Jil-Benoît K. AFANGBEDJI

Par Maître Jil-Benoît K. AFANGBEDJI

Avocat à la Cour

Docteur en Droit

Enseignant vacataire à l’Université de Kara (TOGO)      

LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE-CEDEAO : FORCES ET FAIBLESSES

Il est connu de tous que la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)[1], qui n’est plus à présenter, poursuit fondamentalement comme objectif, le développement des pays la composant. C’est sans se tromper que de convenir, volontiers, avec nous qu’aucun développement durable digne de ce nom n’existe et ne saurait exister aujourd’hui en dehors des Droits de l’Homme[2]. N’est-il pas de notoriété publique que les Droits de l’Homme sont et continuent d’être, de nos jours, une valeur universellement partagée[3] ? Qu’il s’agisse des discours politiques ou économiques, les Droits de l’Homme y sont présents. Même les dirigeants des pays qui brillent dans la violation des Droits de l’Homme revendiquent la notion.

La Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) n’a pas voulu être en marge de l’évolution du moment. C’est ainsi que l’institution communautaire a porté sur les fonts baptismaux un organe judiciaire dénommé la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO dont l’objectif est d’assurer la protection des Droits de l’Homme dans l’espace sous-régional et c’est fort de cette évidence que le Professeur Kanté BABACAR a pu déclarer qu’« Il n’y a pas d’Etat de droit si les droits des citoyens sont seulement reconnus et non juridictionnellement garantis »[4].

La Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO, composée de sept (07) Juges et ayant son siège à Abuja au NIGERIA, n’a pas cessé de faire couler beaucoup d’encre et de salive après quelques années de son existence. La juridiction communautaire a-t-elle tenu ses promesses ? La Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO a-t-elle été à la hauteur de la noble et difficile tâche à elle confiée ? A-t-elle comblé les attentes de ses justiciables ?

Les avis divergent. En tout cas, pour l’éminent Professeur Philippe ARDANT « Celui qui étudie les droits fondamentaux ne peut se permettre d’être complaisant. Il doit décrire, montrer les forces comme les faiblesses, proposer peut-être des thèmes de réflexion, des solutions parfois »[5].

Nous ne saurons répondre à ces légitimes préoccupations sans nous sentir interpellé par les propos du Professeur Philippe ARDANT. Ainsi, nous analyserons les forces de la Cour de Justice de la communauté-CEDEAO (I) avant de nous pencher sur ses faiblesses (II).

I – LES FORCES DE LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE-CEDEAO.

Des éléments militent en faveur des forces de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO aussi bien sur le plan textuel que pratique.

  1. SUR LE PLAN TEXTUEL
  1. L’existence même de la Cour de Justice de la communauté-CEDEAO.

Nul ne saurait contester que la création ou l’existence même de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO est une force.

On rappellera ici, s’il en était encore besoin, que la Cour d’Abuja a, déjà, dans plusieurs affaires, fait preuve de sévérité à l’encontre des Etats qui piétinent les Droits de l’Homme.

On a encore en mémoire l’arrêt N° ECW/CCJ/JUD/06/08 en date du 27 Octobre 2008 par lequel la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO a condamné la République du NIGER à payer la somme de 10.000.000 FCFA à Dame Hadidjatou Mani KORAOU[6] pour violation de ses Droits de l’Homme.

Le TOGO, par exemple, n’a pas échappé aux sanctions de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO pour avoir, maintes fois, fait l’objet de condamnation à payer diverses sommes d’argent à ses citoyens dont les Droits de l’Homme ont été allègrement violés.

En effet, il nous en souvient que suivant arrêt en date à Abuja du 07 Octobre 2011, la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO avait condamné la République togolaise à payer à Dame Isabelle Manavi AMEGANVI et autres, chacun, la somme de 3.000.000 FCFA pour violation de leurs Droits de l’Homme dans l’affaire dite des Députés de l’ANC.

