Après une vaste tournée nationale à la rencontre des réalités du Togo profond, le leader de «Sursaut» a manqué, lors d’un point de presse, de trouver la meilleure formule pour exposer son opinion sur les marches de protestation qui se déroulent à Lomé depuis 2010, qui, il faut le dire, n’ont pas donné les résultats attendus : la chute du régime. Il faut changer de stratégie ou alors répartir les rôles, avait tenté d’expliquer Yamgnane, membre fondateur du FRAC. Mais il a oublié, lors de son interview, qu’en politique, les meilleures réponses sont celles qui laissent certaines questions intactes. Le petit fait a provoqué de grands commérages dans le Landerneau politique togolais. L’opposition va-t-elle choisir la voie de l’exclusion et jeter un discrédit, dans le but de l’isoler, sur celui qui apparaît, à bien des égards, comme l’un de ses piliers stratégiques ? Kodjo Epou a rencontré, pour la Radio de la Diaspora, Fmliberte, Mr Yamgnane qui veut bien remettre ses propos dans leur contexte. Il dénonce, par ailleurs, les mascarades de dialogues improductifs, qu’il compare à un mode opératoire vain, « la charrue devant les bœufs, méthode préférée du pouvoir ».
 
Fmliberte : Après avoir été en parfaite communion avec le peuple Togolais du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest pendant plusieurs semaines durant votre dernier séjour au Togo, vous avez tenu une conférence de presse qui a soulevé un tollé au point de créer la confusion dans l’esprit des Togolais. Pouvez-vous éclairer l’opinion sur vos déclarations?
 
K. Yamgnane : Vous savez, on peut tromper un peuple une fois, deux fois mais on ne peut pas le tromper indéfiniment.
 
En effet, pendant quatre semaines (trop courtes à mon goût!), j’ai rencontré le peuple togolais et nous nous sommes regardés les yeux dans les yeux. Le Togo est bien plus vaste et bien plus multiforme que sa seule capitale! Les inquiétudes exprimées à Danyi, Tchamba, Amlamé, Notsè, Anié, Dapaong, Vogan, Kara, Bassar, Afagnan ou Sokodé et … j’en passe, transcendent les petits clivages voulus, exprimés et entretenus par le microcosme politique de Lomé.
 
Qu’ai-je dit de si incompréhensible ou de si insupportable à cette conférence de presse ? J’ai simplement dit au peuple togolais de bien retenir qu’il y a plusieurs acteurs dans la vie politique de notre pays :
 
– d’une part, les syndicats et la société civile (étudiants, femmes, églises, temples, mosquées, organisations philosophiques…) dont les objectifs sont de pousser le gouvernement, par des actions clairement définies (marche de protestations, manifestations, meetings, sit-in, grèves, veillées de prières… etc.), à faire des concessions sur telle ou telle revendication en rapport avec des situations sociales difficiles, des atteintes aux droits de l’Homme, des décisions illégitimes, des tentatives de passage en force ou bien des lois adoptées sans concertation préalable etc…
 
– d’autre part, les partis politiques dont le rôle majeur est de discuter, de débattre, d’orienter, de définir avec le parti au pouvoir, la trajectoire politique devant conduire au développement ainsi que de rectifier, en cas de dérive jugée importante voire grave, la politique du gouvernement.
 
J’ai ajouté que les partis politiques avaient pour rôle, lorsqu’ils le peuvent, d’appuyer les actions de la société civile et des syndicats ainsi que de définir clairement le périmètre et les limites des actions à mener.
 
Il s’agit pour eux, d’encadrer la société civile et de baliser ses actions afin d’éviter les débordements mais surtout d’apporter au peuple une bonne lisibilité des actions et lui indiquer, le cas échéant, leurs conséquences à court, moyen et long termes.
 
Les partis politiques n’ont pas le droit de laisser le peuple «s’embarquer» et encore moins de «l’embarquer» eux-mêmes dans une aventure sans avoir la certitude de son aboutissement. Parce que lorsqu’il a fait le choix de suivre des leaders politiques en toute confiance, qu’il marche et proteste, le peuple attend toujours des résultats concrets.
 
