Maryse QUASHIE et Roger Ekoué FOLIKOUE

      Par  Maryse QUASHIE  et  Roger Ekoué FOLIKOUE

Le  jeudi 24 février 2022, la Russie de Vladimir POUTINE a déclaré la guerre à l’Ukraine de Volodymyr  ZELENSKY. Les troupes russes sont entrées sur le territoire ukrainien et sur la place Maïdan de Kiev des sirènes ont retenti. C’est le début de l’évènement prévisible mais inacceptable par l’Occident : la guerre en Europe. Oui la guerre en Europe, le continent qui se présentait, après les deux grandes guerres, comme le continent des valeurs, le continent de la démocratie, le continent qui a su bâtir la paix sur les Droits de l’Homme et qui mettait en exergue la réconciliation entre la France et l’Allemagne et de façon plus récente la réunification de la R.F.A. et de la R.D.A. en 1989 à travers la chute du mur de Berlin. Depuis l’irruption de la guerre prévisible, prédite par les Américains et jugée improbable par les Européens, une expression domine le monde médiatique : la guerre en Ukraine, un tournant historique.

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, l’invasion de l’Ukraine n’est pas la première guerre dans le monde. Qui peut oublier la guerre du Golfe, une invasion de l’Irak par les Américains et les Européens en 1991 (première guerre du Golfe à la suite de l’occupation du Koweït par l’Irak) en 2003 (deuxième guerre du Golfe à la suite de la fausse affirmation de la possession d’armes  de destruction massive de l’Irak de Saddam HUSSEIN) ; la guerre en Libye par les Occidentaux en 2011. Il y a eu d’autres guerres et pourtant c’est celle qui a lieu actuellement en Ukraine qui a suscité l’usage de l’expression «tournant historique », car elle se passe sur le continent européen, auto-proclamé un continent de paix ayant pour bases l’État de droit, les Droits de l’Homme et la démocratie libérale.

POUTINE a attaqué un État souverain, un pays démocratique, un pays de liberté, il a violé le droit international et il est coupable. Tout cela est vrai et pourtant des faits semblables ont eu lieu dans d’autres pays avant mais cela n’a pas entrainé les grandes décisions et sanctions actuelles. La guerre en Ukraine serait-elle vraiment un tournant historique ?

Premier fait surprenant : l’Allemagne, qui, à la suite des deux grandes guerres, avait choisi de ne pas se lancer dans le développement des armes de guerre, a décidé de moderniser son armée avec 100 millions d’euros. C’est le chancelier Olaf SCHOLZ qui a annoncé au Bundestag cet effort exceptionnel. C’est un changement de doctrine  en matière de défense de l’Allemagne.

Deuxième fait marquant, l’Union Européenne, par la présidente de la commission, Ursula Von der LEYEN, va financer l’achat et la livraison d’armes à l’Ukraine pour l’aider. Ainsi  «pour la première fois, l’UE va financer l’achat et la livraison d’armes à un pays attaqué». Pour le chef de la diplomatie de l’Union Européenne, Josef BORELL, Bruxelles va proposer aux vingt-sept d’utiliser une ligne de financement d’urgence de l’UE pour fournir aux forces ukrainiennes des armes létales. Des pays européens individuellement comme la France, la Belgique, l’Espagne etc. ont promis de l’aide mais aussi du soutien militaire et il en est de même pour les États-Unis qui ont apporté à l’Ukraine leur soutien par le discours du président Joe BIDEN. On a aussi entendu, le 1er mars, le discours musclé de la présidente du Parlement européen, Roberta METSOLA, qui réaffirme les diverses sanctions et les positions de l’Union Européenne. Pour l’Union Européenne les agresseurs, les dictateurs n’ont pas de place dans la maison  de la démocratie. Ce sont des paroles de soutien, de réconfort pour une Ukraine envahie par la Russie et qui ne cesse de clamer sa volonté d’adhésion à l’UE et à l’OTAN. Dans le registre des décisions, on note aussi la fermeture de l’espace aérien des pays de l’Union Européenne, du Canada, des  États-Unis aux avions russes civils comme militaires. L’UE retire de son espace tous les médias russes par peur de propagande. Mais que fait-elle en se positionnant en unique source d’informations sur cette guerre ? Qu’aurait-elle dit si c’était sur un autre continent qu’on excluait les médias occidentaux de l’espace public ?

Au niveau des sanctions économiques et financières, l’UE est allée très loin. Ainsi pour envoyer un message à tous ceux qui ont affirmé que les sanctions économiques n’ont jamais fait plier un pouvoir, les Occidentaux ont pris des décisions draconiennes jusqu’à l’exclusion de certaines banques russes du système SWIFT. Et la Suisse, pays neutre, a dit qu’elle va appliquer toutes les décisions prises par l’UE. Au niveau des sanctions, même la FIFA a exclu la Russie de toutes les compétitions sportives et pourtant cette même institution n’a jamais voulu se mêler du confit israélo-palestinien car ce serait une affaire politique. Et  dans le cas présent elle a pris cette lourde décision, mais au nom de quel principe ? 

Au regard  de ces décisions et de leur extension, comment ne pas affirmer que la guerre en Ukraine apparaît comme un tournant historique car des décisions qui n’ont jamais été prises en matière de sanctions économiques et financières ont été prononcées ? On a aussi entendu sur les médias que la  Russie a poussé les Européens à l’Union et à penser sérieusement l’Europe de la défense. Emmanuel MACRON, président de la France et actuel président de l’Union Européenne a réaffirmé cela dans son allocution du 2 mars, allocution dans laquelle il rendait Poutine l’unique responsable de la guerre en Ukraine. Il a magnifié l’Europe unie qui a pris les bonnes décisions. Mais une union autour de quelles valeurs ? POUTINE aurait-il poussé l’Occident a montré son vrai visage ?  