Non moins intéressant est l’arrêt N°ECW/CCJ/JUD/05/13 en date à Abuja du 11 Juin 2013, la même Cour a condamné l’Etat togolais à payer au sieur Bertin Sow AGBA[7] la somme de 8.000.000 FCFA à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral par lui subi suite à sa détention illégale et arbitraire.

On ne saurait ici passer sous silence l’arrêt N° ECW/CCJ/JUD/06/13 en date à Abuja (NIGERIA) du 03 Juillet 2013 rendu par la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO condamnant toujours le TOGO à payer d’une part, au sieur Kpatcha GNASSINGBE et ses co-condamnés[8] la somme de 3.000.000 FCFA pour certains et d’autre part, 20.000.000 FCFA à d’autres.

Par ces condamnations, la Cour sous-régionale s’est fait un nom. Le véritable effet des condamnations en cause est la crainte que nourrissent aujourd’hui les Etats de l’espace CEDEAO d’être attraits par-devant ladite Cour pour violation des Droits de l’Homme de leurs citoyens.

En clair, les décisions de la Cour ont un effet dissuasif sur les pays de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Rien n’a su ébranler la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO dans son existence. Il est plutôt heureux de constater que ladite Cour poursuit inlassablement la mission qui est la sienne. Il s’agit de la manifestation de la force de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO. On ne peut que souhaiter que cette mission continue de s’exercer à la plus grande satisfaction de tous ses justiciables.

  • Possibilité de représentation des victimes par des Agents devant la Cour (article 12 du Protocole relatif à la Cour de Justice de la Communauté)

Conformément à l’article 12 du Protocole relatif à la Cour de Justice de la Communauté, les personnes victimes de violation des Droits de l’Homme ont la possibilité de se faire représenter par des Agents devant la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO.

  • L’existence d’une procédure accélérée devant la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO

L’une des particularités de la Cour de Justice de la communauté-CEDEAO est d’avoir institué une procédure accélérée pour les dossiers requérant urgence. Cette procédure siège à l’article 59 du Règlement de la Cour de Justice de la communauté-CEDEAO aux termes duquel « A la demande soit de la partie requérante, soit de la partie défenderesse, le Président peut exceptionnellement, sur la base des faits qui lui sont présentés, l’autre partie entendue, décider de soumettre une affaire à une procédure accélérée dérogeant aux dispositions du présent règlement, lorsque l’urgence particulière de l’affaire exige que la Cour statue dans les plus brefs délais ».

Il en résulte que toutes les fois qu’il y a urgemment lieu de mettre fin à une violation des Droits de l’Homme, la procédure accélérée peut être adoptée. Il s’agit encore ici de l’attachement de la Cour aux Droits de l’Homme.

  • La force obligatoire des arrêts de la Cour de Justice de la communauté-CEDEAO à compter du jour de leur prononcé

Toujours dans la droite ligne de la protection des Droits de l’Homme, l’article 62 du Règlement de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO dispose que « L’arrêt a force obligatoire à compter du jour de son prononcé ». Il s’en infère que les arrêts rendus par ladite Cour sont obligatoires dès leur prononcé.

Ainsi, tout Etat, condamné pour violation des Droits de l’Homme d’un justiciable, a l’obligation de se conformer immédiatement aux termes de l’arrêt de la Cour. Une telle disposition est d’autant plus intéressante qu’elle permet à toute personne victime de violation des Droits de l’Homme d’en obtenir, le plus vite possible, réparation.

Ainsi, s’agissant d’une détention arbitraire, celui qui en est victime, devra rapidement obtenir la cessation de cette atteinte à la liberté. La volonté immodérée du législateur communautaire de faire cesser le plus vite que possible les violations des Droits de l’Homme apparaît alors clairement. On constate aussi la force de la juridiction communautaire sur le plan pratique.