Fmliberte : Voulez-vous dire que le CST n’aurait donc pas dû organiser toutes ces marches et manifestations?
 
K. Yamgnane : Non! Jamais! Je n’ai jamais condamné les marches organisées par le FRAC, le CST ou Arc-en-Ciel! Je ne peux pas avoir planté un arbre et lui interdire de porter des fruits!
 
J’ai même expliqué à qui voulait l’entendre, que le gouvernement, en chassant de l’Assemblée nationale 9 députés de l’opposition, avait d’une certaine façon fermé la porte à tout dialogue politique au sein de la seule institution qui devrait permettre le débat politique: l’Assemblée Nationale! Dans ces conditions, il est normal que la société civile prenne ses responsabilités, initiative que j’ai moi-même soutenue et encouragée dès sa conception.
 
Mais cela suffit-il à justifier cette confusion de rôles entre l’opposition politique d’une part, la société civile et les syndicats de l’autre, confusion que j’ai stigmatisée?
 
Fmliberte : Dans le contexte qui a prévalu et qui a conduit à l’exclusion des 9 députés de l’opposition, quels auraient dû être les rôles de la société civile et des syndicats et quel rôle, à votre avis, revenait aux partis politiques?
 
K. Yamgnane : Je vous remercie de cette pertinente question, car elle me permet de clarifier mes propos.
 
L’exclusion des 9 députés a conduit la société civile à des marches de protestation, des dénonciations des actes du gouvernement, des sit-in… etc… pour réclamer le retour des députés à l’Assemblée Nationale.
 
Quant aux partis politiques de l’opposition, ils auraient dû organiser une riposte politique, une riposte en 3 temps: d’abord créer un front politique commun; ensuite proposer une négociation au gouvernement en vue du retour au parlement des élus arbitrairement exclus; enfin et en cas d’échec, faire démissionner les 31 députés de l’opposition pour créer un blocage du fonctionnement de l’institution et un vide constitutionnel devant lesquels le gouvernement aurait eu à s’expliquer. Une telle situation n’aurait pas manqué d’interpeller l’opinion internationale et de faire monter la pression nécessaire à imposer au régime le retour à l’ordre constitutionnel. Une telle offensive aurait été un argument fort devant la Cour de la CEDEAO vers laquelle une partie de l’opposition s’est tournée.
 
Or, qu’avons-nous vu? Un sauve-qui-peut général! Tout s’est passé comme si les 22 autres députés de l’opposition avaient perdu tout sens de la solidarité qui devrait normalement cimenter le groupe. Aucune victoire parlementaire n’est individuelle. C’est pourquoi le lâchage par les élus de l’opposition de leurs collègues expulsés est une attitude veule et irresponsable.
 
Ai-je seulement le droit de le dire?
 
Fmliberte : Le vin est tiré et il a même été bu puisque les neuf députés n’ont pas rejoint le parlement et qu’aujourd’hui l’opposition est dans la rue. Comment, à votre avis, l’opposition devrait-elle illuminer, baliser, les actions de la société civile?
 
K. Yamgnane : Appelons un chat un chat. L’opposition togolaise fait mal au cœur… Le pays traverse depuis plusieurs décennies de longues crises politiques, sociales et économiques qui nécessitent, dans le souci d’apporter des réponses à toutes ces questions, que l’opposition, dans toute sa diversité sans distinction aucune, soit convoquée pour réfléchir et faire des propositions alternatives concrètes.
 
En 2010, quand il s’agissait de donner des gages de solidarité et d’honnêteté à l’actuel leader de l’ANC, comme d’ailleurs lors des précédentes élections présidentielles, j’ai apporté mon indéfectible soutien: je l’ai fait spontanément et sans aucun calcul, avec la ferme conviction que c’était la seule solution pour conduire au changement et sortir le peuple de l’esclavage et de la situation de misère où il se trouve. Je rappelle que j’ai entrepris cette démarche bien avant même que ma candidature ne soit invalidée par la cour constitutionnelle. Est-ce scandaleux que j’attende en retour une démarche symétrique me concernant, le cas échéant?
 
