jpf_20avril2016


Jean-Pierre FABRE, le leader de l’Alliance nationale pour le Changement (ANC), n’est plus à présenter. Sur la scène politique togolaise, c’est l’homme qui tient le flambeau de la lutte pour l’alternance politique dans le pays. Nous lui avons tendu notre micro pour lui arracher quelques mots sur les sujets d’actualité. Lecture.
 
La Dépêche : Monsieur le Président, comment se porte l’ANC ?
 
JP F : Nous sommes un parti quotidiennement au travail et préoccupé en permanence par le sort des populations togolaises, livrées à la pauvreté, à la précarité et à la misère, des décennies durant. Notre parti continue d’améliorer le fonctionnement de ses organes et de renforcer son implantation nationale en vue d’atteindre ses objectifs. Le renouvellement statutaire de nos 90 bureaux fédéraux est en cours aussi bien sur le territoire national qu’à l’étranger. L’ensemble du parti demeure mobilisé et poursuit sans répit, la lutte pour la démocratie, l’Etat de droit et la bonne gouvernance. Tout ceci pour vous dire que l’ANC se portera mieux si les aspirations profondes des Togolaises et des Togolais sont réellement prises en compte en termes de réformes politiques et électorales, de demande sociale et de saine gestion des ressources nationales.
 
La Dépêche : On ne vous a pas vu lors du sommet sur la Sécurité Maritime. Pourquoi ?
 
JP F : Nous n’avons rien contre la tenue d’un tel sommet, mais, au regard de l’état de délabrement de notre pays, et de la misère des populations aussi bien dans les villes que dans les campagnes, nous sommes opposés à la mobilisation de nos maigres ressources pour l’organisation d’une rencontre qui aurait pu se tenir au siège de l’UA. Nous voulons voir ces ressources orientées vers les secteurs vitaux prioritaires que sont, la santé, l’éducation, les infrastructures, l’eau, l’énergie, etc. Ce n’est pas si difficile à comprendre. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à avoir exprimé une telle opinion. Puisque les « Universités sociales » organisées les 12, 13 et 14 octobre 2016, par des Organisations de la société civile, dans la foulée de notre colloque, ont manifesté les mêmes préoccupations.
 
Le 10 octobre est l’anniversaire de la création de l’ANC et nous avons organisé avec CAP 2015, un colloque sur « la problématique de l’alternance politique en Afrique ».
 
La Dépêche : L’ANC est souvent sur le terrain. En octobre dernier, avec vos camarades de CAP 2015, vous avez entrepris une tournée dans l’ensemble du pays. Quel bilan faites vous de cette campagne de sensibilisation?
 
JPF : Ce n’est pas souvent mais plutôt en permanence que l’ANC est sur le terrain. Nous y sommes obligés. C’est le lot quotidien d’un parti politique sérieux qui veut sensibiliser et mobiliser les populations sur les vrais enjeux pour qu’elles prennent leur destin en main. Nous sommes donc constamment sur le terrain, seuls ou avec nos amis de CAP 2015.
 
Notre dernière tournée vise à recueillir auprès de nos populations, leurs diagnostics sur la situation et leurs propositions. Leur message est clair. Un message empreint de détresse, d’un écœurement et d’une colère contenue.
 
La Dépêche : Présent sur tous les fronts, vous avez organisé un colloque à Lomé. Quelle a été la portée de ce colloque qui aurait connu un échec ?
 
JP F : L’âpreté de la lutte nous contraint à être sur la brèche en permanence et à faire preuve d’imagination. L’initiative de ce colloque et sa tenue ont été unanimement saluées. C’est une première au Togo que des partis politiques organisent une telle rencontre, ouverte à des intervenants extérieurs et visant à réfléchir sur une problématique importante comme celle de l’alternance politique en Afrique. Le fait que deux conférenciers invités n’aient pas pu faire le déplacement n’a pas perturbé le programme et n’a en rien diminué la qualité des exposés et des débats. Puisque les deux conférenciers absents ont été remplacés de sorte que tous les thèmes retenus ont pu être traités.
 