  •  SUR LE PLAN PRATIQUE
  1. Non exigence d’épuisement des voies de recours internes

Contrairement à d’autres juridictions internationales investies de la mission de protection des Droits de l’Homme à l’instar de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, la Cour de Justice de la communauté-CEDEAO reste compétente à connaître des cas de violation des Droits de l’Homme indépendamment de tout épuisement préalable des voies de recours internes.

En d’autres termes, un justiciable ayant porté son différend par-devant une juridiction nationale qui n’a pas encore statué est recevable à déférer le même litige par-devant la Cour de Justice de la communauté-CEDEAO à la seule condition que ses Droits de l’Homme aient  été foulés aux pieds et qu’il n’ait saisi une autre juridiction internationale compétente pour le même objet, conformément aux dispositions de l’article 10 du Protocole additionnel portant amendement du Protocole N°A/P.1/7/91[9] relatif à la Cour de Justice de la Communauté.

Le fait qu’une affaire soit pendante par-devant une juridiction nationale ne saurait être une obstruction à ce que le justiciable, alléguant une violation de ses Droits de l’Homme, puisse la porter devant la Cour sous-régionale.

Edifiant dans ce sens, est l’arrêt rendu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme le 18 Juin 1971 dans l’affaire De Wilde, Ooms et Versyp contre la BELGIQUE qui a jugé ce qui suit : « Conformément à l’évolution de la pratique internationale, les Etats peuvent bien renoncer au bénéfice de la règle de l’épuisement des voies de recours internes ».

C’est dans la même logique que suivant arrêt N° ECW/CCJ/JUD/06/08 rendu le 27 Octobre 2008, la Cour de Justice de la communauté-CEDEAO dans l’affaire Hadidjatou Mani KORAOU contre la République du NIGER où la Cour a décidé qu’« En définitive, il n’y a donc pas lieu de considérer l’absence d’épuisement préalable des voies de recours internes comme une lacune… » et que « la règle de l’épuisement préalable des voies de recours internes n’est pas d’application devant la Cour ».

L’intérêt de cette réalité est grand.  Il s’agit de permettre à toute personne victime de violation des Droits de l’Homme d’être empêchée par un Etat de saisir la Cour de cette situation si une action en justice a déjà été introduite dans son pays. Comme quoi, priorité doit être due à la protection des Droits de l’Homme. Cette position de la Cour de Justice de la communauté-CEDEAO est, à notre humble avis, à saluer. C’est la preuve de l’attachement manifeste de ladite Cour au respect des Droits de l’Homme.

  • Possibilité d’envoi des requêtes par voie postale et électronique à la Cour de Justice de la Communauté-       CEDEAO

Une partie à l’instance devant la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO dispose de la possibilité d’envoyer, depuis son pays, sa requête à la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO. Il s’agit là d’une facilité à sauvegarder. Aussi louables que puissent être les efforts de la juridiction sous-régionale d’Abuja, elle n’est pas à l’abri de difficultés ou de faiblesses ainsi qu’il sera démontré dans les lignes qui vont suivre.

II- LES FAIBLESSES DE LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE-CEDEAO

A l’instar de toute institution, la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO, quoiqu’applaudie pour son travail, ne saurait prétendre à la perfection qui, au demeurant, n’est pas de ce monde. La juridiction communautaire a des insuffisances qui se manifestent à l’aune de ses textes (A) et des pratiques qui s’y déroulent (B).

  1. LES DEFAILLANCES SUR LE PLAN TEXTUEL
  1. Sur les dépens

Il ressort de l’article 69 du Règlement de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO qu’il n’est pris en compte, à titre de frais récupérables, que ceux d’un seul Conseil, fussent-ils nombreux.

  • L’absence de texte permettant la récusation des membres de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO

Il ne saurait y avoir de véritable et satisfaisante justice que si et seulement si les membres de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO exercent leur mission en toute indépendance et impartialité.

Certes, l’article 5 du Protocole N° A/P1/7/91 de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO prévoit qu’avant leur entrée en fonction, les membres de la Cour prêtent serment dans les termes suivants : « Je jure (ou déclare) solennellement d’exercer mes fonctions et mes pouvoirs de membre de la Cour de façon honorable et loyale en toute impartialité et en toute conscience ».