Dans notre affaire, n’écoutant que leur ego, ce dont les responsables de l’opposition togolaise sont coutumiers, certains ont choisi la voie de l’exclusion et sont prêts à humilier et à jeter un lourd discrédit sur d’autres dans le but de les isoler ou de les décourager dans leurs engagements politiques.
 
Tout cela est regrettable, car il existe d’autres voies que de prendre en otage le peuple togolais en lui faisant croire qu’il n’a aucune autre alternative.
 
Les Togolais doivent rester libres de leurs choix et ce libre-arbitre ne peut être détourné voire mis en cage par qui que ce soit.
 
Dans l’ambiance de panique artificielle ainsi créée, l’absence de sérénité conduit à des erreurs graves qui peuvent être fatales pour le peuple togolais et pour toute l’opposition qui ne poursuit pourtant qu’un seul et même but: l’alternance et le changement.
 
Alors on vous prête des intentions qui n’ont aucune réalité; en opte pour la calomnie, l’opprobre et le mensonge; on va jusqu’à vous inventer des compromissions avec le régime en place…
 
Cette attitude est honteuse.
 
Fmliberte : En l’absence totale de dialogue politique, qu’auriez–vous fait à la place de l’opposition?
 
K. Yamgnane : J’aurais convoqué toute l’opposition, sans exception aucune, ainsi que les représentants de la société civile, afin de définir la conduite à adopter face aux actes antidémocratiques posés par le régime en place. Trouvez-vous normal que même la société civile soit aujourd’hui divisée en 2 Collectifs pour aller réclamer la même chose avec les mêmes méthodes? Tout se passe comme si, non encore satisfaite de partir en rangs dispersés, les chefs des partis d’opposition ont inoculé leur virus de la division à la société tout entière! Le travail d’unification est d’une urgence absolue car c’est un préalable à toute action!
 
Les objectifs à atteindre et les actions devant nous y conduire seraient clairement définis.
 
Des commissions bénévoles de travail auraient vu le jour dans le souci de tracer la voie à suivre dans chaque domaine de la vie des Togolais, d’exposer les problèmes, les difficultés quotidiennement rencontrées par le peuple ainsi que les solutions à proposer…
 
Je propose avec force la mise en chantier rapide de ce grand projet, ce canevas de travail des partis politiques permettant d’encadrer et d’accompagner efficacement les décisions et actions de la société civile, de trouver des réponses idoines aux questions du peuple qu’on fait marcher et de définir par des moyens concrets les possibilités d’action ainsi que les limites à ne pas dépasser, nécessaires mais pas suffisantes pour faire plier le régime sans aggraver la misère morale, psychologique et matérielle des populations.
 
Fmliberte : Pouvez-vous nous donner des exemples concrets permettant d’affirmer l’utilité et l’efficacité de ces commissions?
 
K. Yamgnane : Vous savez, la cellule de tout peuple reste la famille et Dieu sait qu’en Afrique, il est fréquent qu’au sein d’une grande famille la charge revienne à un seul individu qui est souvent celui qui dispose de plus de moyens pour tirer les autres vers le haut.
 
Vous ne pouvez donc pas décider de faire sortir des responsables de famille dans la rue, sans être conscients des risques et des revirements de situations souvent imprévus avec des régimes comme celui du Togo. Ici, vous le savez, toutes les questions, tous les «dialogues», tous les débats débouchent fatalement sur la répression et nous sommes tous unanimes pour constater et dénoncer le fonctionnement brutal et parfois inhumain des forces de l’ordre lors de nos marches de protestation. Les responsables politiques doivent donc prendre le minimum de dispositions pour anticiper les événements.
 
