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Comme si l’incendie du grand marché de Lomé le préoccupait plus que celui de Kara, le gouvernement de Faure Gnassingbé et d’Arthème Ahoomey-Zunu se montre si alerte et apparemment concerné qu’il mélange visiblement les canards et les oies. De l’arrestation de Gérard Adja, premier vice-président du parti OBUTS à la levée de l’immunité de Gabriel Messan Agbeyomé Kodjo, président du même parti, ancien président de l’Assemblée nationale, ancien Premier ministre, en passant par les arrestations de citoyennes neutres ou militantes de partis d’opposition, le gouvernement semble donner préférence à la piste des adversaires politiques qui auraient choisi de mettre le feu aux marchés pour des raisons à expliquer. Pour différents observateurs, la démarche gouvernementale se révèle très surréaliste et a bien l’air, malheureusement, d’une énième récupération.
 
Une catastrophe économique
 
Comme dans un rêve, les usagers des grands marchés de Kara et de Lomé ont vu tous leurs biens et articles partir en fumée, en l’espace de quelques heures et sans que quelqu’un ait pu faire quelque chose pour l’empêcher. Cœur des deux marchés, les deux bâtiments principaux accueillent la crème et le gotha des commerçants, femmes d’affaires et figures de proue du commerce de tissus de prix dans le pays. A ce titre, ils étaient des lieux névralgiques, absolument connus de tous ceux qui, d’ici ou d’ailleurs, visitaient lesdits marchés. Naturellement, on peut estimer la masse d’argent qui est brassée au quotidien dans ces bâtiments principaux sans oublier l’impact négatif immédiat qu’ils peuvent avoir sur les deux villes et tout le pays, après les incendies.
 
Pour les commerçantes et commerçants en effet, l’incendie de leur lieu de travail est une catastrophe économique. Non seulement ils sont privés pour longtemps de leurs activités génératrices de revenus mais surtout toutes les ressources dont ils peuvent disposer pour relancer les affaires et continuer à vivre sont hypothéquées par ces incendies. Ce sont en effet des milliards de francs CFA qui sont réduits en cendres, ce qui pour les mairies, les préfectures et plus loin pour le pays constitue un petit séisme en termes de rentrée de taxes, d’impôts et de retours sur investissements.
 
La catastrophe économique est plus encore une réalité lorsqu’on considère que ces usagers victimes des incendies sont en majorité des pères et mères de famille. A ce titre, il leur revient l’obligation parentale de subvenir aux besoins de dizaines de bouche à nourrir d’une part, et l’obligation patronale de verser en temps opportun les salaires de tous ceux qui travaillent à leur service, dans les marchés ou à domicile. Une catastrophe économique à double titre donc : pour les patrons et pour les employés qui, privés de rémunération, entrent dans la dèche et dans la zone d’incertitudes.
 
Adversaires politiques pyromanes ?
 
Face à la catastrophe nationale que constituent les incendies de Kara et de Lomé, sans oublier que d’autres lieux tels le bâtiment de CIB INTA à Atakpamé, les locaux d’une société de service informatique à Kara, un magasin au marché de Hedzranawoe ont également reçu la visite du feu malfaisant, le gouvernement de Faure Gnassingbé et d’Arthème Ahoomey-Zunu ont vite trouvé les suspects. Selon toute vraisemblance, les coupables sont à trouver, selon eux, dans les rangs de l’opposition. De l’arrestation de Gerard Adja à celle de Madame Suzane Nukafu, militante de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) en passant par la levée de l’immunité et l’arrestation de Messan Agbeyomé Kodjo, le gouvernement semble dire que ce sont ses adversaires politiques qui sont les pyromanes.
 