De son côté, l’article 3 du même Protocole dispose que : « La Cour est composée de Juges indépendants ». S’il est vrai que de telles dispositions sont louables, il n’en demeure pas moins qu’elles ne constituent pas un obstacle aux dérives des Juges de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO. Il est plus souhaitable que des dispositions prévoient la possibilité de récusation des Magistrats dans des circonstances déterminées.

En effet, il est à convenir avec nous que lorsqu’un Etat est attrait par-devant la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO pour violation des Droits de l’Homme, et que parmi les membres de la Cour devant siéger figure un ressortissant dudit Etat, ce membre peut être enclin à ne pas être favorable à la condamnation de cet Etat.

Quoi qu’on dise, les Juges de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO sont, avant tout, des Hommes. Pour sa part, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples a pris conscience de cette réalité.

En effet, l’article 22 du Protocole relatif à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples portant création de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples dispose qu’ « Au cas où un Juge possède la nationalité d’un Etat partie à une affaire, il se récuse ».

Dans le même sens, aux termes de l’article 8-2 du Règlement de la même Cour « Conformément à l’article 22 du Protocole, tout membre de la Cour de la nationalité d’un Etat partie à une affaire doit s’abstenir de siéger dans cette affaire ».

Selon l’article 8-4-d) du même Règlement, « Aucun membre de la Cour ne peut participer à l’examen d’une affaire si, pour quelque autre raison que ce soit, son indépendance et son impartialité peuvent légitimement être mises en doute ».

Il s’agit là de garde-fou prévu par les dispositions régissant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples pour parer à l’éventualité de dérives de ses Magistrats. Même si cela ne constitue pas un obstacle absolu au défaut d’indépendance et d’impartialité, il  y a lieu de l’approuver.

C’est avec la mort dans l’âme que l’on constate que s’agissant de notre chère Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO, aucune disposition de ce genre n’ait été prévue dans ce sens. Il est plus qu’urgent d’y penser.

  • Défaut de texte pouvant contraindre efficacement les Etats à l’exécution des arrêts rendus par la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO

L’article 22-3 du Protocole relatif à la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO se contente de disposer que « Les Etats membres et les institutions de la communauté sont tenus de prendre sans délai toutes les mesures nécessaires de nature à assurer l’exécution de la décision de la Cour ».

Ici encore, la juridiction communautaire d’Abuja a failli. On rappellera douloureusement que cette disposition ne contraint pas efficacement les Etats à se conformer aux décisions rendues par la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO. Il en résulte que l’exécution des arrêts rendus par les Juges d’Abuja est, laissée à la volonté des Etats.

Sur ce point, la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO est en retard par rapport à la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples dont le protocole relatif à sa charte prévoit, en son article 29-2, que « Les arrêts de la Cour sont aussi notifiés au Conseil des ministres qui veille à leur exécution au nom de la Conférence ».

De son côté, l’article 30 du même Protocole dispose que « Les Etats parties au présent Protocole s’engagent à se conformer aux décisions rendues par la Cour dans tout litige où ils sont en cause et en assurer l’exécution dans le délai fixé par la Cour ».

Pour sa part, l’article 31 toujours du même Protocole dispose que « La Cour soumet à chaque session ordinaire de la Conférence un rapport annuel sur ses activités. Ce rapport fait état en particulier des cas où un Etat n’aura pas exécuté les décisions de la Cour ».

L’efficacité de toutes ces différentes mesures ne fait l’ombre d’aucun doute. Dans ces conditions, après avoir regretté la défaillance de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO sur ce point, on ne peut que l’inviter à marcher dans le sillage de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et même aller plus loin pour remédier à cette insuffisance aux conséquences déplorables.