Cela suppose au moins une semi-autonomie de fonctionnement et les commissions de travail dont je souhaite la création doivent être composées de militants de partis et de coalitions de partis, de membres de la société civile, tous élus à la majorité relative au travers d’un vote public ouvert à tous, selon les règles démocratiques préétablies. Aujourd’hui, tout cela est totalement opaque car totalement verrouillé par un seul parti …
 
Je m’en vais vous parler, pour exemple, de 3 de ces commissions: Sécurité, Communication et Affaires sociales.
 
Vous faites marcher de paisibles citoyens exacerbés contre un régime en présence de vos adversaires politiques dans vos rangs. Ils chantent et marchent avec vous. Comment s’étonner ensuite que vos stratégies soient diffusées et que des listes rouges de vos militants soient dressées et circulent dans les commissariats et autres brigades de gendarmerie? La commission sécurité doit faire des suggestions afin d’assurer la sécurité maximale des militants en meeting mais aussi au sein des quartiers, en travaillant en réseaux.
 
J’ai remarqué que nous ne disposons d’aucun code de communication, d’aucun signe ou symbole de reconnaissance en public afin de communiquer en toute confiance entre nous: c’est simplement hallucinant!
 
C’est à cette Commission que revient la responsabilité de filmer tous les événements ou de les photographier de manière à situer les responsabilités lors des répressions et de traduire en justice, le moment venu, les militaires et agents des forces de l’ordre ayant commis des délits dans l’exercice de leurs fonctions.
 
Cette Commission dispose du puissant levier qu’est l’internet mais les documents doivent faire l’objet d’une sélection sévère avant d’être diffusés.
 
Sans être dans une logique agressive, la Commission sécurité doit entrer dans une logique à la fois offensive et dissuasive de manière à montrer clairement à l’adversaire politique qu’il est perdant à opter pour la violence et que l’affrontement, s’il est le choix de l’adversaire, non seulement ne nous fait nullement peur, mais même que nous sommes prêts à y répondre avec détermination et efficacité. La Commission est donc chargée de définir les lignes de prise en charge de la sécurité des citoyens lorsque cette dernière n’est plus assurée par l’État.
 
Quant à la Commission des Affaires sociales, elle gère les relations avec les familles au sein des différents quartiers; répertorie et gère la liste des exactions commises sur la population au sein des quartiers en donnant le maximum d’informations(témoignages, photos, vidéos, flagrants délits, etc.…) de manière à aider les enquêtes qui permettront de situer les responsabilités. Ce ne sont là que quelques exemples de travail d’une opposition unie, organisée et responsable.
 
Fmliberte : Pourquoi n’avez-vous pas pris le temps d’expliquer tout cela au CST, à Arc-en-Ciel et à tous les autres?
 
K. Yamgnane : Savoir, c’est aussi savoir accepter qu’on ne sait pas. Pourquoi voulez-vous donner à boire à quelqu’un que vous voyez manifestement déshydraté mais qui vous soutient qu’il n’a pas soif? Le peuple lui, il n’est pas dupe; il saura distinguer, le moment venu, celui qui lui dit la vérité de celui qui le trompe pour des intérêts inavoués.
 
Fmliberte: Il semble que les marches vont se poursuivre jusqu’au départ de Faure Gnassingbé. Partira-t-il?
 
K. Yamgnane: C’est le mot d’ordre des partis politiques et donc des Collectifs. C’est aussi le souhait de l’ensemble de l’opposition, y compris «Sursaut».
 
Mais à mon humble avis, les marches n’y suffiront pas. Pourtant le peuple n’attend que ce résultat. Si dans les semaines à venir rien ne laisse entrevoir objectivement cette fin, et que s’arrêtent ou s’enlisent les marches, alors l’opposition ne pourra plus jamais demander à la population de sortir ni contre Faure, ni pour aucune autre cause. C’est un fusil à un seul coup!
 
Fmliberte: L’étape ultime a été lancée: la désobéissance civile protégée par l’article 150 de notre Constitution. Cette phase sera-t-elle la dernière ligne droite de la chute du Président Faure?
 
