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Destins politiques croisés de deux familles

 
Elle est bien un mélodrame, la chronique des Olympio. De père en fils, cette famille subit la loi « criminelle » des Gnassingbé. En effet, si Eyadéma Gnassingbé a assassiné Sylvanus Olympio, le père de l’indépendance du Togo le 13 janvier 1963 et tenté, tel dans la vengeance d’Electre, d’éliminer son fils, mais en vain, c’est à son héritier au trône qu’il est revenu de porter le coup de grâce à Gilchrist Olympio, de manière plus soft et plus civilisée en lui faisant amorcer la marche forcée vers la retraite politique, après lui avoir fait le baiser de Judas.
 
L’histoire se répète. Est-ce écrit quelque part ? En tout cas, c’est bien la saga des bourreaux qui sont toujours angélisés et victorieux et des victimes qui finissent au bagne, et dans la désespérance totale. Autant Eyadéma Gnassingbé a assassiné Sylvanus Olympio, donnant ainsi le ton à la série noire des coups d’Etat en Afrique noire francophone au lendemain des indépendances des pays africains, autant son fils se pose en « assassin » politique de Gilchrist Olympio. Et peut-être plus.
 
En effet, l’histoire enseigne que le 13 janvier 1963, Etienne Eyadéma Gnassingbé, Sergent à l’époque, prit la tête d’une révolution de palais et assassina froidement Sylvanus Olympio, alors premier président du Togo et père de l’indépendance du pays. Même si des témoignages faits lors des audiences de la CVJR ont démenti à ce soldat de rangs, le rôle qu’il s’attribuait dans la survenue de cette tragédie « africaine », il n’en demeure pas moins que l’intéressé avait lui-même revendiqué ce crime odieux qu’il aurait perpétré sur instigation de la France vis-à-vis de laquelle Sylvanus Olympio prenait des distances chaque jour un peu plus. Ce jour où le sang du premier président a coulé, Eyadéma l’instaura « Fête de la libération nationale », un jour férié donc. Ironie de l’histoire. Et depuis leur prise du pouvoir en 1967, Eyadéma et son clan célébraient pompeusement et avec faste cette journée, ponctuée de parades militaires et d’abêtissement des Togolais qui vouaient un culte de la personnalité au grand dictateur. Du côté de la famille biologique et de la famille politique éplorées, celles de Gilchrist Olympio, président de l’UFC, c’était la désolation, des moments de recueillement. Joie, triomphalisme, ambiance de fête d’un côté, et de l’autre, tristesse, amertume et colère.
 
La haine était si viscérale entre les deux familles que la crise politique togolaise se réduisait au combat de gladiateurs entre Eyadéma et Gilchrist Olympio. Et chaque camp redoublait d’ardeur pour neutraliser l’autre. C’est ainsi que la main invisible de Gilchrist Olympio a de tout temps été soupçonnée derrière les nombreux attentats qui ont visé le régime d’Eyadéma. Et que les éminences grises du pouvoir rivalisaient de stratégies, aux fins d’éliminer physiquement ce fils de Sylvanus Olympio aux relents vindicatifs réels ou supposés. L’attentat de Soudou perpétré par un commando dirigé par le Col. Ernest Gnassingbé contre Gilchrist Olympio et qui a emporté Dr Marc Atidépé, compagnon de route et de lutte du fils du Père de l’Indépendance, en était la preuve patente. De cet attentat, le président de l’UFC dont chacune des arrivées à Lomé provoquait des scènes de liesse et d’hystérie, n’était pourtant pas sorti indemne, quoique plus chanceux. Il porte jusqu’à ce jour les stigmates des balles qu’il avait reçues.
 
Le projet d’élimination physique de Gilchrist Olympio ayant échoué, Eyadéma avait tout de même mobilisé toute son énergie pour lui ôter tout espoir de devenir président du Togo. En 1998 et 2003, son parti avait remporté largement la victoire électorale. Cependant, c’était Eyadéma qui avait gouverné… jusqu’au 05 février 2005, où dit-on, il serait mort d’une mort naturelle. Mais jusqu’ici, le mystère plane toujours sur les conditions de son décès. Et comme le plus grand témoignage de son amour (sic) pour le Togo qu’il a dirigé d’une main de fer pendant près de quarante ans, il a cédé, au grand dam de la Constitution, le pouvoir à son fils Faure Gnassingbé, désigné dans certains milieux comme « l’héritier naturel » du fauteuil présidentiel. Ouvrant ainsi la voie à ce que nombre de chefs d’Etat africains allaient recopier : l’ère des présidents de père en fils. Pour éloigner la famille Olympio du pouvoir, Eyadéma accomplit donc trois actes majeurs : le coup d’Etat de 1963 qui eut un fort retentissement international, le tripatouillage de la Constitution pour s’offrir un bail à vie sur le fauteuil présidentiel et enfin la dévolution dynastique du pouvoir d’Etat.
 