La réticence observée dans l’exécution des arrêts rendus par la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO dans les affaires Mamadou TANDJA contre la République du NIGER[10], Isabelle Manavi AMEGANVI et autres contre l’Etat togolais[11] et Kpatcha GNASSINGBE et ses co-condamnés toujours contre le même Etat, témoigne de l’urgence à prendre des mesures efficaces pour l’exécution des décisions rendues par ladite Cour. Des faiblesses sont aussi observées sur le plan pratique.

  • LES FAIBLESSES DE LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE-CEDEAO SUR LE PLAN PRATIQUE

Les insuffisances de la juridiction communautaire sont remarquables à plusieurs niveaux.

  1. Sur l’heure du commencement de l’audience

Nous avons constamment observé que les audiences de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO commencent à Onze (11) heures, heure nigériane. A notre avis, rien ne justifie que les audiences de ladite Cour ne débutent plus tôt. Il s’agit d’une situation à laquelle il faut tourner le dos.

  • Sur la durée des plaidoiries

C’est une pratique constante devant la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO que chaque partie, quel que soit le nombre de ses Avocats, n’a droit qu’à trente (30) minutes pour plaider c’est-à-dire faire ses observations orales. Ainsi fussent-ils cinq (05), huit (08) ou dix (10) ou plus, les Conseils d’une partie à l’instance devant la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO n’ont tous que trente (30) minutes pour les besoins de leurs plaidoiries. A eux de savoir s’organiser dans la répartition, s’il y a lieu, des moyens à développer oralement.

Cette situation est d’autant plus regrettable qu’elle n’offre pas aux Avocats des parties de jouir du temps nécessaire pour bien et efficacement développer oralement leurs arguments aux fins d’emporter la conviction des Juges d’Abuja. Il s’agit, sans doute, d’une insuffisance de à laquelle il faut remédier.

  • Sur la clarté et la précision des arrêts de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO

Il nous a été donné de constater que certains arrêts rendus par les Juges d’Abuja manquent parfois de clarté et de précision sur bien de points conduisant ainsi chacune des parties à en faire une interprétation allant dans ses intérêts. Entre autres, l’arrêt rendu par la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO dans l’affaire Kpatcha GNASSINGBE et ses co-condamnés contre la République togolaise reste éminemment révélateur à ce sujet[12].

Dans cet arrêt, la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO a dit que l’Etat togolais doit prendre les mesures nécessaires pour faire cesser la violation des Droits de l’Homme dont les requérants ont fait l’objet.

En quoi devaient consister ces mesures. La Cour y a gardé un silence qui profite jusqu’à ce jour à la République togolaise même quand on sait qu’en vertu de cette décision, les requérants devaient être remis dans l’état où ils étaient avant leur condamnation par la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême du TOGO.

Pour éviter l’inaction de la République du TOGO face à l’exécution de ladite décision, il appartenait à la juridiction communautaire de s’exprimer plus clairement et avec précision et cette faiblesse ne doit pas normalement perdurer.

  • Sur la rédaction des factums

Il est curieux de constater que dans plusieurs affaires, la Cour a manqué de rédiger les factums[13] avant le rendu de ses arrêts si bien que lesdits arrêts ne sont souvent pas exécutés dès le jour de leur prononcé comme l’exigent les dispositions de l’article 62 du Règlement de la Cour.

  • Sur la délivrance de l’expédition des arrêts rendus par la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO

Il est à noter qu’un retard déplorable est souvent remarqué dans la délivrance de l’expédition des arrêts rendus par la juridiction communautaire. A titre d’exemple, dans l’affaire Kpatcha GNASSINGBE et autres contre la République togolaise, les Conseils des requérants ont obtenu la délivrance de l’expédition en Janvier 2014 alors que l’arrêt a été rendu le 03 Juillet 2013, soit après six (06) mois d’attente.

