Par Roger Ekoué FOLIKOUE

Oui je m’adresse à vous,  toutes les personnes intéressées de près ou de loin par la formation de la jeunesse, de notre jeunesse, et vous êtes nombreux : des millions de parents, des dizaines de milliers d’enseignants mais aussi les millions de jeunes que compte notre pays. 

Je m’adresse à vous en m’appuyant sur la réalité culturelle de l’arbre à palabres que nous aimons évoquer comme espace de discussion. Je veux aussi m’appuyer sur deux philosophes, le premier est PERICLES qui nous dit qu’il est bon de toujours se renseigner par la parole avant d’agir et le second est Jürgen HABERMAS qui nous invite lors des discussions à ne retenir que le meilleur argument pour le bien de tous. C’est donc cette recherche du bien commun avec une prise de temps de distance toujours nécessaire quand bien même nous sommes impliqués dans l’action qui guide cette réflexion, et non le désir d’une vaine polémique, pour voir ce que nous pouvons encore corriger ensemble, car il n’est jamais trop tard et nul ne détient à lui seul la vérité.

UN CONTEXTE

2020 a été l’année de l’irruption d’une crise sanitaire mondiale qui a des incidences incalculables sur tous les plans y compris le plan éducatif. La pandémie du COVID-19 a bousculé tout système éducatif et plus encore dans nos pays en Afrique où nous avions déjà d’énormes problèmes. 

Au Togo, des approches de solutions ont été imaginées et surtout dans l’enseignement supérieur. Ainsi, nous avions tout fait pour terminer les deux semestres afin d’éviter leur invalidation. En temps de crise, nous avons fait preuve de créativité pour parer au plus pressé. La crise continue avec la persistance de la pandémie et nous sommes toujours à la recherche des solutions pour former surtout les jeunes dans nos universités. Personne ne peut aujourd’hui nier le rôle et l’importance du numérique, personne ne peut aussi nier la nécessité de l’innovation et enfin il appert pour beaucoup que cette crise peut être une opportunité de revoir certaines pratiques tant il vrai que les temps de crise peuvent être des temps de nouvelles semailles. Mais cela peut-il se faire à n’importe quelle condition ?  C’est dans ce contexte que se situe le présent appel et je me permets de poser quelques questions à propos de la formation universitaire dans notre pays. 

A VOUS ENSEIGNANTS-CHERCHEURS

 Je devrais dire « A nous enseignants-chercheur »s, car je fais partie de ce corps et la situation actuelle m’interpelle énormément en tant que formateur, c’est-à-dire celui qui a la charge d’aider les jeunes à  actualiser ce qui est potentiel en eux dans un cadre de formation.  Nous sommes l’élite intellectuelle et scientifique de ce pays : a-t-on déjà vu une innovation mise en place sans expérimentation préalable sur un petit échantillon ?  Est-ce possible en  éducation où nous avons affaire à des êtres humains dont l’avenir dépend de l’éducation reçue ? L’innovation actuelle concerne quand même près de 80 000 étudiants dans nos deux universités. 

Une pandémie, si persistante soit elle, pourrait-elle nous obliger scientifiquement et politiquement à nous dérober à cette exigence que nous connaissons tous comme des experts et qui exige d’aller étape par étape dans l’introduction d’une innovation fut-elle légitime ?

Oui cette innovation nous concerne nous, enseignants-chercheurs, car nous avons appris à concevoir des cours en ligne mais est-elle suffisante pour une généralisation sans un temps de recul et de bilan ? Sommes-nous entièrement satisfaits de la « formation » que nous avons reçue ces jours-ci au vu des difficultés rencontrées et des problèmes connus ?

Oui ce n’est pas nous qui avons décidé de l’option pour la formation à distance, mais cela nous oblige-t-il à devenir de simples exécutants sans esprit critique ? Tout ce qui est techniquement possible peut-il devenir une décision éducative sans une étape d’expérimentation à petite échelle pour tirer les conclusions utiles et indispensables ?  