Ce colloque est plutôt un grand succès et nous avons déjà commencé à préparer la prochaine rencontre qui aura lieu dans quelques mois. Bien sûr, les adversaires de l’alternance politique au Togo ont exercé des pressions de toutes sortes pour empêcher la tenue du colloque. La salle retenue, nous a été refusée au dernier moment sous les prétextes les plus fallacieux. Je ne veux pas faire état des raisons de l’absence également au dernier moment, de deux conférenciers internationaux.
 
La Dépêche : Vous êtes le Chef de file de l’opposition. Jouissez-vous des avantages prévus par la loi ?
 
JP F : Contrairement à la fable que racontent sur les médias, des personnes missionnées pour me dénigrer et me déstabiliser, aucun des avantages prévus par la loi, n’est concédé à ce jour, au Chef de file de l’opposition. Les Togolais savent que ce ne sont pas les avantages matériels et pécuniaires qui motivent mon engagement politique. Même si ces avantages sont les bienvenus pour renforcer les moyens à ma disposition en vue de faire face aux défis. Le plus important est que le pouvoir en place se conforme à sa propre loi portant statut de l’opposition, notamment, en communiquant les informations que nous demandons conformément à l’article 12 de cette loi et en acceptant d’octroyer à l’opposition, les sièges qui lui reviennent dans les institutions.
 
La Dépêche : Quels sont vos rapports avec le Chef de l’Etat ?
 
JP F : Ma dernière rencontre avec le Chef de l’Etat remonte à novembre 2014, après celle de mars 2014. Depuis la prise du décret d’application de la loi portant statut de l’opposition, le 25 janvier 2016, nous ne nous sommes plus rencontrés. Nous aurions pu, dans le respect de l’article 15 de la loi portant statut de l’opposition, nous rencontrer à la suite de la lettre que je lui ai adressée le 13 janvier 2016, pour discuter des réformes prescrites par l’Accord Politique Global et d’autres sujets d’intérêt national. Je demeure pour ma part ouvert à une telle rencontre qui est une exigence de la loi.
 
La Dépêche : Où en êtes-vous pour l’union de l’opposition ?
 
JP F : Qu’appelez-vous opposition ? Il me semble bien que les partis d’opposition, qui doivent être unis, le sont déjà dans CAP 2015. Naturellement, il est loisible aux autres partis de les rejoindre, s’ils s’opposent également au système RPT/UNIR. Dans une situation comme celle du Togo, avec une dictature vieille de plusieurs décennies, l’union de l’opposition est vivement souhaitable.
 
Mais alors, comment des partis de l’opposition peuvent-ils composer avec des partis qui, malgré un accord de partage du pouvoir avec le RPT/UNIR, continuent de se réclamer de l’opposition tout en siégeant au gouvernement ? Comment composer avec des partis se réclamant de l’opposition, en réalité des lièvres du parti RPT/UNIR au pouvoir, qui n’ont d’autres activités que de dénigrer et de vilipender les dirigeants, les militants et les sympathisants des partis en pointe dans la lutte contre la dictature ?
 
Pendant des années, j’ai inlassablement lutté pour la réalisation de l’union de l’opposition. Je me rends compte aujourd’hui que ce sont les adversaires de l’alternance qui l’instrumentalisent pour séduire l’opinion dans le même temps qu’ils la rendent impossible à réaliser, avec un mode de scrutin à un tour, unilatéralement introduit par le RPT/UNIR et qui crée une tension permanente au sein de l’opposition et dans le pays. L’union de l’opposition est une thèse attrayante qui nous détourne de la lutte pour les réformes. Dans ces conditions, voyez-vous, elle devient un travail de Sisyphe pour ne pas dire une chimère.
 
Il est donc préférable de se consacrer ensemble au combat pour les réformes prescrites par l’APG, notamment, la limitation du nombre de mandats, le mode de scrutin à deux tours, la proclamation des résultats bureau de vote par bureau de vote.
 
