Le principe de la non rétroactivité de la loi et la problématique de l’alternance au Togo
La question de l’alternance politique est devenue un casse-tête chinois au Togo à telle enseigne que le peuple dans toute son entité n’arrive pas à se retrouver et se demande le sort qui lui est réservé. Avec les discussions dans un Cadre permanent de dialogue et de concertation (Cpdc) dévoyé, les vraies reformes dont ce pays a tant besoin pour se relever peinent à se concrétiser. Et, la dernière bourde de ce Cpdc est la non rétroactivité de la loi pour laquelle il prend incongrument partie au profit de Faure Gnassingbé.
Depuis l’enclenchement du processus de démocratisation du Togo au lendemain de la chute du mur de Berlin, la question de l’alternance au pouvoir revient avec récurrence et acuité. Après la conférence nationale souveraine, toutes les institutions démocratiques mises en place pour l’avènement de ce nouvel ordre politique afin de sortir le Togo du joug de la dictature au profit d’une nouvelle ère, celle de la démocratie, étaient malheureusement sabotées puis détruites par le régime Rpt pour sa soif du pouvoir.
Nonobstant la multitude dialogues intervenus entre les différents acteurs de la classe politique togolaise assortis de signature d’accords visant à aller de façon pacifique à l’alternance, le pouvoir Rpt ne s’est jamais posé de questions pour rendre aussitôt caducs, les textes consensuellement signés. Ainsi, le 25 Août 1993, feu le général président Eyadema Gnassingbé s’était seul présenté à un scrutin présidentiel sans enjeu pour briguer son premier mandat après l’échec de la transition démocratique et après la promulgation de la Constitution togolaise adoptée par référendum le 27 septembre 1992, qui a consacré la quatrième République.
Rappelons que ce sont les dispositions de cette constitution en son article 59 qui limitait à deux, le mandat présidentiel et qu’en aucun cas personne ne peut briguer plus de deux mandats. Ce qui signifie en clair que le deuxième et dernier mandat du général défunt devrait couvrir la période de 1998 à 2003. L’ayant donc compris, Eyadema et ses sbires, dans leur laboratoire machiavélique, ont tripatouillé cette constitution de 1992 pour ouvrir la vanne à un pouvoir élastique, donc un mandat présidentiel illimité. Ce qui lui a permis de se présenter pour un troisième mandat lors du scrutin présidentiel du 1er Juin 2003.
A sa mort le 05 Février 2005, à la faveur d’un coup d’Etat constitutionnel et d’un scrutin présidentiel violent et sanglant le 24 Avril 2005 avec plus de mille morts, Faure Gnassingbé devenait le chef de l’Etat le plus contesté dans l’histoire du Togo.
Dès lors, la crise sociopolitique née de l’enclenchement du processus démocratique au Togo s’était aggravée et Faure Gnassingbé de par le monde, cherchait sa légitimité très controversée.
Ce qu’il était parvenu à arracher avec la signature le 20 Août 2006 d’un accord qualifié d’Accord Politique Global (APG) qui exigeait entre autres, les reformes constitutionnelles et institutionnelles, le découpage électoral.
Au-delà de ces dispositions de l’Apg, certaines organisations de la société et de défense des droits de l’homme sont même allées loin pour exiger du pouvoir Rpt, le retour pur et simple à la constitution de 1992 qui résout du moins pour l’heure les problèmes politiques auxquels le Togo est confronté.
Mais animé de mauvaise foi, Faure Gnassingbé et les caciques du pouvoir se sont abstenus d’opérer au cours du premier mandat, les reformes constitutionnelles dans un cadre de dialogue représentatif du peuple pour nourrir des ambitions personnelles et assouvir des intérêts méphistophéliques. Cette manière de Faure Gnassingbé de se prendre prouve à suffisance toute sa volonté manifeste à faire perdurer la crise.
Et cela fait partie de sa stratégie politique qui consisterait à rouler l’opposition et le peuple dans la farine pour pérenniser son pouvoir c’est-à-dire faire plus de deux mandats ; ce qui n’est pas conforme aux républicains dans un pays qui se veut démocratique.
Aujourd’hui, la proposition de la limitation de mandat à deux par le Cpdc de Faure Gnassingbé se pose avec acuité avec en toile de fond, le principe de la non rétroactivité de la loi.
Au nom de quelle philosophie politique, un cadre de dialogue qui se veut sérieux, peut-il proposer la limitation de mandat et en même temps, parler de la non rétroactivité de la loi en faveur du chef de l’Etat qui est dans son deuxième et dernier mandat s’il n’est pas au préalable acquis à la cause de celui-ci ? Même si la loi ne devrait pas rétroagir cela n’est pas du ressort du Cpdc de le préciser.
Il incombe d’abord aux constitutionnalistes de disséquer le problème pour le cadrer avec le contexte politique togolais avant de se prononcer sur la recevabilité ou non d’une éventuelle candidature de Faure Gnassingbé en 2015.
Dans la mesure où le pouvoir de Faure Gnassingbé n’est pas issu de l’émanation populaire et qu’à l’intérieur du pays, il est plus qu’illégitime, il est hors de question qu’on favorise une nouvelle candidature du chef de l’Etat qui va faire sombrer ce pays déjà trop exsangue et ankylosé.
Si on se réfère aux événements de 2005, les Togolais se sentent mal à l’aise quand ils savent que Faure Gnassingbé a toujours les leviers de commande de l’appareil de l’Etat. Etant donné que le chef de l’Etat n’a jamais été élu au terme des deux scrutins présidentiels derniers, pourquoi devrait encore parler d’une possibilité de candidature de celui qui est capable de provoquer un carnage électoral.
Une chose dont nous restons convaincus, les Togolais ne voteront jamais pour Faure, ayons le courage de le dire. Faure lui-même le sait et son entourage n’est pas du reste. Pour l’heure, le chef de l’Etat a encore assez de temps pour réfléchir sur la question et prendre la bonne décision qui esquivera le Togo du chaos même s’il s’active à créer un parti politique au nom duquel il pourra se présenter et rentrer dans l’histoire par la grande porte.
Peter Sossou
source : triangledesenjeux.com