont sollicités pour y convoyer les matériels ».
 
Il nous revient que la CEET a même acheté des ordinateurs pour les enfants du ministre. Dans nos recherches, nous sommes tombés sur des demandes d’achat d’une imprimante multifonction et d’une imprimante HP Laser Jet Pro pour le ministère des Mines et de l’Energie.
 
En outre, le ministre possèderait une société écran baptisée ETE (Etablissement Togo Electricité) dirigée par un ancien ouvrier temporaire de la CEET. « J’étais même surpris de  retrouver un jour cet ouvrier DG de l’ETE au cours d’un appel d’offres avec les privés », affirme un autre agent sous l’ordre de qui il avait souvent travaillé. Et c’est toujours la société  ETE qui remporte les appels d’offres. Tous les travaux d’électrification rurale et d’éclairage public sont exécutés par lui. En plus, il est difficile aux sociétés qui ne sont pas dans les bonnes grâces du ministre de gagner des marchés. C’est la raison pour laquelle le projet d’extension de l’électrification de la ville de Lomé financé par la BOAD est bloqué depuis bientôt deux ans. Dans un premier temps, la société béninoise MRI qui a gagné l’appel d’offres pour la fourniture de poteaux électriques et d’accessoires de réseau, n’a pas eu l’assentiment du ministre. Il fallait donc chercher la petite bête pour la bouter dehors : l’argument de non-paiement des taxes douanières au Bénin a été avancé. Mais la BOAD l’a jugé fragile et l’a rejeté. On a ensuite allégué que la société MRI aurait falsifié certains documents du dossier qu’elle a déposés. Depuis bientôt deux ans, le projet piétine et le Togo paie les intérêts pour rien. Mais selon nos informations, l’appel d’offres a été lancé de nouveau il y a quelques jours et une société togolaise s’est adjugée le marché.
 
Ce pillage est rendu possible par la présence dans la compagnie des hommes de main de son excellence Monsieur le ministre. Il s’agit d’un certain Landani, assistant du DG, qui veille au grain et de Konlambigue Dadjé, ancien Chef Département Prévisions et Analyse financières devenu depuis deux semaines, Chef Département Contrôle de Gestion. « M. Konlambigue gère tout puisque le déblocage des fonds ne passe plus par le circuit normal. Ce dernier est sur tous les dossiers sombres de la CEET, surtout en matière de l’argent. Parfois, c’est lui qui arrive avec des papiers et qui reste derrière les agents en disant que c’est pour le ministre et qu’il faut vite payer », révèle une secrétaire. Tout est organisé de telle sorte que l’inspection d’Etat et la Cour des Comptes ne voient que du feu lors de leur contrôle. Et ce n’est pas pour le roi de Prusse que M. Konlambigue vient d’être nommé Chef Département Contrôle de Gestion.
 
C’est également la CEET qui participe à la vie financière de l’Autorité de réglementation du secteur de l’électricité (ARSE), une autre chasse gardée du ministre. Ce machin dont on ne sait à quoi il sert, engloutit plusieurs centaines de millions par an. En 2006, la CEET a versé à l’ARSE 419 444 444 FCFA, 430 896 667 en 2007, 370 000 000 en 2008, 350 000 000 en 2009 et 87 500 000 pour le premier trimestre de cette année 2011. Quant aux dispositions qui autorisent ces sorties de fonds, elles demeurent un mystère.
 
Problèmes internes de gestion
 
La société fait face à de sérieux problèmes de gestion interne. Selon un expert, la CEET fait partie des sociétés qui ne sont pas bien gérées au Togo. « Il n’y a pas une rigueur dans la gestion financière de la CEET. Elle est souvent victime des dépenses de prestige. Ce qui constitue une menace pour l’avenir de la société. Je pense que le statut d’intérim qui colle à la peau du DG, le fragilise beaucoup vis-à-vis de ses collaborateurs. Ses pouvoirs sont limités et il ne peut rien devant certains se réclamant hommes du ministre. A cette allure, la compagnie risque de tomber en faillite. Ce qui n’arrangera personne », explique-t-il.
 
A en croire la plupart des agents, les chefs des départements se comportent comme des sultans et dilapident les fonds mis à leur disposition. Ils se sont octroyé en dehors des frais de fonctionnement, d’autres faveurs financières qui leur permettent de mener un train de vie sultanesque. Certains de ces chefs de département organisent des sorties de l’argent liquide qui échappent au contrôle des services compétents. Une situation favorisée par le népotisme, fait remarquer l’expert qui ajoute que la plupart des cadres ont été recrutés selon leur origine ethnique et non selon leur compétence.
 
Le patrimoine de la CEET connaît les mêmes problèmes de gestion. Les contrats de location des agences sont faits dans un flou total. Des indiscrétions, l’agence CEET d’Agoè n’a pas de contrat en bonne et due forme mais la CEET paie la location. Pour installer l’agence d’Avépozo, des services techniques devant faire le contrôle du lieu ont constaté que l’endroit était envahi d’eau et en ont fait mention dans leur rapport. Pourtant, la maison a été prise.
 
A ces problèmes s’ajoutent les sautes d’humeur du Directeur des ressources humaines Abi Kao. Il se présente comme le « lion de la boîte » et fait ce que bon lui semble. Sont mises en cause ses manières de recruter le personnel et sa propension à sanctionner de façon abusive les agents. Il est très décrié dans la boîte pour ses rapports avec le personnel tant féminin que masculin.
 
C’est dans ces conditions qu’est gérée la société nationale de distribution de l’énergie électrique. Et si on n’arrête pas l’hémorragie, la CEET sera obligée de mettre la clé sous le paillasson avec toutes les conséquences que cela représente pour l’économie togolaise. Bien que notre journal bénéficie de quelques annonces de cette société, on est en droit d’en parler pour le bien de tous.
 
R. Kédjagni
 
source: liberté hebdo togo