Je voudrais insister tout particulièrement sur le mode scrutin à deux tours qui me paraît avoir une importance plus marquée. En effet, au deuxième tour, la clarification se fait incontestablement entre ceux qui sont véritablement de l’opposition et qui se rassemblent derrière le candidat le mieux placé de l’opposition et ceux qui soutiennent le candidat du pouvoir.
 
La Dépêche : On vous accuse de n’être pas rassembleur. Que dites-vous ?
 
JP F : Il est absurde de dire cela de quelqu’un qui a toujours œuvré à l’union de l’opposition. J’ai toujours été à la pointe des initiatives de rassemblement de l’opposition pour des actions concertées que ce soit au FRAC, au CST et aujourd’hui, à CAP 2015. Après tout ce que j’ai expliqué à la question précédente, je crois qu’il est facile de comprendre que les tenants de la thèse que vous évoquez, sont précisément ceux qui ont tenté de torpiller les initiatives de rassemblement de l’opposition, claquant la porte par-ci ou s’inscrivant délibérément en soutien du gouvernement, par-là.
 
La Dépêche : Vous combattez le régime en place. Vos camarades d’hier vous combattent. N’est-ce pas un contraste. Que dites- vous ?
 
JP F : Depuis les années 1990, nous assistons à des retournements de veste spectaculaires de plusieurs personnes prétendant lutter pour la démocratie, l’Etat de droit et l’alternance, et se proclamant de l’opposition. Alléchés par des propositions de participer au gouvernement, ils y entrent et, après un court séjour, disparaissent corps et biens des radars, ruinant au passage les efforts pour l’alternance. Cela contribue à ternir l’image de l’opposition.
 
Nous, nous demeurons fidèles à nos convictions. Tant que le système abhorré par les populations sera là, nous serons là pour y faire face.
 
Je combats, comme vous le dites, un régime et non une personne. J’estime que ceux qui régentent le Togo depuis plus d’un demi-siècle, ont mis à sac notre pays. Le chef de l’Etat, lui-même le reconnait, qui en rend responsable, une minorité dont il fait partie.
 
Je laisse face à leur conscience ceux qui sont missionnés pour combattre farouchement ma personne à coups de mensonges surréalistes et de médisances, parce que je dérange, parce que je dis la vérité aux populations, parce que je me bats pour la justice, pour l’édification de l’Etat de droit, pour l’égalité des chances pour tous les enfants de ce pays.
 
La Dépêche : Où en êtes-vous pour votre combat pour les réformes ? Vous êtes seuls à les réclamer véritablement ?
 
JP F : Le combat se poursuit sans relâche. Et sous toutes les formes. Nous ne sommes pas seuls. D’autres forces, notamment nos camarades de CAP 2015 ainsi que des organisations de la société civile, sont également engagées dans ce combat. Le maître-mot est la mobilisation populaire sans laquelle rien n’est possible. La tournée et le colloque que vous évoquez font partie des actions que nous menons en faveur des réformes.
 
La Dépêche : Vous combattez la dictature, mais la communauté internationale ne cesse de décerner des satisfecit à Faure Gnassingbé. Votre combat n’est-il pas vain ?
 
JP F : Pas du tout. Je ne suis pas naïf. Nous ne nous déterminons pas par rapport à l’attitude de la communauté internationale vis-à-vis du Togo. Ce sont les Togolais qui ploient sous le joug d’une dictature implacable. C’est à eux seuls qu’il revient de dire ce qui leur convient et de décerner des satisfecit. Les bonnes élections sont faites pour cela.
 
Je n’ignore pas que l’objectif fondamental de la politique étrangère d’un pays est la défense ou la préservation de ses intérêts. Je n’ignore pas non plus, que rien ne nous sera donné et que nous devons tout obtenir pas nos efforts.
 
Les satisfecit, que vous évoquez, discréditent en conséquence ceux qui les délivrent et ceux qui les reçoivent après les avoir démarchés. Cela n’est que du marketing politique ou du marketing tout court. Le peuple n’est pas dupe.
 
La Dépêche : Le Premier Ministre français a séjourné dans notre pays. A-t-il rencontré l’opposition ?
 
