Faure Gnassingbé, médiateur dans la crise malienne. C’est la mission à lui confiée par la junte militaire dans le bras de fer qui l’oppose à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) et à la Communauté internationale. Sans doute un nouveau trophée de chasse de sur fond de calculs politiciens pour le « Jeune Doyen ». Mais ces accointances avec la junte dont la consécration est cette mission cachent mal des liaisons dangereuses entre Bamako et Lomé et scintillent une somme de contradictions.

Appelez-le désormais Monsieur le Médiateur. Faure Gnassingbé s’est en effet fait assigner ce rôle par Assimi Goïta. C’était mercredi dernier, à la suite d’une visite de deux jours d’une forte délégation ministérielle malienne au Togo porteuse d’un message du patron de la junte militaire lui demandant de « soutenir l’effort de dialogue malien avec la Communauté internationale » et de « prendre des initiatives de facilitation ». Concrètement, il est demandé au chef de l’Etat togolais de jouer les médiateurs entre Bamako et la CEDEAO d’une part, ainsi qu’avec la Communauté internationale de l’autre. Et cette sollicitation, Faure Gnassingbé y a répondu favorablement. Si auparavant il agissait dans l’ombre et avec réserve, désormais il a carte blanche pour prester à visage découvert.

Accointances de longue date

En renversant, le 18 août 2020, le Président Ibrahim Boubacar Keita élu dans les urnes, Assimi Goïta et les siens regroupés au sein du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) proclamaient vouloir prendre leurs responsabilités face à ce qu’ils appelaient péril au Mali. « Nous, forces patriotiques regroupées au sein du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), avons décidé de prendre nos responsabilités devant le peuple et devant l’histoire (…) Notre pays le Mali sombre de jour en jour dans le chaos, l’anarchie et l’insécurité par la faute des hommes chargés de sa destinée », avait argué à la télévision publique ORTM le porte-parole des mutins, le Colonel-major Ismaël Wagué, chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air. La junte promit alors une transition politique et des élections générales dans un délai raisonnable pour remettre le pays sur les rails. En effet, le Mali était alors embourbé dans des violences terroristes et interethniques, depuis 2012. Il était également reproché à IBK la gabegie, le népotisme, bref la mauvaise gouvernance. Les objectifs n’auront pas changé, avec le second coup d’Etat organisé le 29 mai 2021 par Assimi Goïta qui déchut le Président de la Transition Bah N’Daw et son Premier ministre Moctar Ouane et lui permit de prendre lui-même le devant des choses.

La manière – coup d’Etat, Ndlr- était contestable ; mais les motivations des putschistes paraissent légitimes : arracher le pays du péril et le remettre sur les rails. Le Mali allait effectivement à vau-l’eau et il fallait (peut-être) une thérapie de choc pour arrêter cette spirale funeste. Mais les accointances entre la junte et le régime de Lomé étonnent plus d’un. Le pouvoir de Lomé fait preuve d’une bien curieuse indulgence vis-à-vis des putschistes. Elle s’est fait plus manifeste depuis le second putsch et les sanctions économiques de la CEDEAO contre le Mali. Faure Gnassingbé et son régime n’en ont jamais été partisans et ont fait montre de souplesse à l’égard du régime de Bamako. Fin janvier, une visite discrète du numéro 1 togolais avait été signalée à Bamako, en pleine période de sanctions économiques, de même que des missions discrètes de son ministre des Affaires étrangères Robert Dussey. Concernant ces sanctions justement, le Togo avait stratégiquement brillé par son absence au sommet d’Accra les ayant décrétées. Si au départ cette position était discrètement tenue, aujourd’hui Lomé devrait agir à visage découvert. Ce sont d’ailleurs cette indulgence et ces accointances qui ont poussé Assimi Goïta à confier officiellement ce rôle de médiateur entre la junte et le duo CEDEAO-Communauté internationale à Faure Gnassingbé.

Liaisons dangereuses et/ou suspectes

Quel intérêt pour Lomé de s’acoquiner tant avec la junte malienne? La question peut paraitre farfelue, mais elle est légitime pour plusieurs raisons. Le régime de Lomé, même s’il est le fruit d’un braquage électoral éternel sur fond de violences militaires, est issu d’un scrutin un mode de dévolution du pouvoir en démocratie, alors que la junte militaire au Mali est l’émanation d’un coup d’Etat. Faure Gnassingbé jouer à l’avocat de putschistes, cela donne en tout cas à réfléchir, notamment sur les desseins qui l’entourent. Quel est donc le message passé à travers ce rapprochement ? Que recherche le pouvoir de Lomé en s’acoquinant avec des putschistes ? Est-ce une promotion cachée des coups d’Etat ?