K. Yamgnane: Vous savez, il faut absolument éviter de tromper un peuple qui a trop souffert. Si elle est appliquée, la désobéissance civile va se traduire par:
 
– Le refus de payer sa facture d’eau et sa facture d’électricité;
– Le refus de payer ses impôts et autres taxes et redevances;
– Le refus de se rendre à son travail;
– Le refus de reconnaissance de la loi, en tous domaines… etc.
 
En conséquence, les foyers des militants et sympathisants de l’opposition seront privés d’eau, d’électricité et d’autres choses encore, avec toutes les conséquences désastreuses que cela suppose.
 
Ceux qui décideront de ne pas se rendre à leur travail se verront purement et simplement remplacés conformément à la réglementation en vigueur; mais les responsables politiques qui lancent ce mot d’ordre ainsi que les autres du RPT, d’UNIR, de l’UFC… auront l’eau et l’électricité et leurs activités ne subiront aucune variation d’intensité et ne subiront aucune conséquence fâcheuse.
 
Mais qui remboursera le poisson invendu et pourri de la revendeuse d’Akpala?
 
Qui assumera l’échec des enfants du militant convaincu de l’opposition qui n’ont pas réussi à leurs examens de fin d’année faute d’enseignants?
 
Voilà pourquoi j’appelle et que j’attire l’attention du peuple togolais sur la nécessité de suivre un homme de vérité plutôt que des démagogues, ceux qui ont plongé ce pays dans la misère et aussi les autres, ceux qui n’ont pas pris les mesures nécessaires au travail de préparation de cette lutte vitale pour notre beau pays le Togo.
 
Fmliberte: Au vu de tout ce qui précède, il apparaît que vous pouvez beaucoup apporter à l’opposition et au peuple Togolais. Êtes-vous prêt à rencontrer les leaders de l’opposition pour discuter et définir les stratégies communes nécessaires au changement dans notre pays?
 
K. Yamgnane: Si l’opposition veut que nous discutions, moi j’y suis prêt depuis longtemps et je l’ai démontré maintes fois, mais en restant dans la droite ligne de mes convictions. Ce qui m’inquiète et je suis sincère, c’est que parmi eux, beaucoup ne sont pas de bonne foi, beaucoup n’ont pas une parole, beaucoup sont ceux qui ne savent pas jauger leur ego et pourtant nous n’avons plus le droit à l’erreur car le peuple ne nous le pardonnerait pas.
 
Fmliberte: Une partie des Togolais pense que:
 
– Ou bien votre conscience aurait été achetée par le régime au pouvoir;
– Ou bien les généraux Bassar vous auraient convaincu d’accepter de devenir le futur premier ministre du système RPT-UNIR-UFC.
 
Qu’en dites-vous?
 
K. Yamgnane: Une bonne question qui lève un coin du voile sur les problèmes que nous avons au Togo: on prête trop souvent des intentions malsaines et inappropriées aux gens, par pure imagination et sur des bases infondées. Cela a beaucoup nui à la lutte pour la démocratie dans notre pays.
 
Que le peuple togolais retienne pour définitivement acquis que j’ai réellement choisi de m’investir pour lui. Mon retour au Togo ne se situe nullement dans la recherche de moyens ou de prébendes. J’ai travaillé pendant plusieurs décennies en France et j’y ai conquis une situation confortable et même enviable. Si ma motivation était de rechercher l’argent ou les honneurs, je n’aurais jamais quitté mes mandats électoraux en France.
 
Rassurez-vous, depuis plus d’un an, je touche une très bonne retraite et j’en vis très bien.
 
Je suis au Togo avec ma tête, avec mon cœur et avec tout ce que je suis convaincu de pouvoir apporter à mon pays.
 
Je n’ai donc rendez-vous avec personne, ni avec le consortium RPT-UNIR-UFC, ni avec les généraux de Bassar, pour décider de l’avenir du peuple togolais.
 
