Par Maryse QUASHIE et Roger E. FOLIKOUE

« Les 10 pays africains les plus maudits » : c’est un des titres qu’on pouvait trouver cette semaine sur un de ces sites qui annoncent toujours des choses inouïes et invraisemblables. Et le contenu de l’article qui suivait ce titre citait le Togo parmi les pays placés par Happy Planet Index dans le peloton de queue. Ce sont donc les pays malheureux, pays maudits selon les auteurs. En fait, si nous avons parcouru l’article, c’est bien parce que nous nous doutions que le Togo figurerait dans la liste. Pourtant, même s’il ne fait pas spécialement bon vivre chez nous, c’est un peu difficile d’entendre son pays qualifié de maudit, n’est-ce pas ?

« Pays maudit », cela ne vous rappelle-t-il pas les mots des contes et légendes de chez nous ? Ecoutez celui-ci. 

Il était une fois une contrée bénie des dieux : le soleil y brillait quand il le fallait, la pluie y tombait quand c’était la saison, les fruits, les légumes étaient très beaux. Volailles et autres animaux élevés dans les basses-cours se développaient sans maladie et étaient vendus au meilleur prix dans les marchés des alentours.

Mais, en se promenant dans cette contrée, vers le bord de mer, on rencontre des paysages de moins en moins verts, des arbres rabougris. Et on arrive dans un pays où sévit la famine parce que tout va mal : les habitants amaigris et tristes errent sans but dans les rues et sont aussi assis désœuvrés devant leur maison. 

  • Pourquoi ne partez-vous pas ? Pourquoi ne quittez-vous pas ce village ? 
  • On ne peut pas. Les habitants des autres villages disent qu’on leur porterait malheur et nous chassent de chez eux. Nous sommes devenus les habitants du Pays Maudit. 
  • Ah bon ? Il ne vous reste qu’à vous plaindre au Grand Jardinier qui s’occupe de cette région. 
  • Nous allons donc nous rendre auprès de lui.  

Les habitants du Pays Maudit firent ce qu’ils avaient dit. 

« Grand Jardinier, Grand jardinier ! Viens à notre secours ! 

  • Que se passe-t-il? 
  • Les habitants du coin de terre que tu nous as donné vont périr ! Il pleut mais l’eau manque cruellement, tout est desséché, les champs ne produisent plus rien ; même les grands arbres sont morts ! Plus d’ombre pour y passer les longues heures chaudes de la journée !
  • Pourtant, si je vous ai confié cette terre, c’est parce que je connais votre  expérience et que je sais que vous, vous ferez ce que d’autres n’arriveront pas à réaliser.
  • Grand Jardinier, ça fait plus de cinquante années que nous nous battons.
  • Vous avez  raison. Alors je vais vous aider : «  voici de l’eau, que chacun d’entre vous en prenne un verre, juste un verre. Je suis sûr que vous en ferez le meilleur usage possible. » 

Les habitants du Pays maudit s’en retournèrent donc sur leur coin de terre brûlée avec l’eau. Ils n’étaient guère optimistes mais ils connaissaient le Grand Jardinier, il ne ferait pas plus. 

Ils se réunirent et désignèrent une personne. Ils lui donnèrent une journée pour savoir que faire de son verre d’eau. A cette personne, ils donnent le nom de Semeur. 

Le lendemain Semeur se rendit dans sa pépinière, muni de son verre d’eau. Comme on le lui avait appris, il se mit à converser avec ses plantes. De fait la sécheresse avait tellement sévi, qu’il ne restait que des graines désséchées jonchant le sol. Semeur leur présenta le verre d’eau qui ne suffirait que pour une seule graine, et leur dit qu’il le verserait donc tout entier sur la graine capable de devenir rapidement un grand arbre, au feuillage fourni, donnant fleurs et fruits, ombre à tous les habitants de la contrée, ce grand arbre qui attirerait enfin une pluie bienfaisante. 

Et il leur proposa de leur laisser le temps de se concerter pour désigner la graine la plus à même devenir l’arbre sauveur.

