Si le Projet de développement et de gouvernance minière (PDGM) devrait s’arrêter au statde des recommandations du secteur minier sans assister à leur mise en application avant sa fin, on dira que la Banque Mondiale, avec le crédit IDA N°57350, aura prêché dans le désert. Car, des recommandations faisant suite à des constats, le gouvernement togolais en a empilé dans les armoires, mais tarde à les mettre en application.

Au terme de l’évaluation environnementale et sociale stratégique du secteur minier au Togo, le rapport final commandité par le PDGM a édicté les principaux défis et recommandations d’ordre politique et juridique d’une part, et institutionnel d’autre part. Mais seuls les premiers ont retenu notre attention de par leur pertinence. Stratégie de croissance du secteur minier, subordonnée à la mise en place d’un schéma national d’aménagement du territoire, révision du Code minier en profondeur tenant compte de la transparence et de la redevabilité, la sévérité liée à l’application des textes juridiques, droit d’accès à l’information environnementale, et d’autres dispositions toutes plus utiles les unes que les autres.

Principaux défis et recommandations d’ordre politique et juridique

L’analyse du cadre politique, légal et réglementaire lié à la gestion environnementale et sociale du secteur minier togolais montre que, malgré les efforts pour développer l’industrie minière depuis l’adoption du Code Minier en 1996, le secteur reste marqué par l’absence d’une vision stratégique de croissance clairement définie en matière de protection de l’environnement et des populations. Cette absence constitue un obstacle pour le développement durable du secteur minier au Togo.

Recommandation 1 : Une stratégie de croissance du secteur minier togolais devrait être élaborée et mise en oeuvre en vue du développement durable du secteur, tant artisanal qu’industriel. Cette stratégie doit : (a) être définie en prenant en compte les priorités économiques, environnementales et sociales, (b) encourager la recherche géologique et minière, (c) être accordée avec le futur schéma national d’aménagement du territoire et (c) rassembler toutes les parties prenantes du secteur minier togolais au niveau national, régional et local.

La mise en oeuvre de la recommandation 1 concernant l’élaboration de la stratégie de croissance du secteur minier dépend directement des dispositions adoptées dans le Schéma National d’Aménagement du Territoire, qui n’a pas encore été préparé. Il est donc indispensable le développement et l’adoption de ce schéma national dans le plus bref délai.

Recommandation 2 : Le Gouvernement togolais devrait accélérer la mise en place d’un Schéma National d’Aménagement du Territoire.

Le Togo a un Code Minier novateur, mais en raison de l’absence des textes d’application, ce code reste peu opérationnel. Par ailleurs, les aspects environnementaux et sociaux, et les questions de transparence et de bonne gouvernance minière, ne sont pas suffisamment intégrés. Le Code Minier présente également des décalages avec certains textes légaux et règlementaires ayant une relation avec l’exploitation minière, notamment la Loi-Cadre sur l’Environnement et ses textes d’application, le Code Forestier, le Règlement de l’UEMOA et la Directive de la CEDEAO pour le secteur minier révisés.

Recommandation 3 : Il est nécessaire de procéder, à la révision du Code Minier, en prenant en compte notamment :

  • L’intégration des aspects environnementaux et sociaux, et les questions de transparence et de redevabilité dans la gouvernance minière et
  • L’harmonisation avec les textes légaux et règlementaires ayant une relation avec le secteur minier.

La procédure de réalisation et de validation des EIES (Etudes d’impact environnemental et social) est encadrée par la Loi-cadre sur l’Environnement et sa règlementation. Selon le Code Minier, le permis de recherche ainsi que l’autorisation artisanale ne font pas l’objet d’une EIES. Cela n’est pas cohérent avec les dispositions de l’Arrêté N. 0151/MERF/CAB/ANGE du 22 décembre 2017 fixant la liste des activités et projets soumis à l’étude d’impact environnemental et social, qui introduit l’obligation de réaliser une EIES approfondie pour les permis de recherche minière et une EIES simplifiée pour les autorisations artisanales. De plus, le Code Minier n’est pas aligné aux dispositions du Décret N°2017-040/PR du 23 mars 2017 fixant la procédure des études d’impact environnemental et social, qui demande la réalisation d’un Plan d’Action de Relocalisation (PAR) pour les projets comprenant le déplacement d’un certain nombre de personnes.