Je n’ai rendez-vous qu’avec les Togolais, tous les Togolais, du Nord, du Sud, de l’Est, de l’Ouest et du Centre, pour définir avec eux les grandes lignes de l’espoir et de la renaissance de notre pays.
 
J’invite donc tous les acteurs et tous les observateurs de la vie politique du Togo, d’où qu’ils viennent et quelle que soit leur idéologie politique, à prendre objectivement connaissance de mes prises de position, à les cogiter, à essayer de les comprendre, afin que nous puissions travailler ensemble – ensemble, j’insiste – à sortir notre pays de la situation catastrophique où il se trouve, dans un esprit de concertation, de rassemblement, de vérité et de respect mutuel.
 
Pour ma part, je m’engage à faire tout ce dont je suis capable, pour me faire comprendre, et pour fédérer autour de celui qui incarnera le changement, le vrai; celui qui permettra d’installer et de pérenniser la démocratie et qui placera l’humain au centre de la gouvernance; celui qui jettera les bases d’un développement rapide et soutenu dans ce difficile contexte de la mondialisation.
 
Fmliberte: La mouvance présidentielle RPT/UNIR/UFC a convoqué, à la Primature, un dialogue qui a été boudé par les coalitions de l’opposition aussitôt après son ouverture. Décidément, le Togo n’en finit pas avec ses dialogues improductifs. Quel regard portez-vous sur ce phénomène?
 
Il nous faut comprendre le contexte dans lequel est lancée cette nouvelle convocation. C’est toujours la charrue devant les bœufs, méthode préférée de ce pouvoir: beaucoup de questions se posent toujours aux Togolais dans leur quête du développement, dont celles-ci:
 
La question de la sécurité publique, la question de la démocratie républicaine, la question de la réconciliation nationale, la question de la gestion économique et de la redistribution des richesses, la question de la pauvreté grandissante…et le pouvoir feint de les ignorer. Il met en place la CENI, il en nomme le bureau. Si l’opposition est prête à un tel dialogue pour sa part, sur quoi va-t-il alors porter?
 
Depuis 1998, date des élections présidentielles contestées, la situation n’a pas cessé de se dégrader: l’invraisemblable modification de la Constitution le 30 décembre 2002 et la mascarade électorale qui s’en est suivie le 1er juin 2003 ; le coup d’état du 5 février 2005 légitimé par les «élections» du 24 avril 2005; l’insolent bourrage des urnes aux législatives de 2007 et aux présidentielles de 2010; l’exclusion autoritaire de 9 députés de l’opposition…tout cela illustre, avec quelle éloquence, l’incompréhensible dérive dans laquelle le pouvoir familial Gnassingbé a délibérément engagé notre pays.
 
Comme vous le sentez, les problèmes qui se posent aujourd’hui au Togo vont au-delà de la seule dimension législative. Ils sont éminemment politiques, institutionnels et constitutionnels. De plus, il existe aujourd’hui une crise de confiance notoire entre les Togolais et les nouvelles autorités. J’ajoute que cette crise de confiance commence à atteindre l’opposition, elle aussi…
 
Si nous devons aller malgré tout à ce 19e dialogue, il faut mettre toutes les chances de succès de notre côté; il nous faut comprendre que c’est désormais l’affaire de tous les citoyens togolais.
 
Nous devons donc faire appel à l’intelligence, à la volonté d’aboutir, à la capacité de tolérance de l’ensemble des négociateurs: le véritable dialogue suppose la reconnaissance de l’égalité de toutes les parties concernées. En ce sens, le dialogue présuppose le respect de chacun pour chacun. Il en va de l’intérêt des Togolais.
 
Il leur faut à tous, accepter de sortir du jeu de rôles que se sont attribués les protagonistes habituels et introduire des nouveaux acteurs. Cela nous paraît incontournable pour au moins deux raisons: la nécessité d’une nouvelle vision pour le Togo, qui dépasse les élections, seul aboutissement qui semble intéresser les acteurs actuels; la nécessité d’une stratégie de sortie de crise appuyée à la fois sur un projet politique d’émergence d’une nouvelle société et un projet économique pour sortir rapidement de la pauvreté.
 
