• Les compétences de la DNCMP et des commissions d’analyses des autorités contractantes remises en question?

Le 5 juin 2020, alors que les attributaires se préparaient à sabler le champagne, le Comité de règlement des différends a frappé du sceau de nullité les résultats provisoires qui donnaient respectivement gagnantes les sociétés Anteor Sarl, UPL et Stiea Sarl des lots 1, 2 et 3 du marché de fourniture d’insecticides pour la campagne agricole 2020-2021. C’était suite à l’appel d’offres restreint N°001/2020/FNGPC/COOP-CA du 6 février 2020 de la Nouvelle société cotonnière du Togo (NSCT).

A la date limite de dépôt des offres fixée au 12 mars 2020, la commission de passation des marchés publics de la NSCT a reçu et ouvert les 9 offres des soumissionnaires dont celles de la société Monfith, Anteor et Sproca. Après évaluation, la sous-commission a provisoirement déclaré attributaires : Anteor du lot 1 pour un montant de 729 439 200 FCFA ; la société UPL pour un montant de 904 486 128 FCFA ; et la société Stiea pour une valeur de 1 161 540 000 FCFA.

Et comme dans presque tous les marchés depuis des années, la Direction nationale de contrôle des marchés publics (DNCMP), telle un mouton de Panurge, donne son quitus sous la forme d’un avis de non objection par lettre n°0897/MEF/DNCMP/DRMP&DAJ du 10 avril 2020 sur le rapport d’évaluation des offres.

Non satisfaites, trois sociétés, Monfith, Anteor et Sproca ont réagi les 22 avril, 4 et 8 mai 2020 par une saisine du CRD (Comité de règlement des différends) pour contester les résultats provisoires prononcés par la Personne responsable des marchés publics (PRMP). Voici les motifs avancés.

Recours du soumissionnaire SPROCA SA (lot n° 1)

La société SPROCA soutient à l’appui de son recours :

-que la NSCT a motivé le rejet de son offre pour le lot n° 1 par sa non-conformité aux exigences du DAOR qu’elle a liée à la non-conformité de l’attestation de bonne fin d’exécution produite, alors qu’elle a admis que ladite offre est techniquement et financièrement conforme ;

-qu’elle tient à rappeler que l’appréciation faite sur l’attestation de bonne fin d’exécution fournie ne saurait justifier la conformité d’une offre ;

-que cette motivation incohérente du rejet de son offre traduit des erreurs dans le résultat notifié qui doit être annulé ;

-que par ailleurs, en se référant à l’antériorité de ses relations contractuelles avec l’autorité contractante, celle-ci ne saurait de bonne foi nier qu’elle dispose d’une expérience suffisante dans le domaine requis ;

-qu’en effet, les nombreuses attestations de bonne fin d’exécution produites dans son offre démontrent à suffisance que la société SPROCA Sarl a toujours livré des insecticides de toutes gammes et de tonnages élevés à l’autorité contractante ;

-qu’au-demeurant, l’exigence de marché similaire portant sur des quantités équivalentes ou supérieures à celles sollicitées, sans aucun lien avec l’objet du marché, posée à la clause IC 5.1 du DAOR, constitue une disposition discriminatoire prohibée par la réglementation en vigueur dans la définition des capacités techniques requises dans les marchés publics ;

-qu’elle espère vivement que le Comité ne restera pas insensible à cette grave irrégularité qui a pour effet de restreindre l’accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique;

-qu’au regard de tout ce qui précède, elle demande au CRD d’annuler les résultats provisoires du lot susmentionné et de la rétablir dans ses droits.

Recours du soumissionnaire MONFITH SA (lot n° 2)

La société MONFITH SA conteste les résultats provisoires du lot n° 2 de l’appel d’offres susmentionné et soutient à l’appui de son recours :

-que la NSCT l’a disqualifiée de l’attribution du marché au motif qu’elle a fourni une référence de marché similaire dont la quantité d’insecticide est inférieure à celle exigée dans le DAOR, alors qu’en procédant par appel d’offres restreint, cette autorité contractante est censée être déjà convaincue de la capacité des soumissionnaires invités à livrer la fourniture demandée ;

-que même s’il est vrai qu’elle n’a pas encore eu l’occasion de livrer la quantité d’insecticide exigée, il n’en demeure pas moins qu’elle a déjà livré à la NSCT plus de 500.000 litres d’herbicides, quantité qui dépasse largement les fourchettes exigées dans le DAOR ;

-qu’à ce propos, elle tient à préciser que les herbicides et les insecticides sont toutes deux classées dans la famille des pesticides agricoles, ce qui permet au Ministère de l’Agriculture de ne pas les distinguer mais d’octroyer un seul et même agrément pour autoriser leur commercialisation ;

-qu’à plus forte raison, l’autorité contractante donne elle-même la preuve que l’expérience dans la fourniture des herbicides vaut pour celle d’insecticides lorsque dans le DAOR relatif à la fourniture des herbicides, à la clause IC 5.1 des DAOR, elle exige la référence d’un marché portant sur la fourniture d’insecticides ;

-qu’au lieu de prendre en compte les références valables fournies dans son offre qui lui donnent droit à l’attribution du marché, l’autorité contractante a préféré désigner attributaire la société UPL TOGO alors que celle-ci ne figure ni sur la liste restreinte des candidats invités à soumissionner, ni sur un quelconque addedum indiquant qu’elle a été ultérieurement invitée ;

-qu’en fait, UPL TOGO est une nouvelle société issue du rachat de Arysta Life Science par UPL, l’année dernière, sans expérience en marchés similaires, qui n’a jamais livré de produits au Togo ;

-que de plus, cette société est déclarée attributaire alors qu’elle ne répond pas à l’exigence du DAOR relative à la fourniture d’un échantillon d’emballage pour chaque type de produit proposé ;

-qu’en effet, à la séance d’ouverture des offres, bien qu’elle ait soumissionné pour les trois (03) lots de l’appel d’offres restreint, UPL-TOGO avait présenté comme échantillon, quatre (4) bidons et deux (2) cartons ainsi que l’atteste le PV d’ouverture des offres ;

-qu’au regard de tout ce qui précède, elle demande au CRD d’annuler les résultats provisoires du lot susmentionné et de la rétablir dans ses droits.