Les exigences pour l’obtention d’un titre minier (ex. EIES, POI, plan de réhabilitation environnementale et fermeture de la mine, sureté financière de réhabilitation, etc.) ne sont pas encore règlementées, à l’exception des exigences pour les permis d’exploitation de matériaux de construction. De plus, les dispositions sur les aspects environnementaux, sociaux, de santé et sécurité, et fiscalité minière ne sont pas clairement précisées par le code. Le Togo n’a pas encore adopté un schéma d’aménagement du territoire national.

Par ailleurs, les dispositions du Code Minier, du Code Forestier et de la Loi-Cadre sur l’Environnement ne sont pas clairement définies concernant l’interdiction de l’exploration et l’exploitation minière dans les aires protégées. Aussi, le concept de zone tampon en bordure des aires protégées relatives à l’exploration minière n’est pas encore appliqué. En outre, il n’y a pas de directives spécifiques pour les activités minières en zone forestière. Un volet REDD + n’est pas encore intégré dans les EIES des projets miniers en zone forestière.

Lors de l’évaluation des projets miniers, il est difficile de chiffrer la valeur environnementale ainsi que la valeur des services environnementaux des terres qui seront affectées par le projet minier (qu’il y ait ou non des aires protégées concernées), alors que le projet minier lui-même est aisément chiffrable en termes de taxes, impôts et royalties. Il manque une « comptabilité environnementale » qui permettrait d’équilibrer les discussions.

Recommandation 4 : Dans le cadre de la révision du Code Minier et de l’élaboration de ses textes d’application, il est important de prendre en compte les éléments suivants :

  • L’alignement du Code Minier avec le Décret N°2017-0 40/PR et l’Arrêté N.0151/MERF/CAB/ANGE en ce qui concerne les PAR (Plan d’action de réinstallation) et les EIES demandés pour le secteur minier ;
  • L’intégration des obligations environnementales spécifiques au secteur minier, notamment un plan de réhabilitation environnementale et de fermeture de la mine, une sûreté financière pour la réhabilitation environnementale et des protocoles pour la réhabilitation environnementale des sites miniers ;
  • L’intégration des obligations sanitaires et sécuritaires spécifiques au secteur minier ;
  • L’exigence d’élaborer un plan de développement communautaire par le titulaire du permis d’exploitation en concertation avec les communautés riveraines et les autorités administratives territoriales et locales ;
  • L’élaboration systématique de plans d’urgence dans le cadre des EIES et des audits environnementaux et sociaux relatifs à l’industrie minière ; ces plans doivent prendre en compte également les impacts transfrontaliers des projets ;
  • L’établissement d’une méthodologie permettant d’évaluer et chiffrer la valeur du dommage environnemental et celle des services environnementaux des lieux qui seront affectés par le projet ;
  • La mise en place des dispositions relatives à l’application du système de sureté financière de réhabilitation environnementale ;
  • Les PGES (plans de gestion environnementale et sociale) de projets miniers doivent présenter une méthode et des outils de suivi de la situation environnementale et du contexte socioéconomique à travers un plan de suivi complet, avec notamment la collecte de données quantitatives et qualitatives ;
  • La réglementation des exigences pour l’obtention d’un titre minier (ex. EIES, PO(Plan d’opération interne), plan de réhabilitation environnementale et fermeture de la mine, sûreté financière de réhabilitation, etc.) ;
  • L’intégration dans la réglementation minière des normes environnementales nationales (ou internationales) établies pour toute forme de pollution ou nuisance relatives aux activités minières (ex. emissions gazeuses et des poussières, rejets solides, effluents après le traitement du minerai, niveau de bruits, pollution des sols, etc.) ;
  • L’interdiction légale d’utilisation du mercure et du cyanure pour l’orpaillage ;
  • L’interdiction d’octroi de titres miniers dans les aires protégées et l’introduction des zones tampons en bordure des aires protégées ;
  • L’intégration d’un volet REDD+ dans les EIES des projets miniers dans les zones forestières ;
  • La définition de l’instance responsable de la vérification de la nonsuperposition d’un titre minier avec une aire protégée lors de la demande d’octroi de titre minier et la réglementation de la procédure de vérification ;
  • L’établissement de mesures incitatives afin de promouvoir l’introduction des technologies plus propres ou « vertes » par l’industrie minière ainsi que la promotion de l’introduction des systèmes de gestion environnementale (ex. du type ISO 14001 ou EMAS) par les sociétés minières ;
  • L’exigence d’un système de partage d’emplois bénéficiant aux communautés affectées par les activités minières ;
  • L’établissement d’un système de traçabilité accompagné d’une fiscalité sur l’exportation des métaux, notamment l’or, harmonisé au niveau des pays de la CEDEAO, afin d’éviter la circulation non contrôlée des métaux et les fuites des ressources fiscales ;
  • La clarification de la fiscalité liée aux titres miniers pour permettre qu’une certaine partie des revenus miniers soit allouée au renforcement du contrôle minier, afin de faciliter un contrôle réel et indépendant des installations minières.
  • L’intégration des dispositions de la loi N°2007-17 portant Code de l’Enfant et de la loi N°2006-010 du 13 décembre 2006 portant Code du Travail en ce qui concerne la réglementation du travail des enfants dans le secteur minier artisanal.