Au rang de ces nouveaux acteurs, (partis politiques, syndicats, églises, mosquées, temples, organisations philosophiques, organisations de jeunes, associations de femmes …) la Communauté togolaise de l’Extérieur (la Diaspora) s’impose logiquement et naturellement, par son poids démographique, par son importance économique, par son engagement patriotique. Tout dialogue qui décide d’ignorer ces nouveaux acteurs est voué à l’échec.
 
Fmliberte: Vos amis sont de retour au pouvoir en France. Est-ce que ce changement de régime peut aider l’opposition à réaliser l’alternance en 2015 au Togo?
 
K. Yamgnane. Il y a une vérité qu’il vous faut connaître une bonne fois pour toutes: François Hollande n’a pas été élu par les Français pour «aider l’opposition togolaise à réaliser l’alternance en 2015».
 
Mais comme vous le savez, lors de sa campagne ainsi que dans son discours de Dakar comme dans celui de Kinshasa, il a martelé son leitmotiv: la francophonie doit être porteuse de démocratie (libertés, droits de l’homme, alternance politique). Oui, la France de «mes amis» prendra en compte l’impératif démocratique: au Sud comme au Nord du Sahara, la jeunesse africaine nourrit une vraie aspiration à la démocratie, à la liberté et au respect de ses droits élémentaires. Elle est partout exaspérée face à l’injustice sociale, la pauvreté, les inégalités, les manquements à la liberté de la presse ou à l’indépendance de la justice, et exprime colère et révolte face à la confiscation du pouvoir par un clan.
 
Les mêmes ingrédients – aspirations au changement, dignité, fin de la prédation et de la corruption, etc. – sont présents chez tous les peuples d’Afrique… des réalités différentes certes, mais un rêve commun…
 
Héritière des grands principes de la Révolution française de 1789 et de la République de 1792, la famille socialiste est partout attentive à l’appel des peuples, mais c’est d’abord aux peuples «d’aider la France à les aider».
 
Fmliberte: Votre mot de la fin?
 
Kofi Yamgnane : C’est simplement un appel que je veux adresser au peuple togolais, à l’opposition politique togolaise, au pouvoir politique togolais.
 
– Au peuple togolais dont je connais le courage, la capacité d’abnégation, la volonté d’éduquer ses enfants, de se soigner et de vivre libre, malgré les menaces, la misère, les violences… je demande de rester la tête haute et de continuer notre combat pour l’éradication de la dictature, pour la fin des violences politiques gratuites, pour le respect des droits humains et pour l’installation d’un État de droit au Togo. Courage: rassemblons-nous, soyons imaginatifs car c’est à nous de bâtir le Togo nouveau!
 
– À l’opposition togolaise : votre crédibilité tient en un seul mot: «unité». Sans cette unité, l’opposition togolaise n’aura plus aucune crédibilité ni auprès du peuple, ni auprès de la communauté internationale. De deux choses l’une: ou bien on est capable de s’unir et on peut chasser ce pouvoir illégitime; ou bien on continue dans le culte extravagant des ego, et alors il faut arrêter tout de suite de mentir au peuple car il n’y a alors aucune chance ni d’alternance, ni de changement.
 
– Au pouvoir installé à Lomé sur des milliers de cadavres togolais, je demande d’arrêter la fuite en avant car le mur sur lequel il va se fracasser et fracasser le peuple togolais tout entier n’est plus loin. Le monde entier est entré dans l’ère de la justice, de l’égalité et de la fraternité. Les peuples d’Afrique en général, celui du Togo d’aujourd’hui en particulier, aspirent eux aussi à ces valeurs universelles. Personne n’a le droit de se mettre en travers de la roue de l’histoire.
 
Propos recueillis par Kodjo Epou
 
Pour Fmliberte, la Radio de la Diaspora Africaine
 

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