Si l’Europe est incontestablement une puissance économique et financière qui peut assurer sa domination partout jusqu’à l’effondrement d’un pays, comme l’a dit le ministre Bruno LE MAIRE contraint de revoir sa phrase pour ne pas dire tout haut ce que l’Europe pense d’elle-même tout bas,   elle n’est pas une puissance militaire autonome dans sa logique de domination. La guerre en Ukraine révèlerait –elle les lignes de cette Europe, puissance militaire ? 

Une question que l’on est droit de se poser est de savoir si ce que l’Europe présente comme un tournant historique est dans le bon sens au niveau même de ses principes ?

Dans notre tribune du 25 février, le lendemain de la guerre en Ukraine nous nous demandions si cette guerre « n’a-t-elle pas été préparée depuis longtemps par des choix politiques ?… Les citoyens ne devaient-ils pas s’y attendre en entendant les discours des hommes politiques de Russie comme de l’Occident ? Est-ce vraiment le langage de la recherche de la  paix qui était utilisé, ou des mises en garde certes, mais surtout des justifications d’une probable entrée en guerre ? Tout poussait les gens à prendre position : pour ou contre la Russie ou les pays de l’OTAN, plutôt que pour ou contre la guerre. » 

Et quand on écoute sur les médias les différentes interventions, surtout celles de certains européens qui ont encore le courage et la lucidité d’analyser en Occident, on entend que cette guerre pouvait être évitée si les Occidentaux avaient respecté leur promesse envers la Russie depuis la fin de la guerre froide. Et même certains européens, dans le sens de l’esprit critique, ont remis en question le mépris de l’Europe envers la Russie de POUTINE qui a averti à plusieurs reprises. Il ne s’agit nullement de donner raison à POUTINE mais, en dehors de la condamnation  de l’invasion,  d’établir les responsabilités afin de trouver les pistes de solutions convenables aux hommes et femmes du XXIè siècle. 

L’Occident aime se présenter comme porteur du principe humaniste et à ce titre il se donne pour mission d’étendre la démocratie et ses valeurs partout dans le monde contemporain. Mais respectet-il ce principe humaniste ou bien serait-il un principe à géométrie variable ? On a entendu le président ZELENSKY solliciter l’aide des Occidentaux en disant que l’Ukraine mène une guerre pour des droits de l’homme, pour la liberté, pour des valeurs démocratiques et que l’Occident ne peut ne pas s’impliquer car des civils et surtout des enfants sont tués et en face de ces cris on a entendu la réponse des institutions européennes qui se disent, non seulement, favorables à l’aide mais se mobilisent. Cette mobilisation est à féliciter mais pourquoi ne serait-elle valable que pour l’Ukraine ? Pourquoi n’a-t-elle jamais été effective, par exemple, pour les Palestiniens dans les guerres incessantes  entre les Palestiniens et les Israéliens ? Pourquoi cette mobilisation n’a jamais été mise en œuvre pour les pays africains où des enfants sont tués et où la lutte pour la démocratie est  toujours d’actualité ? Il ne s’agit pas ici de déresponsabiliser les Africains mais de questionner  l’Occident dans certaines pratiques. 

D’ailleurs même dans la guerre en Ukraine, on a remarqué avec une grande stupéfaction les attitudes des Polonais envers les ressortissants Africains qui voulaient venir en Europe. Même en face de ce drame il y a un tri entre les êtres humains. Dire que c’est un acte de quelques individus comme on l’a entendu sur RFI ne trompe personne sur ce qui a toujours posé problème : la non considération de certains êtres humains qui n’auraient pas la même dignité que les Occidentaux. Il y a une forme d’arrogance qui pose problème et qui a conduit à  cette guerre.

 Si cela doit être un tournant historique, ce n’est pas dans le fait que la guerre se passe en Europe ou dans le changement de doctrine de défense de l’Allemagne ni même dans l’extension inédite des sanctions mais dans une vraie réflexion sur le paradigme qui gouverne le monde et qui empêche une vraie fraternité et solidarité.   

Au regard de l’actualité, nous voulons retenir  ici deux éléments :

Le premier c’est que souvent on entend dire que la politique serait comparable à un marais où se trament les affaires les moins racontables. Elle apparaît comme un domaine sale, un domaine de  ruse et du non-respect de sa parole pour agir uniquement au gré des circonstances et des intérêts basés sur des calculs égoïstes (cf. Le Prince de Machiavel). 

Et si l’intérêt était saisi comme une invitation à construire ensemble un « inter-esse » (un espace entre les hommes et qui permet à chacun d’être et de jouir de ses droits dans la sauvegarde de la pluralité) au sens du philosophe Hannah ARENDT, ne prendrions-nous pas le chemin de quitter ce marais avec les affaires les moins racontables pour construire, par exemple, une véritable union européenne  hors de la logique de domination ?

Le deuxième point c’est que l’histoire nous apprend que toutes les guerres finissent par des négociations, alors pourquoi ne pas épargner des vies humaines en ouvrant, immédiatement, un vrai dialogue entre les forces en présence et de mettre ainsi l’humain au cœur des échanges afin de cesser cette guerre ? Quand la parole donnée à l’autre n’est plus vraie mais se révèle souvent comme un simple outil de calcul et de positionnement, il serait difficile de redonner à la parole qui nous humanise tout son sens et sa valeur.  

Retrouver le sens de la parole donnée, de la parole qui relie, qui construit et reconstruit, qui réconcilie, qui permet d’éviter la guerre pour un monde plus solidaire ne serait-il pas, peut-être, un vrai tournant pour toute l’humanité?

citeauquotidien@gmail.com

                                                                                                                                          Lomé, le 04 mars 2022

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