Ces derniers temps la situation au Mali, en Guinée et au Burkina Faso a fait la Une de l´actualité en Afrique et continue à le faire. Pourtant cette prise de pouvoir par les militaires ne date pas d´aujourd´hui en Afrique. Tant elle est condamnée, tant elle est applaudie aussi bien par les citoyens lambda que par les spécialistes. Les avis sont souvent partagés sur le sujet. Certains pensent qu´en aucun cas l´armée ne doit intervenir pour faire un coup d´État et prendre le pouvoir par la force, quelles que soient les crises qu´un pays peut rencontrer car c´est une violation d´un ordre constitutionnel. Pour d´autres, et pas les moindres,  il y a de bons et de mauvais coups d´État. En un mot c´est le mobile du coup d´État qui est pris en compte par ces derniers dans leur appréciation, c´est-à-dire ce qui a poussé l´auteur à agir, doit être pris en compte pour apprécier, s´il s´agit d´un bon ou mauvais coup d´État.

Au-delà de cette divergence d´opinion, ne devrait-il pas y avoir une autre possibilité légale prévue dans la constitution pour pouvoir faire partir un président en cas de crise grave sans l´intervention de l´armée ? Avant cela, la proximité étroite même de l´armée dans l´arène du pouvoir ne peut-elle pas être une des causes qui favorisent les coups d´État en Afrique ? Autant de questions pour comprendre ce qui favorise et aiguillonne cette envie chez les militaires de prendre le pouvoir.

Si on regarde les choses de près en Afrique, on peut constater que l´armée est partout dans l´arène du pouvoir. Elle accompagne les présidents partout où ils vont. Même au cours d´un voyage à l´étranger c´est un officier de l´armée ou de la  gendarmerie qui les accompagne et qui tient leur sac quand on les voit descendre de l´avion. Même dans les salles de réunion l´officier est debout derrière les présidents ou resté assis derrière eux durant toute la séance de travail ou réunion. On ne voit pas ça en Europe.

Ce qui est encore frappant le jour de la prestation du serment, c´est un gradé de l´armée qui remet le drapeau aux présidents nouvellement élus dans ces pays africains ou du moins dans certains. C´est un symbole fort et cela peut être interprété comme si c´est l´armée qui détient le pouvoir et le remet aux présidents avant la prise de fonction. Cette pratique ne favorise-t-elle pas aussi une place incontournable de l´armée dans la sphère du pouvoir en Afrique ? Tout cela met l´armée au centre du jeu et la rend indispensable en tout temps et en tout lieu autour des présidents de la République.

En Europe dans les pays démocratiques, il n´y a pas cette proximité très étroite de l´armée avec le pouvoir même si le cas français est un peu à part. Ceux qui assurent la sécurité des dirigeants sont en tenue civile. Donc, cette proximité de l´armée dans le cercle du pouvoir rend les présidents dépendants de leur armée en Afrique et peut être vue comme l´une des causes qui favorisent le sentiment de détention du pouvoir chez les militaires. Même dans les villes ce sont les militaires qui assurent leur sécurité à la place de la police.

Il y a aussi une tradition africaine qui n´est pas anodine. C´est la nomination d´officiers de l´armée ou de  la gendarmerie aux postes ministériels alors que dans un gouvernement celui-ci est censé être composé entièrement des civils. À certains hauts postes de nomination sont placés aussi les colonels ou lieutenants de l´armée ou de la gendarmerie alors que ce sont des postes civils. Donc, si on regarde tout ça en Afrique on peut dire que ce sont les dirigeants eux-mêmes qui habituent les militaires avec le goût  du pouvoir et par la suite sont tentés par la prise du pouvoir.

L´armée est partout dans l´arène du pouvoir en Afrique et de la haute administration.  Donc, à force d´être proche tout le temps du pouvoir, on risque d´être tenté par ce pouvoir. Ça peut justifier aussi les coups d´Etat qui sont souvent produits dans ce continent africain. Sinon, pourquoi en Europe il y a aussi souvent des crises politiques mais l´armée n´intervient jamais pour prendre le pouvoir ? C´est la faute même aux dirigeants africains qui rapprochent trop l´armée du pouvoir. Même des militaires gradés sont nommés ambassadeurs en Afrique alors que ce sont des postes réservés aux cadres formés à l´ENA  ou ceux qui ont fait souvent les études de droit.

Normalement s´il y a un problème dans la gestion des affaires du pays, il doit y avoir un moyen prévu par la constitution pour destituer le président du pouvoir comme cela existe aux Etats-Unis par la procédure de l´empeachment  et aussi dans les régimes parlementaires où les députés peuvent retirer la confiance au gouvernement par la motion de censure. Donc on peut penser à tous ces mécanismes juridiques pour tenter de limiter l´intervention de l´armée en politique pendant les moments de crises dans un pays.

On peut prévoir aussi des cours du Droit constitutionnel dans les casernes aux officiers gradés pour qu´ils sachent l´importance de la démocratie dans un pays. Ça pourrait aussi les familiariser avec la démocratie et lutter contre la prise du pouvoir par la force. Il faut éloigner l´armée du pouvoir autant que possible si on veut éviter les coups d´État en Afrique.

Dans tous les cas, l´armée n´est pas faite pour diriger un pays mais pour le défendre. Donc, pour éviter cela, il faut prévoir les moyens juridiques dans la constitution pour pouvoir destituer un président de la République en cas de crise majeure et non seulement en cas de haute trahison. Ce pouvoir de destitution doit revenir aux députés dans des conditions prévues par la constitution. Comme il est dit plus haut, il faut former surtout les militaires dans le Droit constitutionnel et leur dire que leur rôle ce n´est pas la politique mais seulement de défendre le pays contre une agression extérieure.

Les dirigeants doivent savoir pourquoi ils sont élus et les militaires aussi doivent savoir pourquoi ils sont engagés dans l´armée. Chacun doit rester à sa place et faire correctement son boulot.

Christian Spieker

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