  • Sur l’exécution des arrêts rendus par la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO

Des difficultés ont été observées dans l’exécution des arrêts rendus par la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO, faute de volonté des Etats à l’encontre desquels ces décisions ont été rendues. Les cas d’exécution des arrêts rendus dans les affaires des Députés de l’ANC (Isabelle Manavi AMEGANVI et autres) et Kpatcha GNASSINGE et ses co-condamnés restent illustratifs. Cette situation est à déplorer quand on sait qu’une décision judiciaire n’a pas grand intérêt si elle ne peut pas être exécutée, conformément aux dispositions de l’article 62 du Règlement de la Cour selon lesquelles « L’arrêt a force obligatoire à compter du jour de son prononcé »[14].

Au terme de cette présentation, il apparaît que la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO a aussi bien des forces que des faiblesses. Pour ce qui est de ses forces, on ne peut que souhaiter qu’elles soient sauvegardées.

S’agissant des faiblesses de la juridiction communautaire, il est urgent d’y remédier pour le bonheur de ses justiciables aux fins d’une meilleure protection des Droits de l’Homme par la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO. Cela nous conduit à faire les propositions ci-après :

  • Sur les frais récupérables

Nous pensons que les frais récupérables doivent être étendus aux frais de tous les Avocats ayant assuré la défense des intérêts de la partie concernées.

  • Sur la récusation des Juges composant la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO

Le législateur communautaire doit emboiter le pas à son homologue de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples en prévoyant dans ses textes la possibilité de récusation des Juges de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO surtout en faisant éviter qu’un Magistrat dont l’Etat est attrait par-devant ladite Cour puisse siéger dans cette affaire.

  • Sur l’heure du commencement des audiences et la durée des plaidoiries

Nous proposons que les audiences de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO débutent plus tôt que onze (11) heures par exemple à neuf (09) heures et que les plaidoiries durent au moins une (01) heure.

  • Sur la clarté et la précision des décisions rendues par la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO

Il est souhaitable que les arrêts de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO précisent, avec netteté, les mesures concrètes à prendre pour faire cesser la violation des Droits de l’Homme dans une affaire déterminée.

  • Sur la nécessité de rédiger dans les meilleurs délais les factums

Il est impérieux et urgent que les membres de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO fassent un grand effort pour rédiger les factums avant le prononcé de tous ses arrêts.

  • Sur la délivrance de l’expédition des arrêts rendus par la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO

Nous invitons la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO à être plus diligente pour la délivrance des expéditions dans un délai raisonnable.

  • Sur l’exécution des arrêts rendus par la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO

La Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO doit prendre des mesures satisfaisantes, efficaces et même contraignantes pour faire exécuter les arrêts qu’elle rend. Nous pensons que le présent travail n’a peut-être pas pris en compte toutes vos attentes. Ainsi, vos remarques, observations, suggestions et questions permettront, à coup sûr, de l’améliorer.

Nous nous reprocherons beaucoup de finir sans vous inviter à une sérieuse et profonde méditation de l’affirmation de l’un des rédacteurs de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 Décembre 1948, Samuel René CASSIN, selon laquelle il n’y aura jamais de paix dans le monde tant que les Droits de l’Homme seront violés en quelque partie de la planète.

ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

  1. OUVRAGES GENERAUX
  2. Armel PECHEUL,Droit communautaire général, Paris, Ellipses, 2002, 239 p.
  3. Jean COMBACAU, Serges SUR, Droit International public, Paris, Montchrestien, 2012, 10e éd, 738 p.
  1. OUVRAGES SPECIALISES
  1. Horace ADJOLOHOUN, Droit de l’Homme et justice constitutionnelle en Afrique : le modèle béninois, Paris, L’Harmattan, 2011, 193 p.
  2. Keba MBAYE, Les Droits de l’Homme en Afrique, Paris, A. Pedone, 1992, p. 76.
  3. Philippe ARDANT, Les problèmes posés par les droits fondamentaux dans les Etats en voie de développement, Collection de droit public, p. 375.
  1. ARTICLES ET CONTRIBUTIONS
  1. Gérard COHEN-JONATHAN, Jean François FLAUSS, La Cour Européenne des Droits de l’Homme et le droit international, AFDI, 2007, pp. 779-796.
  2. Solomon EBOBRAH, A critical analysis of the Human Rights mandate of the ECOWAS Community Court of Justice, The Danish Institute for Human Rights, Research parternership1/2008, pp. 1-58.
  1. THESE, MEMOIRE, ARRETS, WEBOGRAPHIE
  1. THESE

Ibou DIAITE, L’intervention devant les juridictions internationales, Thèse pour le Doctorat en Droit, Université de Paris, (France), 1968, 458 p.

