Kwame Nkrumah

Si, un demi-siècle après sa mort, l’Osagyefo continue d’être autant vénéré en Afrique et au-delà, c’est parce que sa sincérité panafricaniste et son intégrité morale n’ont jamais été mises en cause…

Les Ghanéens ont commémoré, cette semaine, le cinquantième anniversaire de la mort du Dr Kwame Nkrumah, chantre du panafricanisme, premier président du Ghana. Renversé en 1966, il est mort en exil, le 27 avril 1972. Il a, certes, été réhabilité, depuis. Mais on a peine à s’expliquer comment un leader aussi adulé à l’échelle continentale a pu connaître une telle fin. Et, encore moins, pourquoi certains, dans son pays, continuent de le décrire comme un dirigeant autoritaire et sans pitié ?

Panafricaniste visionnaire, leader d’envergure, héros… Il l’était, mais n’était pas que cela. Pour tirer, de la vie de ses grands hommes, des leçons lucides et utiles, l’Afrique devrait cesser de banaliser leurs faiblesses. Le brillant et charismatique Nkrumah supportait mal la contradiction et s’était, peu à peu, renfermé dans la certitude de sa toute-puissance, perméable au culte de la personnalité, hermétique à la critique, et si redouté que, pour le renverser, les putschistes ont préféré attendre qu’il soit en voyage à l’étranger. Contre un palais vide, c’est toujours moins risqué…

Évidemment, les sentiments ambigus qu’il pouvait inspirer au Ghana même contrastaient avec sa très bonne image, à l’extérieur. Oublions ceux qui lui étaient attachés par une affection forcée, et même les pays voisins, qui suspectaient des velléités hégémoniques dans son panafricanisme pressant, persuadés que Nkrumah ne voulait les États-Unis d’Afrique qu’à la condition que ce soit sous sa coupe.

Malgré toutes ces réserves, il demeure un des plus grands leaders de l’Afrique indépendante…

Exact ! Parce que les peuples africains, de désillusion en désillusion, apprennent à accepter qu’un héros puisse ne pas être parfait, dès lors que le meilleur de ce que l’on en retient constitue une source d’inspiration pour une jeunesse en manque de modèles. Le seul enjeu étant d’aider les peuples et le continent à changer de destin.

Après tout, n’est-ce pas dans cet esprit qu’a germé le panafricanisme dans le cœur d’une élite noire de la diaspora, aux États-Unis et dans les Caraïbes ? Ils l’ont initié, dans le dernier tiers du XIXe siècle et porté jusqu’à l’implanter, à partir de 1945, sur le sol d’Afrique. Edward Wilmot Blyden, Henry-Sylvester Williams, William Edward Burghardt Du Bois, Alan Locke, Jean-Price Mars, Marcus Aurelius Garvey, George Padmore, Nnamdi Azikiwe, Jomo Kenyatta, Kwame Nkrumah… Autant de noms, que Léopold Sédar Senghor avait sans doute à l’esprit, lorsqu’il écrivait qu’il est des noms qui sonnent comme un manifeste.

En ce temps-là, le panafricanisme était errant, dans un environnement hostile. L’Afrique encore sous domination coloniale, les Noirs américains, encore avec à peine des droits… Le premier congrès pan-nègre se tient à Londres, en l’an 1900. Suit un deuxième, en 1912, à Tuskegee, ville d’Alabama, connue pour abriter une des universités historiquement noires des États-Unis.

Où en est-on du panafricanisme, selon Nkrumah, aujourd’hui ?

Son rêve a, certes, tourné court, mais sa sincérité panafricaniste et son intégrité morale valent à l’Osagyefo d’être, à tout jamais, le héros continental que continue de vénérer l’Afrique. Mais, avec le tournant, raté, d’une OUA qui a déçu, en mai 1963, avant d’avoir servi, lui-même admettait avoir, quelque part, échoué.

Comme dans une célèbre réplique de Brutus à Cassius, [dans Jules César], on serait tenté de dire qu’il est, vraiment, dans les affaires humaines, une marée montante. Qu’on la saisisse au passage, elle vous mène à la fortune. Mais, qu’on la manque, et tout le voyage de la vie s’affaiblit dans des cloaques et de terribles misères.

Et si tous les déboires actuels du continent découlaient du rendez-vous manqué avec la marée montante de mai 1963 ? On rêvait d’un embryon d’États-Unis d’Afrique et l’on se retrouve avec une multiplicité d’États, souvent peu viables, parfois moins enviables qu’un bantoustan.

Mais, cet échec semble parfaitement intégré par une partie de la jeunesse, prompte à s’autoproclamer panafricaniste, en ressassant quelques phrases définitives ou des citations à peine digérées. Au point de faire oublier que, davantage qu’une posture, le vrai panafricanisme ne se proclame pas. Il se vit !

Jean-Baptiste Placca

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