Pour différents observateurs, la logique est surréaliste et surprenante. Ils se demandent si c’est parce que les incendies sont survenus avant et pendant la manifestation publique organisée par le Collectif Sauvons le Togo (CST) que l’on se permet de faire assez rapidement et visiblement hâtivement le lien entre les deux événements. Ces observateurs ne comprennent pas vraiment comment, aux temps les plus chauds de la contestation anti Faure, au printemps 2005 ou au lendemain de la présidentielle de 2010 où les marches de protestation de l’ANC drainaient jusqu’à un demi-million de manifestants, il n’y a pas eu les sommets des incendies criminels des marchés ou des lieux publics, et que ce soit maintenant, à un moment où la tension politique est sensible sans que cela se décline en journées entières de batailles et d’émeutes que les adversaires politiques trouvent utile à leur action politique de mettre les marchés en feu.
 
Rien n’est à exclure puisque tout est possible, c’est vrai certes, mais selon toute vraisemblance, ce serait un curieux scandale que les adversaires politiques qui se savent très bien surveillés, marqués à la culotte par les nombreux services de renseignements se donnent le luxe inutile de poser des actes répréhensibles du genre brûler ou faire brûler les marchés. Déjà, certaines arrestations le sont sans une enquête sérieuse et crédible. Cela ouvre la porte à toutes les supputations et interprétations.
 
Relever le défi d’une enquête sérieuse et rationnelle
 
En faisant arrêter au bout de 24 heures le vice-président de OBUTS, le gouvernement a-t-il donné une suite pertinente à l’invitation du Front-Sage qui, dans un communiqué en date du 14 janvier 2012 « dans un effort exceptionnel qui tranchera définitivement avec les habitudes du passé, à faire toute la lumière sur les causes des événements, à situer clairement toutes les responsabilités et à prendre toutes les dispositions qui s’imposent en ce qui les concerne » ? Il est facile et logique de dire non, étant donné que, à moins de posséder avant le 12 janvier des informations mettant en cause les accusés, on ne peut pas croire que dans notre pays les habitudes de la maison aient changé si vite au point de permettre qu’en moins de 24 heures les suspects dans une affaire comme celle des incendies soient repérés et appréhendés.
 
Du coup, il y a plus de raison à croire que c’est plutôt la crainte exprimée par la coalition Arc-en-ciel qui se vérifie. La coalition coordonnée depuis peu par Madame Adjamagbo-Johnson avait en effet senti venir le mauvais vent ou le détour malheureux du pouvoir en le mettant en garde, dans un communiqué en date du 14 janvier 2012 « contre toute velléité de se servir de ce drame à des fins de règlement de compte politique ». N’est-ce pas malheureusement ce que fait le pouvoir de Faure Gnassingbé ? Qu’espère-t-il en récolter comme résultats politiques ou sociaux ? L’avenir le dira. Autrement, comment peut-on comprendre que dans la matinée du mercredi 16 janvier certains confrères annoncent-ils déjà l’arrestation d’un chef de parti politique. N’est-ce pas là le signe d’une combine politique programmée ?
 
Le moins qu’on puisse dire sur le moment est que le gouvernement de notre pays a visiblement pris le parti de la facilité et de ce que la coalition Arc-en-ciel appelle « velléité de se servir de ce drame à des fins de règlement de compte politique ». Des observateurs s’étonnent à juste titre de la célérité avec laquelle les enquêtes ont abouti à la détention à vue de M. Gerard Adja, à la levée de l’immunité de Agbeyomé Kodjo et se demandent pourquoi la même célérité n’a pas été observée dans le dossier de l’agression des militants du FRAC le 15 septembre de l’année dernière à Doumassesse, par exemple. Les services du capitaine agiraient-ils selon l’horoscope ou selon la position du soleil dans le ciel ?
 
Les incendies des marchés de Lomé et de Kara sont des événements si douloureux et si dommageables qu’il ne sert à rien d’en rajouter en disloquant davantage le tissu social national. Au lieu donc de vouloir profiter de la situation pour mettre hors d’état de nuire des adversaires politiques gênants, Faure Gnassingbé et son gouvernement ont plutôt intérêt à faire pour une fois une véritable enquête policière ou judiciaire afin de situer réellement les responsabilités. A moins de vouloir noyer son chien en l’accusant de la rage. C’est un défi à relever et les Togolais attendent de voir s’ils sont capables de surprendre positivement.
 
Nima Zara
 
Le Correcteur N° 405 du 17 janvier 2013
 

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