L’un des premiers maires noirs de France dévoile dans un livre des courriers terrifiants, souvent anonymes, reçus depuis son premier mandat dans le Finistère en 1989. Un témoignage pour le passé et l’avenir.

 « Monsieur, les ignames n’étaient pas bons au Togo pour être venu manger le pain des Français blancs ? » ; « Bamboula, qu’est-ce que t’es venu faire à la Pointe du Raz ? » ; « Honte à cette commune du Finistère qui préfère les gens de la brousse africaine à un Breton ! » ; « Gros singe, gros maque, vilain gorille » Et, finalement, « Retourne dans ton pays, sale nègre ».

1983 : Kofi Yamgname est élu conseiller municipal à Saint-Coulitz, petite commune de 450 âmes adossée à Châteaulin (Finistère), dont il deviendra le maire en 1989. Il est alors le premier maire noir de France métropolitaine et sa nomination, en 1991, comme secrétaire d’Etat à l’Intégration sous François Mitterrand en fera l’un des élus « de couleur » les plus connus.

Il n’avait jamais vraiment mis jusqu’à présent l’accent sur cet aspect des choses mais, à l’époque, celui qu’on a fini par appeler tout simplement « Kofi », s’est retrouvé en butte à un racisme sans nom et à une très grande violence de la part de certains individus, qu’ils soient locaux ou non. Le plus souvent sous forme de courriers majoritairement anonymes.

Un véritable plaidoyer dans la lutte contre la haine raciale

De véritables « lettres de l’horreur » que Kofi Yamgnane publie aujourd’hui en grande partie (71) dans un livre, « Mémoires d’outre-haine », qui paraît cette semaine aux éditions Locus Solus. Un témoignage fort et un véritable plaidoyer dans la lutte contre la haine raciale qui veut amener le lecteur à une réflexion collective, tant sur la France d’hier que d’aujourd’hui et son contexte post colonial irrésolu.

« Ces lettres, je les ai gardées au fil des années », raconte l’ancien député socialiste, 75 ans, aujourd’hui à la retraite, qui, avec son épouse et ses enfants, n’a jamais quitté le Finistère malgré une double candidature à la présidence du Togo, son pays d’origine, en 2005 et 2010. « J’en ai aujourd’hui six cartons pleins, soit plus de 500 courriers. » Le projet du livre démarre en 2018, lorsque le fils d’un ami, voyant ces cartons, comme des marqueurs intemporels d’une mémoire douloureuse, le convainc d’en faire quelque chose. « Il m’a dit : Il faut que tu en parles, il faut que les gens comprennent ce que tu as vécu, ton devoir c’est d’aider à vivre ensemble. »

« Il se trouve que j’ai toujours cherché à comprendre ces propos et j’étais frustré de ne pas pouvoir en parler, raconte l’ex- maire de Saint-Coulitz. Je m’étais toujours dit que, quand j’aurai le temps, je ferai une réponse collective. La voici. » En 52 chapitres, il revient « sans leçon de morale ou simplification et surtout sans pathos » sur ces moments qui l’ont « réellement traumatisé ». Notamment les menaces de mort sur sa famille. La mâchoire encore serrée, il raconte le jour où il a reçu l’un de ces courriers aux propos infâmes recouvert d’excréments.

 « Dans notre pays, soit-disant des droits de l’homme, qui n’assume toujours pas son passé colonialiste, nous sommes censés avoir une liberté de pensée et de religion, dit-il. Il faudrait que la France reconnaisse son histoire et l’enseigne de façon adaptée aux nouvelles générations. Qu’on arrête de nous seriner l’esprit avec Napoléon, qui a quand même rétabli l’esclavage ! » Alors que le mouvement « Black Lives Matter » bat son plein aux Etats-Unis, Kofi Yagname cherche avec son témoignage à poursuivre le débat de ce côté-ci de l’Atlantique. « J’ai quand même dédié mon ouvrage à Toussaint Louverture, glisse-t-il avec un sourire. Le symbole parle de lui-même.

Le Parisien

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