JP F : Non. Par contre, lors de son séjour, le Premier Ministre français a fait rencontrer l’opposition parlementaire, par une délégation de parlementaires français conduite par M. Jean-Marie Le Guen, Secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement. A l’issue de la réunion, la Présidente du Groupe parlementaire ANC a rendu public un communiqué de presse.
 
La Dépêche : Que pensez-vous des déclarations du Premier Ministre français à Lomé ?
 
JP F : Je viens de vous faire remarquer qu’aucun éloge, déplacé ou immérité, prononcé pour d’obscures raisons, n’honore ni ne grandit son auteur ou son bénéficiaire, quels qu’ils soient. Si ‘’le Togo change dans le bon sens’’, c’est aux Togolais de le constater. Nous n’avons pas manqué de le faire savoir.
 
Voyez-vous, la France est à la veille d’une élection présidentielle. Nous suivons de très près le débat politique français, notamment les appréciations diverses portées sur la gouvernance en cours, mais nous nous gardons de tout avis puisqu’il s’agit de problèmes internes à un pays ami.
 
La Dépêche : Rien ne va dans le pays, mais les Togolais ne réagissent pas comme il faut. Qu’est-ce qui explique cela ?
 
JP F : Quand vous dites que les Togolais ne réagissent pas comme il faut, vous rejoignez les conclusions de nos analyses et surtout celles des populations elles-mêmes, notamment celles à qui nous avons donné la parole lors de la dernière tournée nationale de CAP 2015. Ce qui me rassure, c’est que le peuple togolais a parfaitement conscience de sa force. Il semble résolu à ne plus accepter cette situation. Il nous appartient, à nous politiques et à vous professionnels des médias de continuer à l’informer le plus objectivement possible afin qu’il appréhende souverainement le moment décisif.
 
Quant au régime RPT/UNIR, gargarisé par ses propres mensonges, il mise sur l’instrumentalisation des institutions, l’instrumentalisation de la diversité ethnique, le non-respect des engagements pris, la violence, la corruption etc., pour se maintenir indéfiniment au pouvoir contre la volonté du peuple togolais.
 
La Dépêche : Que pensez-vous de l’élection de Donald Trump ?
 
JP F : Le peuple américain s’est prononcé lors d’une élection incontestablement libre et honnête. Je respecte son choix. Nous jugerons le nouveau président américain à ses actes.
 
La Dépêche : Que pensez-vous du scandale de Panama Papers et de ses répercussions au Togo?
 
JP F : Vous voulez parler de l’affaire « WACEM » ? Je voudrais rappeler que suite à la publication de révélations, par les journaux togolais, Liberté et l’Alternative ainsi que le journal en ligne français, Le Monde Afrique, sur la société WACEM, j’ai adressé une lettre au Chef de l’Etat et interpelé le Premier Ministre, conformément à l’article 12 de la loi portant statut de l’opposition, pour avoir les informations nécessaires. Nous n’avons reçu aucune réponse.
 
De plus, deux députés du groupe parlementaire ANC, MM. Ouro-Akpo Tchagnaou et Alphonse Kpogo, ont interpellé le gouvernement sur ce même sujet. Vous avez certainement suivi les explications lapidaires, approximatives et hasardeuses, du Ministre des Finances, le jeudi 10 novembre 2016.
 
J’ai noté avec stupéfaction que le Ministre prétend que la présence de la société WACEM en zone franche, en contravention de la loi, n’est pas illégale. Comment un gouvernement responsable de la gestion des biens publics peut justifier les fraudes fiscales, les évasions fiscales, la corruption etc. ? Nous disons que le gouvernement, depuis le sommet, est complice de ces crimes économiques.
 
La Dépêche : Votre message de fin ?
 
JP F : La dictature du système RPT/UNIR, qui détruit méthodiquement notre pays au profit d’un clan, n’est pas une fatalité. Elle peut tomber face à une mobilisation populaire conséquente. Le peuple togolais uni et déterminé doit donc prendre ses responsabilités. C’est à cela que j’appelle les Togolaises et les Togolais.
 
La Dépêche N° 840 du 16 Novembre 2016
 

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