Le mercredi 6 juin dernier, l’ancien ministre de la Défense sous Laurent Gbagbo, Moïse Lida Kouassi, en exil à Lomé depuis avril 2011, a été kidnappé par les services de renseignements togolais et quelques Ivoiriens appartenant à la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) qui l’ont extradé à Abidjan. Ce qui suscite des réactions sur la toile, et surtout chez les Ivoiriens qui affirment que le pouvoir de Faure Gnassingbé est un danger pour la démocratie dans la sous-région. Etat des lieux.
Bien que tous les juges togolais ressassent qu’ils n’ont jamais reçu un mandat d’arrêt international décerné contre M. Moïse Lida Kouassi, le parquet d’Abidjan a, dans un communiqué publié vendredi, argué qu’un mandat d’emmener a été effectivement émis. « Après audition de 61 personnes, une information judiciaire a été ouverte. 28 personnes ont été inculpées et placées en détention préventive. 12 (douze) parmi elles ont été mises en liberté provisoire. Il convient de préciser également que 24 personnes font l’objet de mandats d’arrêt internationaux. Celui décerné contre MOISE LIDA KOUASSI a été exécuté positivement par les autorités judiciaires togolaises », souligne le communiqué en précisant qu’il s’agit des « infractions à caractère économique ». C’est aussi dans ce volet que le Juge d’Instruction vient de transmettre au ministère de la Justice une commission rogatoire destinée aux autorités judiciaires françaises aux fins d’inculpation de l’écrivaine Calixte Beyala, pour des faits de recel de fonds volés ou détournés et de blanchiment de capitaux. Celle-ci aurait reçu une somme totale de 134.471.185 C FA, équivalant à 205.000 Euros, pour le règlement de prétendus « droits d’auteur ».
Si on s’en tient au communiqué du parquet d’Abidjan, quel crédit faut-il alors accorder aux sornettes des autorités togolaises : « la perquisition effectuée à son domicile a permis la saisie de certains documents révélant l’existence d’activités subversives tendant à la déstabilisation du régime en place en Côte d’Ivoire » ? La question reste posée. Mais une source révèle que dans cette affaire d’extradition de Lida Kouassi, le président ivoirien Alassane Ouattara aurait apporté avec lui l’acte d’accusation remis à son arrivée à l’aéroport à qui de droit afin que le « gibier puisse rentrer à la maison avec lui ». La même source ajoute qu’il aurait été même programmé l’arrestation de plusieurs Ivoiriens pro Gbagbo parmi lesquels des fonctionnaires travaillant pour le compte d’organismes internationaux, mais que le pouvoir togolais aurait été dissuadé par des diplomates en poste à Lomé.
Selon la presse ivoirienne, M. Moïse Lida Kouassi est détenu à la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) à Cocody où il a été auditionné en présence de son avocat. « L’interrogatoire, qui a duré plusieurs heures n’a rien révélé. Lida Kouassi est serein et demande à sa famille ainsi qu’aux Ivoiriens de demeurer tranquilles », rapportent les medias ivoiriens.
En revanche, les réactions se multiplient après cette extradition de l’ancien ministre de la Défense. « Faure Gnassingbé livre Lida à la dictature ivoirienne », titre « Le Temps », un journal pro Gbagbo qui n’est pas du tout tendre avec le pouvoir répressif de Faure Gnassingbé : « L’ancien ministre de la Défense de Laurent Gbagbo, Moïse Lida Kouassi a été arrêté à Lomé (Togo) et extradé à Abidjan, dans la gueule du loup. Dans la pure dictature où croupissent déjà depuis plus d’un an, ses camarades d’idéologie. L’acte que vient de poser le chef de l’Etat togolais, sur demande d’Alassane Ouattara, est grave de conséquences. Qu’il ait le statut de réfugié politique ou non, le ministre Lida est dans sa valeur intrinsèque, une personnalité, une dynamique politique, qu’on ne peut appréhender sans cette dimension qui fait de lui, son être. Désormais, les exilés dans la sous région, partis à la suite de la guerre postélectorale et des événements du 11 avril 2011, sont exposés. Un deal entre le chef de l’Etat ivoirien et un homologue d’un pays hôte peut conduire à l’extradition d’un opposant que