Cinq minutes ne s’écoulèrent pas avant que Semeur ne soit rappelé. Il se préparait à les féliciter pour leur diligence, lorsqu’une des graines lui dit qu’en fait la plupart d’entre elles pensaient qu’elles avaient chacune leur chance et qu’il n’avait qu’à choisir après les avoir entendues.

Le Semeur fit alors le tour de la pépinière, de graine en graine.

  • Une grosse graine lui dit qu’avec sa taille elle ne pourrait que donner un arbre gigantesque : « Comment feras-tu ? Si je verse l’eau sur toi, tu vas absorber toute l’eau, et il n’y en aura plus assez pour arroser le sol, comment pousseras-tu ? ». 
  • Cette autre graine s’était tellement recroquevillée sur elle-même pour s’en sortir, que même un verre d’eau tout entier ne suffirait pas pour l’aider à s’ouvrir pour laisser percer un germe. 
  • Celle-là s’était glissée sous les cailloux et les graviers au début de la sécheresse, elle avait ainsi un peu plus de fraîcheur que les autres, mais maintenant pour que l’eau arrive jusqu’à elle, la moitié du verre serait perdu en ruissellement.
  • Cette autre graine, manquant de discernement s’était acoquinée avec les ronces, les graines de ces dernières, cachées dans le sable, absorberaient égoïstement toute l’eau du verre avant que le précieux liquide ne parvienne à la graine visée.
  • Cette autre graine se trouvait au milieu d’un nid d’oiseaux affamés qui n’en ferait qu’une bouchée dès qu’elle germerait, et celle-là n’avait plus de terre sous elle pour retenir l’eau.

Semeur ne put se résoudre à verser l’eau sur aucune des graines, il revenait à son point de départ avec son verre d’eau à la main, lorsqu’il remarqua une graine dans un coin. 

« Et toi ? Que dis-tu ? » lui demanda-t-il « Moi, je n’ai jamais pensé à devenir le grand arbre sauveur, tout ce que je veux c’est que tu trouves la graine qui donnera le grand arbre qui va nous secourir tous ! Cherche encore ! »

« Pourquoi pas toi ? Les autres valent-elles mieux que toi ? » 

« Je ne sais pas, c’est pourquoi je me demande si je suis de taille à me mesurer avec elles ? » 

« Il ne s’agit pas de se mesurer aux autres, mais de se donner la chance de sauver tous ceux que la sécheresse va tuer.  Et puis j’ai fait le tour de la pépinière, il ne reste que toi. Grand jardinier ne m’aurait pas donné ce verre d’eau s’il n’y avait pas une graine capable de devenir un grand arbre pour le bien du plus grand nombre ! De toutes les façons, le soir tombe, je dois verser mon eau. Je la verse sur toi !»

L’année suivante le pays avait reverdi. C’est depuis ce jour qu’on ne l’appelle plus « Pays maudit » mais « Pays de la petite graine ».  

C’est sûr,  le Semeur  a eu raison de donner l’eau à la petite graine, tous les autres habitants ont trouvé leur petite graine et le miracle s’est produit.  

La morale de notre histoire : Ce n’est pas d’abord une histoire qui met l’accent sur l’humilité, mais c’est un conte qui met l’accent sur la confiance, la confiance que chacun doit avoir en soi pour se découvrir capable de redonner vie à un peuple tout entier

 Voici, en effet, ce que nous ont expliqué les sages :

« Se laisser arroser pour devenir un grand arbre, ce n’est pas de la prétention. Au contraire, c’est une véritable souffrance, car germer c’est d’abord accepter d’être enfoui dans l’obscurité, d’y étouffer, de croire qu’on est en train de sombrer. Et voilà qu’un jour par une petite fente sort de soi un petit point vert, porteur de vie : le germe naît. »

Pour que notre pays sorte de la catégorie des pays maudits, ne faudrait-il pas que chacun de nous, citoyens togolais, ait suffisamment confiance en lui-même comme porteur de germes d’avenir ?      

Lomé, le 12 mars 2021

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