Alors à nous enseignants-chercheurs, je voudrais poser quelques questions : 

La peur irait-elle jusqu’à nous pousser à participer à une entreprise que notre intelligence et notre niveau de formation ne cessent de remettre en cause ? Ou bien avons-nous quelque intérêt à ce que la formation à distance soit mise en place comme elle est pensée actuellement ? Ou bien encore serions-nous indifférents à ce qui arrive aux étudiants envers qui nous sommes comme des sages-femmes, pour parler comme Socrate ? Voudrions-nous être coresponsables d’un processus qui à terme pourrait mettre à mal toute la formation des jeunes, et en quelque sorte tuer leur avenir ?  Est-ce vraiment impossible de réorganiser la chose autrement en respectant les règles de l’introduction de toute innovation dans un système ? Pourquoi un tel silence dans le Temple du savoir pour le bien collectif et pour le bien de notre jeunesse et de notre système éducatif au niveau le plus élevé ?

A VOUS ETUDIANTS

Vous êtes nombreux dans nos deux universités publiques ; vous êtes l’avenir de notre Nation, de notre continent. Vous êtes certes en formation mais vous avez votre mot à dire car vous avez fini le secondaire. Ne devrait-on pas vous associer davantage au système de formation ?  A l’université on vous demande de faire des recherches, on exige de vous le travail individuel car tout processus éducatif doit, non seulement déboucher sur l’acquisition et la valorisation des compétences, mais surtout conduire à une plus grande autonomie. 

 Alors, vous étudiants,  vous qui avez subi ce qui s’est passé l’année  dernière, qu’en dites-vous aujourd’hui sur cette innovation pendant qu’on vient de franchir la dernière étape : votre « formation » de quelques heures avant le début des enseignements ! 

N’y aurait-il pas vraiment un mécanisme pour échanger et recueillir toutes les impressions pour  écouter les peurs, les angoisses, les interrogations des apprenants afin de voir comment améliorer une innovation qui est tout aussi nouvelle pour les anciens que pour les nouveaux venus directement du  secondaire ? La peur doit-elle conduire au sacrifice d’un avenir qui vous concerne mais concerne aussi toute la Nation togolaise?   

A VOUS PARENTS

Après la suspension des cours à cause de la crise sanitaire en mars 2020, des cours à distance ont été organisés à l’université de  Lomé et  à l’université de Kara. Vous avez certainement dû acheter ou aider à acheter les Smartphones indispensables pour cela, vous avez dû participer aux frais élevés de connexion, vous avez compati à cause des aléas de la connexion et des difficultés des étudiants à suivre les cours. Et voilà qu’on a décidé d’étendre cette formation à distance à toute la formation universitaire pour cette année académique. Alors, à vous parents d’étudiants,  je voudrais poser quelques questions : 

Qu’est-ce qui vous garantit que les presque 80 000 étudiants concernés cette année ne vont pas être « les cobayes » d’une expérience malheureuse ? Et si cela s’avérait une expérience ratée qu’est-ce qui est prévu ? Que deviendront vos enfants, nos enfants ? Ne sommes-nous tous pas concernés par cette situation ?

Il ne s’agit pas ici  de la peur de l’innovation, qui est, certes, nécessaire dans tout système et surtout éducatif et notre pays en a vraiment besoin mais devons-nous innover sans passer par des étapes et des phases d’expérimentation avant de généraliser ?

Le  souci d’éviter le sentiment  d’avoir utilisé  des ressources en vain est le vrai mobile de  cette invitation à la réflexion car nous avons toujours la possibilité de redresser les choses sans mettre des étiquettes sur la personne qui parle ou écrit. Cet appel se veut être la contribution d’un enseignant-chercheur qui met l’avenir des jeunes au cœur du dispositif qui se met en place.  

« Ce n’est pas le jour de la chasse qu’il faut élever un chien » alors l’avenir de notre jeunesse et de notre Nation dépend d’aujourd’hui.

LAISSER UNE RÉPONSE

Please enter your comment!
Please enter your name here