  • MEMOIRE

Thierno KANE, la Cour de Justice de la CEDEAO à l’épreuve de la protection des Droits de l’Homme, Mémoire de maîtrise, Sciences juridiques, Université Gaston Berger de Saint-Louis (SENEGAL), 2012, 106 p.

  • ARRETS
  • ECW/CCJ/JUD/06/08, Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO, Affaire Dame Hadijatou Mani KORAOU contre République du Niger du 27 Octobre 2008.
  • ECW/CCJ/JUD/05, Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO, Affaire Bertin Sow AGBA contre l’Etat togolais, 11 Juin 2013.
  • ECW/CCJ/JUD/06/13, Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO, Affaire Kpatcha GNASSINGBE et ses co-condamnés contre l’Etat togolais, 03 Juillet 2013.
  • ECW/CCJ/JUD/09/11, Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO, Affaire Isabelle Manavi AMEGANVI et autres contre l’Etat togolais, 07 Décembre 2011.
  • ECW/CCJ/JUG/06/12, Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO, Affaire Isabelle Manavi AMEGANVI et autres contre l’Etat togolais, 13 Mars 2012, Arrêt interprétatif de l’Arrêt N°ECW/CCJ/JUD/09/11.
  • WEBOGRAPHIE
  1. https://www.memoireonline.com/02/14/8706/m_La-Cour-de-Justice-de-la-CEDEAO–l-epreuve-de-la-protection-des-Droits-de-l-Homme21.html

[1]  Le traité originel de la CEDEAO de 1975 qui institue la communauté est relatif essentiellement à l’intégration économique de la sous-région. Aucune mention n’a été faite à la promotion encore moins à la protection des Droits de l’Homme. Il faut attendre la déclaration de principes politiques de la Conférence des Chefs d’Etat de la Communauté en 1991, pour voir apparaître la première évocation des Droits de l’Homme dans la politique de la Communauté. Ainsi observe-t-on une inclination politique de la CEDEAO pour le respect des Droits de l’Homme avec la Déclaration des principes politiques de la Communauté de 1991 suite à la 14ème session de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté tenue du 04 au 06 Juillet à Abuja (NIGERIA). Aux termes des points 4 et 6 de ladite déclaration, les Etats expriment leur attachement à une notion autrefois inexistante dans la politique d’intégration de la CEDEAO en ces termes : « Nous nous engageons à promouvoir et à encourager la jouissance pleine et entière par toutes nos populations, de leurs droits fondamentaux, notamment de leurs droits politiques, économiques, sociaux, culturels et autres, inhérents à la dignité de la personne humaine et essentiels à son développement libre et progressif … croyons à la liberté de l’individu et en son droit inaliénable à participer grâce au processus libre et démocratique à l’édification dans la société dans laquelle il vit », E.K. Joseph-Junior KODJO, La protection des Droits de l’Homme par la Cour de Justice de la CEDEAO (CJC) dans les Etats membres, Mémoire de fin de formation, Master II, Recherche Droit International et Organisations Internationales, Année académique, 2012-2013.

[2] Diego URIBE VARGAS, La troisième génération des Droits de l’Homme, R.C.A.D.I, 1984, p. 359. Selon cet auteur, le développement est un Droit de l’Homme de la troisième génération encore appelée Droit de solidarité. Voir aussi Alfred DUFOUR, Droits de l’Homme, Droit naturel et histoire, Paris, PUF, 1991, pp.11-148 ; Patrick FRAISSEX, Les droits fondamentaux, prolongement ou dénaturation des Droits de l’Homme ?, RDP, 2001, pp.531-537.