La formalisation, le suivi et le contrôle du secteur minier artisanal togolais sont impératifs pour la croissance durable du secteur. Dans ce cadre, l’organisation des mineurs artisanaux contribuerait au développement de leurs compétences techniques minières, environnementales, sanitaires et sécuritaires, tout en augmentant leur production et en améliorant leurs conditions de travail. Par ailleurs, la formalisation du secteur artisanal pourrait améliorer les conditions de négociation des prix des produits vendus, avec comme conséquence une augmentation du niveau de vie des mineurs et leur familles.

Recommandation 5 : La définition d’artisan minier devrait être affinée par le Code Minier afin d’intégrer les différentes catégories d’artisans en fonction des modes de production. L’activité minière artisanale devrait être assujettie à l’organisation des artisans miniers (ex. coopératives, associations) et/ou à la formalisation de leur statut individuellement à travers l’obtention d’une carte de mineur artisanal délivrée par la DGMG ou ces directions régionales. Ces mesures devraient être accompagnées par :

  • L’élaboration des manuels opérationnels d’accompagnement et d’encadrement des exploitants artisanaux en termes de formation, conseil et mise à disposition des informations pertinentes ;
  • La préparation d’un guide pour la réalisation d’une EIES simplifiée pour les activités artisanales ;
  • L’élaboration d’un manuel d’accompagnement des femmes qui travaillent dans le secteur minier artisanal ;
  • L’élaboration du cahier des charges de l’exploitant minier artisanal, avec les directives liées au respect des règles environnementales, sanitaires, sécuritaires et sociales.

A l’instar de nombreuses autres législations minières de pays africains, l’analyse du corpus législatif congolais montre que le concept d’environnement est circonscrit aux aspects physiques et ne traduit pas la prise en compte croissante de la dimension humaine et sociale qui caractérise l’évolution de ce secteur.

Par ailleurs, un problème de gouvernance se pose au niveau des plans de gestion environnementale et sociale des projets miniers, qui se résument trop souvent à la mise en place de mesures compensatoires comme la construction d’écoles, de dispensaires, de points d’eau, etc. En soit, ces mesures peuvent être bénéfiques, mais il n’est pas sain que les sociétés minières se substituent aux Etats sur des domaines régaliens comme la santé, l’éducation et l’aménagement du territoire.

Ces mesures devraient être strictement cadrées et non laissées à l’initiative de sociétés minières. De plus, les sociétés minières ne prennent pas en compte les schémas de développement local durant la préparation de leurs PGES.

Au plan environnemental, le Togo a adopté un cadre juridique moderne et efficace, mais faute de certains textes d’application et de capacité institutionnelle, l’enfoncement de la législation environnementale liée au secteur minier reste faible.

Par ailleurs, les sanctions relatives à la violation des obligations environnementales et sociales dans le secteur minier ne semblent pas être assez efficaces afin de réduire les impacts sur l’environnement et sur les communautés locales.