Au Mali, Assimi Goïta et sa bande clament vouloir rétablir l’ordre dans le pays miné par une instabilité depuis plusieurs mois, s’illustrent donc en justiciers et redresseurs de tort au service du peuple malien. Mais ici au Togo, ceux qui jouent les médiateurs dans la crise malienne sont les responsables de la situation de leurs concitoyens. Non seulement ils confisquent l’alternance, bloquent la démocratie et ses vertus connexes, restreignent les libertés, mais en plus ils sont fermés à leur bien-être. Ce sont eux les responsables de la gabegie, du népotisme, de la mauvaise gouvernance et des maux connexes dont souffrent les populations togolaises, fléaux ayant poussé les militaires à intervenir au Mali. Le changement, la sécurité, la paix sociale et le bien-être auxquels aspire Assimi Goïta pour ses concitoyens, Faure Gnassingbé et le régime cinquantenaire en place au Togo en sont malheureusement les pourfendeurs ici .

C’est un secret de Polichinelle, le Togo est l’antithèse même de la démocratie, l’illustration parfaite du 3e mandat et du refus de l’alternance dans l’espace ouest-africain. Une pathologie qui contamine de plus en plus depuis le foyer de contamination de Lomé. Voir alors ces deux entités s’acoquiner ne doit pas faire sourire. Cela cache, peut-être, des desseins obscurs, surtout que les indiscrétions font état de ce que parmi les condisciples du Colonel Assimi Goïta, se trouverait un officier togolais proche du « Jeune Doyen ». C’est au regard de ces pédigrées différents que ces accointances entre Lomé et Bamako ont des allures de liaisons dangereuses et semblent cacher des desseins obscurs. D’aucuns soupçonnent des calculs politiciens et croient dur comme fer que Faure Gnassingbé cherche simplement à s’approprier le dossier malien et ainsi redorer son image en vue de la présidentielle de 2025.

De l’attitude de Faure à l’interne

Au-delà de la première incompatibilité entre les deux régimes sur le plan des objectifs clamés et des vertus défendues, il y en a un second niveau mis en exergue par les maux incarnés par le nouveau Médiateur et qui entrent en conflit avec son rôle. En effet, la médiation exige des qualités intrinsèques dont le sens de l’écoute, l’indulgence, la bienveillance, le sens du dialogue, de la réconciliation, du pardon…Celui qui incarne ce rôle doit avoir donc ces qualités, mieux, en faire preuve dans sa gouvernance quotidienne. Mais Faure Gnassingbé est à des années-lumière de ces vertus. La preuve ultime, c’est son opacité à son opposition politique, à la société civile critique et à tous ceux qui s’illustrent comme ses contradicteurs, méprise la presse…

Depuis la présidentielle de 2020, n’est-il pas resté fermé à la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK) et son candidat Agbeyome Kodjo qui réclament la victoire ? Ce dernier et son père spirituel sont même contraints à l’exil. Les appels au dialogue autour du contentieux électoral pour une sortie de crise sont tombés dans des oreilles infertiles. Tous ceux qui contestent la gouvernance du ‘’Prince’’ pour un mieux-être des populations sont traqués. Même les syndicalistes. Les misères faites à ceux du Syndicat des enseignants du Togo (SET) sont assez parlantes. Pour avoir simplement appelé à la grève pour réclamer de meilleures conditions de travail et de vie afin de pouvoir mieux servir la nation, certains enseignants sont arrêtés et jetés en prison, d’autres licenciés…Alors qu’on pouvait croire à des traitements décidés par ses ministres seuls, notamment Dodji Kokoroko des Enseignement primaire, secondaire, technique et de l’Artisanat et Gilbert Bawara de la Fonction publique, du Travail et du Dialogue social, les propos de Faure Gnassingbé lors de son discours à l’occasion du 62e anniversaire de l’indépendance du Togo ont levé les derniers doutes et confirmé tout le mal qu’il pense de ce syndicat. Ironie du sort, c’est un tel personnage qui est brocardé médiateur dans une crise aussi sérieuse que celle du Mali.

On peut bien comprendre les réserves de Mme Brigitte Adjamagbo-Johnson, sur les ondes de RFI. « Nous avons des doutes sur les intentions réelles. Monsieur Faure Gnassingbé se propose comme médiateur alors qu’il n’incarne pas les valeurs qui sous-tendent le combat du peuple malien, que même chez lui, il n’arrive pas à faire preuve d’ouverture. Il malmène son opposition. Il est fermé à toute discussion », a fustigé la Coordinatrice Générale de la DMK, convaincue que le « Jeune Doyen » voudrait «peut-être saisir cette opportunité de la crise malienne pour acquérir une certaine légitimité à l’extérieur, se positionner tout en sachant qu’à l’intérieur, il n’a pas cette légitimité, qu’il n’a pas l’adhésion de son peuple », « surfer sur ce vent de panafricanisme en relation avec le conflit malien et se positionner »; mais elle y voit une « peine perdue » parce que « les peuples africains ne sont pas dupes. Chacun observe ce que fait chacun »

Source : L’Alternative

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