[3] Denis MAUGENEST, Théodore HOLO, l’Afrique de l’Ouest et la tradition universelle des Droits de l’Homme : Quelle contribution de l’Afrique de l’Ouest à la tradition universelle des Droits de l’Homme, Abidjan, CERAP, 2006, pp.389 

[4] Kanté BABACAR, Démocratie et gouvernance, facteurs de paix?, Colloque international en hommage à Gerti HESSELING, les 15 et 16 Décembre 2011 à L’UGB (inédit), cité par Thierno KANE, dans son mémoire de Maitrise en Sciences Juridiques, 2012, intitulé, La Cour de Justice de la CEDEAO à  l’épreuve de la protection des Droits de l’Homme à l’Université Gaston Berger de Saint- Louis (SENEGAL), Maitrise en Sciences Juridiques  2012, Mémoire, consulté le 16 Juin 2020. Voir aussi Jean COMBACAU, Serges SUR, Droit International public, Paris, Montchrestien, 2012, 10e éd, p. 738. Voir également Jean RIVERO, Le Conseil Constitutionnel et les Libertés, Paris, Economica, 2è éd., 1987, p.145 et Keba MBAYE, Les Droits de l’Homme en Afrique, Paris, A. Pedone, 1992, p. 76.

[5] Philippe ARDANT, Les problèmes posés par les droits fondamentaux dans les Etats en voie de développement, Collection de droit public dirigé par Louis FAVOREU, Droit constitutionnel et Droits de l’Homme, Economica 1987, https://www.memoireonline.com/02/14/8706/m_La-Cour-de-Justice-de-la-CEDEAO–l-epreuve-de-la-protection-des-Droits-de-l-Homme21.html, consulté le 16 Juin 2020.

[6] Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO, Affaire Dame Hadijatou Mani KORAOU contre la République du Niger, 27 Octobre 2008.

[7] Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO, Affaire Bertin Sow AGBA contre l’Etat togolais, 11 Juin 2013.

[8] Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO, Affaire Kpatcha GNASSINGBE et ses co-condamnés contre l’Etat togolais, 03 Juillet 2013.

[9] Le protocole (A/P1/7/91) fut signé le 06 Juillet 1991 à Abuja (NIGERIA) et définit la composition, la compétence, le statut de la Cour de Justice de la Communauté ainsi que les autres questions y relatives.

[10] Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO, Affaire Mamadou TANDJA contre la République du NIGER, 08 novembre 2010.

[11] Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO, Affaire Isabelle Manavi AMEGANVI et autres contre l’Etat togolais, 07 Décembre 2011.

[12] Voir aussi la décision interprétative de la Cour de Justice de la Communauté-CEDEAO, Affaire Isabelle Manavi AMEGANVI et autres contre l’Etat togolais, 13 Mars 2012.

[13] Un factum est l’exposé des faits et arguments juridiques présentés au cours d’une action en justice par l’une des parties en cause qui peut être un individu, un groupe d’individus ou une collectivité pour soutenir son bon droit, réfuter les prétentions de l’autre partie en présence, https://www.bibliotheques- clermontmetropole.eu/factum/index.php?option=com_content&view=article&id=89&Itemid=53, consulté le 16 Juin 2020.

[14] Voir dans ce sens, l’article 76 alinéa 2 du Traité Révisé de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en date à Cotonou (BENIN) du 24 Juillet 1993 qui dispose qu’« A défaut, le différend est porté par l’une des parties, par tout Etat membre ou par la Conférence, devant la Cour de Justice de la Communauté dont la décision est exécutoire et sans appel »,voir également Elisabeth LAMBERT-ABDELGAWAD, L’exécution des décisions des juridictions internationales des Droits de l’Homme : vers une harmonisation des systèmes régionaux, ACDI, Vol. 3, 2010, pp. 10-16.

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