Recommandation 6 : Il est indispensable de renforcer la précision et le niveau de contrainte des règles, leur système d’application et la sévérité des sanctions liés à l’application des textes juridiques pour la gestion environnementale et sociale du secteur minier. Il est donc recommandé de :

  • Elaborer un guide sectoriel pour les EIES du secteur minier pour contraindre le contenu des études d’impact en fonction des spécificités minières ;
  • Etablir un modèle de rapport standard disponible pour toutes les sociétés minières afin de faciliter le suivi des activités et le traitement des données fournies à la DGMG dans un premier temps, et mettre en place un système de rapport « on line » ultérieurement ;
  • Mettre en place une commission élargie de fermeture/réhabilitation des sites miniers regroupant l’ensemble des acteurs et des services techniques ;
  • Etablir les modalités de détermination et de gestion de la contribution financière des sociétés minières au développement local conformément aux dispositions de la loi (N°2011-008 relative à la contribution des entreprises minières au développement local et régional) ;
  • Exiger la prise en compte des schémas de développement local durant la préparation des PGES des sociétés minières ;
  • Renforcer le suivi de la mise en oeuvre des PGES, PGR, PAR, plan d’urgence, plan de réhabilitation environnementale et plan de fermeture ;
  • Formaliser la mise en place d’un cadre de concertation permanent entre l’opérateur minier et les communautés affectées dès le début du projet ;
  • Introduire des dispositions légales à prendre dans le cas de non-paiement des redevances minières par les sociétés ;
  • Mettre en place des mesures coercitives et punitives efficaces relatives à la violation des obligations environnementales et sociales dans le secteur minier afin de dissuader certains opérateurs de continuer à dégrader l’environnement et les contraindre à respecter leurs engagements sociaux ; dans ce cadre, une révision des instruments économiques environnementaux et de l’efficacité de leur application semble nécessaire.

On parle de « compensation juste », ou « concertée » mais, il s’agit, pour l’opérateur, de définir des modes opératoires : qui est éligible à un type d’indemnisation et qui ne l’est pas ? Quel mode de calcul, quel taux sera utilisé pour calculer le montant de cette indemnisation ? Sur ce plan, le cadre légal et règlementaire togolais est fortement à la traîne des règlementations internationales. De plus, il n’y a pas de contrôle par l’Etat sur la bonne application des mesures existantes ni d’évaluation des résultats.

La compensation suite à un déplacement involontaire (nouveau logement, nouvelles terres) est parfois présentée comme une mesure d’amélioration du bien-être des populations, alors qu’il s’agit avant tout d’une mesure visant à réparer un préjudice. Par ailleurs, on constate que le traitement des questions d’emploi au niveau local à l’échelon des communautés impactées n’est pas une priorité.

Recommandation 7 : La mise en place d’un cadre légal de relocalisation involontaire des communautés affectées par les projets miniers avec une règlementation basée sur la pratique internationale en la matière est primordiale. Les dispositions légales doivent concrétiser les notions de dommages subis par les populations impactées et guider l’exploitant de manière à ce qu’il les identifie et y réponde (mesures d’atténuation et de réhabilitation) de manière juste et appropriée. Cela évitera, notamment, l’amalgame entre les mesures de développement communautaire et les compensations individuelles.

L’accès du public à l’information sur les questions environnementales et sociales relatives au secteur minier doit être reconnu. Au Togo, la communication de l’information concernant la réglementation et les données environnementales et minières, que ce soit entre les ministères concernés ou vers les investisseurs miniers et le public en général, n’est pas satisfaisante. Il est nécessaire de renforcer l’information et la documentation de la société civile sur les activités minières en cours et les futurs projets miniers pour pouvoir représenter un réel contre-pouvoir, notamment au moment des audiences publiques liées à l’EIES ou l’audit environnemental et social. Les dispositions concernant la participation du public dans l’approbation des EIES ont été réactualisées en 2017 (Arrêté n°0150/MERF/CAB/ANGE). Il est encore trop tôt pour évaluer l’effet de son application.

Recommandation 8 : Le droit de la population togolaise à l’accès à l’information environnementale, notamment à travers la facilitation de la consultation des EIES, PGES et PAR et tous les rapports environnementaux et sociaux soumis par les sociétés minières, doit être assuré. La soumission de ces rapports dans un format électronique faciliterait leur divulgation auprès du public ainsi que leur archivage par l’ANGE. Le partage des données environnementales entre les différentes institutions concernées pourrait se faire à travers la mise en place d’un système d’information intégré. Aussi, les EIES doivent être produites en langue nationale avec un résumé traduit en langue locale diffusé localement avant la validation publique.
 
source : Liberté
 

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