Abidjan «guettait» depuis. Les chefs d’accusation naissent à la mesure de l’activité de l’imagination répressive du régime. On sait comment Pascal Affi N’Guessan, président du Fpi, qui avait été simplement mis à l’abri par l’Onuci, a fini par être arrêté, jeté en prison et en jugement sous des chefs d’accusation fabriqués en cours de chemin ». Le journal fait d’autres révélations non moins importantes : « Mais Faure Gnassingbé n’est pas à son coup d’essai. Selon l’information, c’est par ses services que l’avion qui transportait Séka Séka avait été détourné à Abidjan où il a été arrêté à l’aéroport. Il en est de même de Me Dadjé Rodrigue, avocat de Simone Gbagbo, arrêté alors qu’il venait du Togo ». Ce qui amène « Le Temps » à conclure que le pouvoir de Faure est dangereux pour la démocratie dans la sous-région : « Le pacte entre le pouvoir togolais et la dictature ivoirienne est donc en marche. Et les patriotes ivoiriens doivent avoir à l’esprit que l’exécutif togolais est un danger pour la démocratie dans la sous région. A supposer donc que chaque pays qui accueille les refugiés et opposants ivoiriens se rallie à la volonté de Ouattara, que va-t-il se passer ? Ils seront extradés à la pelle à Abidjan, où les atrocités les attendent. Ils seront livrés à une justice des vainqueurs. Ils seront soumis au lynchage, à la violence des Frci et des militants du Rdr. Ils seront exposés à l’accueil des cimetières. Et le pouvoir togolais aura sur sa conscience ( ?) leur traumatisme, leurs meurtrissures et leur mort. Mais on comprend Faure Gnassingbé. Depuis sa naissance, il n’a jamais connu l’opposition. Il est né dans le pouvoir qui lui a été ensuite légué. Etre opposant, vivre à l’exil, y perpétuer le combat pour la délivrance de son peuple n’a jamais été de sa culture. Puisqu’il a toujours été du côté de main dictatoriale. C’est pourquoi, sans état d’âme, il livre les opposants ivoiriens à Ouattara dont le pouvoir est inscrit dans l’axe des dictatures du siècle. Danger ! ».
Un proche de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo s’en fait écho dans un article posté sur « lynxtogo.info » : « Mais Faure n’accorde aucune importance à la vie humaine. Il aime faire du tapis avec le corps des Togolais. Si tu n’aimes pas Faure, tu vas en prison ou tu meurs. C’est pourquoi les Togolais le craignent. Or qui s’assemblent se ressemblent. Faure et Ouattara sont des alliés. Avec Blaise Compaoré, ils forment le triangle de la mort en Afrique de l’Ouest ». Il rappelle aussi le rôle joué par le Togo pendant la crise postélectorale et qualifie l’extradition de Moïse Lida Kouassi de précédent historique dans la région ouest-africaine : « En 2011, Faure a ouvert le port maritime togolais au trafic des armes qui tuent les Ivoiriens. Faure vient de faire capturer le Ministre Lida Kouassi qui est allé trouver (refuge ?) auprès de lui, puis il l’a livré depuis la nuit du mercredi 6 juin 2012 dans la vallée de la mort à Abidjan. Du coup, le sort de Lida Kouassi, dessiné, planifié et exécuté par Faure Gnassingbé devient un précédent historique en Afrique de l’Ouest ».
En outre, d’autres se demandent pourquoi Lida Kouassi a choisi d’aller vivre au Togo qui a toujours fait le double jeu dans la crise ivoirienne et où les droits de l’homme sont loin d’être respectés. « L’imprudence de M. Lida Kouassi à notre humble avis est d’avoir choisi comme Terre d’Asile le TOGO violemment régenté depuis bientôt 50 ans par Gnassingbé-père et Gnassingbé-fils qui sont pourtant officiellement trempés dans tous les trafics illégaux de matériels de guerre en Afrique depuis des décennies, qui sont pourtant bien connus pour leur soutien à peine voilé aux rebelles d’Alassane Dramane Ouattara … », déplore Kofi Folikpo.
Quoiqu’on dise, rien ne changera à la situation créée par l’enlèvement et l’extradition de l’ancien ministre ivoirien de la Défense. Faure Gnassingbé a fait ce choix malheureux au nom de ses intérêts. Pendant ce temps, ceux qui ont commis les pires crimes de sang et économiques sur les 56 600 km² ne sont jamais inquiétés.
R. Kédjagni
liberte-togo.com