Gilchrist Olympio et Faure Gnassingbé, une amitié mortelle !

 
Si les relations entre Gilchrist Olympio et Eyadéma ont été essentiellement tumultueuses, voire haineuses, entre le fils du père de l’indépendance et le fils d’Eyadéma, elles vont plutôt s’améliorer considérablement, après la parenthèse de sang qui a caractérisé l’accession de Faure Gnassingbé au pouvoir en 2005. Jusqu’à ce que le 26 mai 2010, les deux hommes signent ce que d’aucuns ont appelé « la paix des braves », au lendemain de la présidentielle de 2010 qui avait donné Faure Gnassingbé vainqueur avec plus de 60% des suffrages exprimés. Cet accord politique qui actait l’entrée au gouvernement de sept collaborateurs de Gilchrist Olympio et comportait une litanie de bonnes intentions était diversement apprécié. Si du point de vue des relations entre les deux fils de présidents, il y a eu une décrispation, cet accord leur ayant permis de vider leu contentieux historique, du point de vue de la stabilité de sa formation politique l’UFC, c’était plutôt l’envers du décor. Le parti qu’il dirigeait, était en lambeaux, conséquence de sa décision unilatérale de changer d’orientation politique et de pactiser avec le pouvoir qu’il a de tout temps combattu.
 
En effet, deux factions se disputaient le contrôle du parti : le camp des Amis de Gilchrist Olympio (AGO) et celui des dissidents de Gilchrist Olympio dirigé par Jean-Pierre Fabre. Et si au terme de cette bataille rangée, le « grand manitou », aidé par son allié Faure Gnassingbé conserva l’UFC et en exclut ses dissidents, il faut souligner que c’est bien une coquille vide qu’il a retrouvée, la majorité des membres et cadres du parti ayant rejoint le camp de Fabre. C’était le 1er coup mortel que Faure Gnassingbé asséna à son allié. Ce qu’Eyadéma avait remué ciel et terre sans jamais réussir, c’est-à-dire détruire l’UFC et son leader charismatique Gilchrist Olympio, son fils venait de le faire. Avec brio et une ruse à nulle autre pareille.
 
Cet accord salué par l’ensemble de la Communauté internationale, Gilchrist Olympio en paiera le prix fort. Même l’harmonie au sein de sa fratrie en a pris un sacré coup. Robert Olympio, Me Bebi Olympio et même son beau-frère, l’un de ses plus fidèles amis, Eric Amerding, – c’est cet homme qui signa au nom de l’UFC, l’Accord Politique Global (APG) en 2006 -, le critiquèrent vertement et prirent leurs distances vis-à-vis de lui. Deuxième coup dur. Famille politique désintégrée, famille biologique en lambeaux, Gilchrist Olympio finalement réduit à sa dimension humaine (par le passé, il était considéré comme un mythe, une légende vivante, un démiurge), n’était pas homme à reconnaître ses errements et égarements politiques. Même s’il n’attirait plus les foules, ne prenait plus de bain de foule, n’était plus adoubé, signe de sa rupture de ban avec ceux qui ont fait de lui le leader charismatique qu’il était, il pouvait tout au moins se consoler avec une promesse de Faure Gnassingbé : celle d’un retour de l’ascenseur que ce dernier devrait lui faire en 2015 ou d’une « alternance politique pa-ci-fi-que » à son profit. Plus rien ne pouvait compter à ses yeux. L’essentiel étant qu’il accède au pouvoir en 2015 avec la bénédiction de Faure Gnassingbé. Du « Prince sans royaume » qu’il était, il devrait avoir en 2015, le Togo pour royaume et régner dessus, au crépuscule de sa vie. Et misait sur la bonne foi de Faure Gnassingbé, son allié. Or, on n’entre pas en politique comme on entre en religion. Et de plus, les promesses politiques n’engagent généralement que ceux à qui elles ont été faites. C’est un secret de Polichinelle.
 