Recours de la société ANTEOR Sarl (lot n° 3)

De son côté, la société ANTEOR Sarl soutient à l’appui de son recours :

-qu’en refusant de la déclarer attributaire du lot n° 3 en lieu et place du lot n° 1 de l’appel d’offres sus-indiqué pour lequel son offre était également évaluée conforme et moins disante, l’autorité contractante a violé le principe d’économie qui régit les marchés publics ;

-qu’en effet, l’attribution dudit lot fait apparaître un manque à gagner de 339.660.000 FCFA pour l’autorité contractante, comparée à celle du lot n° 1 qui lui a été faite ;

-que l’autorité contractante a refusé de revoir l’attribution effectuée en invoquant la règle d’attribution des lots par ordre chronologique, alors qu’aucune clause du DAOR ne prévoit l’application d’une telle règle ;

-qu’en l’absence d’une clause prévoyant une telle modalité de dévolution des lots dans le DAOR, l’autorité contractante ne saurait la lui opposer et renoncer à l’économie qu’elle pourrait réaliser en lui attribuant le lot n° 3 ;

-que pour sa part, elle reste disposée à renoncer au lot n° 1 indûment à elle attribué au profit du lot n° 3 pour permettre à l’autorité contractante de respecter le principe d’économie régissant les marchés publics ;

-qu’au regard de ce qui précède, elle demande au CRD de faire reprendre les attributions respectives des lots n° 3 et n °1 de l’appel d’offres susmentionné.

Le CRD a tranché et tout remis à plat

Après avoir considéré que les recours des sociétés MONFITH SA, ANTEOR Sarl et SPROCA Sarl sont dirigés contre la même autorité contractante et portent sur le même appel d’offres, et que ce faisant, dans l’intérêt d’une bonne administration desdits recours, il y a lieu d’ordonner leur jonction pour qu’il y soit statué par une seule et même décision, le CRD a décidé que les recours de Monfith et Sproca étaient fondés, mais que celui d’Anteor ne l’est pas ; mais ordonne l’annulation des résultats de l’évaluation des offres des lots n°1, 2 et 3 et leur reprise.

Trop de laxisme de la part de la DNCMP et des commissions d’analyses ?

La multiplication des annulations de résultats provisoires commence à inquiéter. Surtout que sur ce marché réparti en trois lots, tous feront l’objet de reprise. Et pourtant les évaluations sont passées par les tamis nommés « commissions d’analyse » et la Direction nationale du contrôle des marchés publics (DNCMP).Dans ses attributions, la DNCMP:

-reçoit et émet un avis sur les plans de passation des marchés publics et délégations qui sont préparés chaque année par toute autorité contractante qui assure la publication. Elle est associée aux réunions de coordination entre les autorités contractantes et les autorités en charge d’élaborer le budget de l’Etat. Elle assure également le suivi de l’exécution budgétaire par la réservation du crédit et sa confirmation;

-émet un avis de non objection sur les dossiers d’appel d’offres, y compris l’avis d’appel d’offres, avant lancement de l’appel à concurrence et la publication correspondante, ainsi que sur leurs modifications éventuelles ;

-accorde les autorisations et dérogations nécessaires à la demande des autorités contractantes lorsqu’elles sont prévues par la réglementation en vigueur;

émet un avis de non objection sur le rapport d’analyse comparative des propositions et le procès-verbal d’attribution provisoire du marché, validé par la commission de contrôle des marchés publics;

-procède à un examen juridique et technique du dossier de marché ou de délégation avant son approbation et au besoin adresse à l’autorité contractante toute demande d’éclaircissement, de modification de nature à garantir la conformité du marché avec le dossier d’appel d’offres et la réglementation en vigueur;

-émet  un avis de non objection sur les projets d’avenant;

-apporte, en tant que besoin, un appui technique aux autorités contractantes depuis l’élaboration des plans de passation de marchés, la préparation des dossiers d’appel d’offres jusqu’à la réception définitive des prestations.

La Direction Nationale du Contrôle des Marchés Publics est également chargée de contrôler l’activité des directions régionales chargées du contrôle des marchés publics.

Mais est-ce à dire qu’elle ne doit pas rejeter des résultats d’analyses ? Parce que les griefs retenus par le CRD pour annuler les trois lots pouvaient aussi être constatés par cette structure. Pourquoi laisse-t-elle passer autant d’imperfections ? Ainsi, à supposer que le CRD ne fonctionnait pas ou était aussi défaillant, combien de marchés mal ficelés passeraient entre les mailles du filet ? On ne veut pas revenir sur le cas de ces sous-commissions d’analyse qui n’existent que de nom et dont l’efficacité devient problématique dans certaines autorités contractantes. De quoi remettre en cause les formations à elles dispensées.

Godson K. / Liberté

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