Mais Gilchrist Olympio, en dépit de ses longues années d’expériences politiques, s’est laissé berner par plus jeune que lui, dans tous les sens du terme. Et le fait le plus cocasse, c’est qu’il rebattait les oreilles des Togolais en se perdant dans des comparaisons indues entre l’acte « historique » que lui et Faure Gnassingbé venaient d’accomplir. Il ne ratait non plus aucune occasion de se présenter à l’opinion comme le « Mandela » du Togo. On l’avait pourtant prévenu de la déception de son peuple. Mais il a foncé tout droit et fatalement au mur. Visiblement déconnecté de la redistribution des cartes politiques qui s’est opérée depuis la création le 10 octobre 2010 de l’ANC par ses anciens camarades de combat, il pariait sur une majorité absolue dans la future Assemblée nationale. Inventait des sondages qui lui seraient favorables, narguait le peuple entier, s’opposait aux initiatives destinées à décrisper l’atmosphère politique ; et, preuve que le fils de Sylvanus Olympio était en manque de repère, il rejetait même les propositions de réformes constitutionnelles et institutionnelles sine qua non, selon l’opposition avant les élections. Et pourtant, elles étaient l’une des raisons fondamentales qui avait motivé son entrée au gouvernement. Du moins, à suivre en croire ce qu’il avait raconté à l’époque. Métamorphose ? Hérésie politique ? Ivresse du pouvoir ?
 

25 juillet 2013, Faure Gnassingbé « assassina » Gilchrist Olympio

 
Comme son père assassinait Sylvanus Olympio 50 ans plus tôt, Faure Gnassingbé a, à son tour « assassiné » Gilchrist Olympio. En effet, le 25 juillet 2013, jour où les Togolais ont voté pour renouveler leur Assemblée nationale marque la fin des illusions du fils de Sylvanus Olympio. Au vu des premières tendances du vote publiées ce même jour, il n’y avait aucun doute. Autant Faure Gnassingbé s’est taillé un score dithyrambique qui dépasse l’entendement humain, autant il a réservé une surprise désagréable à son allié de l’UFC. Les résultats provisoires donnent en effet trois sièges à l’UFC, contre soixante-deux pour l’UNIR. A l’aune de la redistribution des cartes politiques, Gilchrist Olympio n’est plus en position de force. Mais il y a plus grave. Non seulement, l’UFC se trouve reléguée à la quatrième force politique loin derrière l’ANC que lui et ses zélotes ont passé tout leur temps à railler et à mépriser, premier choc, mais encore, le rêve de Gilchrist Olympio de devenir président tourne court. De sources bien informées, il a failli faire une crise à l’annonce des premières tendances. Pis, les mêmes sources laissent entendre que la plupart de ses lieutenants, pour assurer leur survie politique et alimentaire, négocient avec les barons de l’UNIR pour rejoindre avec armes et bagages ce parti. Cependant, une question loin d’être farfelue taraude les esprits : pourquoi l’UNIR n’a-t-elle pas pensé à son alliée l’UFC lors de la vaste opération de fraudes qu’elle a orchestrée ? Gilchrist Olympio était devenu encombrant pour Faure Gnassingbé, croit-on mordicus. Car, il devenait trop tatillon sur la réalisation de la clause secrète du deal politique de 2010 qui prévoyait l’alternance politique pacifique à son profit en 2015. Or, tout porte à croire qu’à l’horizon 2015, Faure Gnassingbé ne cèdera pas le perchoir. Raison pour laquelle, pour foutre à Gilchrist Olympio la honte de sa vie, Gilchrist Olympio n’a pas daigné lui faire profiter de ses manœuvres de fraudes et a permis à l’ANC de surclasser son parti dans les urnes. 25 juillet 2013 : c’est le chant du cygne, la fin « politique » de Gilchrist Olympio. Il était « un Prince sans royaume » et, pour conquérir ce royaume qui lui manquait tant, il a signé l’accord du 26 mai 2010, l’accord de la discorde. Et ainsi accepté le baiser de Faure Gnassingbé qui n’était en réalité que le baiser de Judas.
 
Mais aujourd’hui, il n’est pas parvenu à ses fins. Pis, il vient de perdre le titre de « Prince », et lui-même en a aujourd’hui la preuve. Et s’il n’y prend garde, il ne sera pas exclu que dans les prochains mois on puisse dire : « L’UFC a vécu ». Conséquence, il doit amorcer la marche forcée vers la retraite politique « précoce ». La faute au fils d’Eyadéma qui a sans doute été plus malin que lui. Comme on dit, en politique, trompe qui peut.
 
Ainsi, si Eyadema a assassiné Sylvanus Olympio, son fils aussi lui a emboîté le pas, en « assassinant » politiquement Gilchrist Olympio. Et de ce coup, il n’est pas sûr que le fils du père de l’indépendance, du haut de ses soixante-dix-sept ans, puisse se relever. Pourvu seulement que sa désillusion politique ne le précipite pas dans…
 
Tels pères, tels fils.
 
Magnanus FREEMAN
 
source : Liberté Togo
 
 

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