Sénégal : extradition du président Hissène Habré
 
Me Abdoulaye Wade ou le prototype de personnage instable
 


 
Quel Homme aimerait bien se retrouver dans cette situation où le défaut de sagesse aura propulsé l’actuel chef de l’Etat sénégalais dont l’arrivée au pouvoir au début du siècle avec le « Sopi », slogan de campagne signifiant le changement, avait suscité beaucoup d’espoir, non seulement dans son propre pays, mais aussi dans d’autres pays du continent où les leaders de l’opposition, tout comme au Sénégal d’Abdou Diouf, se battaient et continuent à se battre pour une meilleure gouvernance dans leur pays ? Aujourd’hui sur le continent, voire dans le monde, il est difficile de trouver chef d’Etat aussi impopulaire et contesté à la fois par son propre peuple que par ses pairs avec lesquels il oeuvre au sein d’une même organisation ayant ses règles et ses lois.
 
« Le Tchad est déjà informé et il s’agit de signifier la décision à Habré. L’Union africaine a donné un mandat au Sénégal pour juger Hissène Habré ou l’extrader et nous avons signé et ratifié des conventions contre la torture. Nous ne voulons pas être en faute par rapport à cette injonction » ; c’est par ces propos que le week-end passé, le ministre sénégalais de la Communication justifiait la décision du président Wade, sans convaincre personne. Et, sauf changement de dernière heure, Hissène Habré doit atterrir par vol spécial ce lundi à N’Djamena où il devra être cueilli ou « accueilli » par les autorités. En effet, c’est le vendredi dernier que la nouvelle est tombée selon laquelle l’Etat sénégalais a décidé, à la surprise générale, de remettre l’ancien président tchadien à la justice de son pays pour être jugé.
 
Pourquoi avoir donc attendu onze bonnes années pour le faire ? C’est la question qu’on est en droit de se poser. Est-ce par l’offrande en sacrifice d’Hissène Habré à Idriss Deby, qu’aujourd’hui et à  environ six mois de la prochaine présidentielle, Me Wade espère pouvoir se racheter auprès de son peuple et de l’opinion internationale, après avoir tout mis en œuvre, en tant qu’avocat de métier et donc homme de loi, pour ne pas avoir à être responsable de tout ce qui pourrait arriver de mal à l’un de ses pairs, hôte du Sénégal depuis plus de deux décennies ? N’y a-t-il pas là matière à soupçonner le président Wade d’avoir, dès le début de son mandat, l’idée de foutre le bordel dans la gestion démocratique de son pays comme il s’y exerce si bien depuis plusieurs années déjà, idée qui l’aurait amené à ménager Habré, solidarité dans le mal oblige ? Par ailleurs, on pourrait bien interpréter cette attitude de Wade comme une manière de distraire l’opinion et détourner son attention de la critique et de l’impopularité dont il est l’objet dans son pays en ce moment. Beaucoup doivent se rappeler que l’ancien chef d’Etat tchadien qui avait dirigé son pays de 1982 à 1990 et qui vit en exil à Dakar depuis lors, chassé du pouvoir par l’actuel président Idriss Déby, est poursuivi depuis 2000 pour crime contre l’humanité, actes de torture et de barbarie. Sous son règne, 1208 personnes seraient mortes en détention et 12.321 seraient victimes de violations des droits de l’Homme, selon les ONG de défense des droits de l’Homme. Suite au dernier sommet de l’UA tenu à Malabo en Guinée Equatoriale, les obligations internationales prévues par la Convention des Nations Unies contre la torture avaient été rappelées aux autorités sénégalaises. Elles doivent soit juger Habré au Sénégal, soit le livrer à toute juridiction qui serait prête à le juger. Entre la Belgique et le Tchad, Wade a préféré le dernier, Idriss Deby ayant accepté de s’occuper du gros gibier Habré. Pour gagner des points chez Deby sûrement, et aussi se racheter auprès de l’UA. Au passage, l’UA étant mise ainsi au pied du mur, se trouve dans l’impossibilité de réagir à cette décision.
 
C’est ici qu’il convient de rappeler que la justice tchadienne avait déjà eu à juger par contumace et condamné à mort l’ancien président, entre autres pour crime économique, accusé d’avoir vidé les caisses de l’Etat avant son exil. Alors la question qu’on peut aussi se poser est celle de savoir si, une fois arrivé au Tchad, Hissène Habré ne risque pas d’être exécuté. Ceci constitue l’une des préoccupations de quelques organisations de défense des droits de l’Homme, notamment Human Rights Watch qui souhaite un procès équitable et pense que les conditions d’une justice équitable ne sont pas réunies au Tchad et que la Belgique aurait été la meilleure destination. C’est la même appréhension que nourrissent les avocats d’Hissène Habré. Il faut tout de même reconnaître que la décision d’extrader l’ancien président doit inquiéter ses avocats en premier, par contre elle ne peut que réjouir les nombreuses victimes et leurs familles.
 
En juillet 2006, suite au refus du Sénégal d’extrader Habré en Belgique pour y être jugé, l’UA lui avait demandé       de le juger « au nom de l’Afrique ». Un projet de création de chambres extraordinaires au sein des tribunaux sénégalais composées de juges sénégalais et internationaux sera proposé par l’UA, ce qui n’emportera pas l’adhésion du Sénégal. Les 23 et 24 mai 2011, les autorités sénégalaises et une délégation de l’organisation panafricaine se sont rencontrées pour élaborer un projet de statut. Du 30 mai au 3 juin 2011, les deux parties devraient se retrouver pour négocier les textes fondateurs d’une future Cour internationale ad hoc au Sénégal ayant pour objectif de poursuivre toute personne responsable de crimes commis au Tchad pendant le règne de Habré. Les autorités sénégalaises ont enjoint in extremis à la délégation de l’UA de surseoir au voyage de Dakar, sans autre explication. En dehors de sa sortie sur Benghazi faisant le pied de nez à l’UA, c’était la deuxième méprise de Wade à l’égard de l’institution en l’espace de quelques jours.
 
Voilà que le vendredi 8 juillet 2011, Abdoulaye Wade étonne tout le monde en choisissant de livrer son protégé à Idriss Déby qui, lui-même est loin d’être meilleur à Hissène Habré. Ce revirement spectaculaire du président sénégalais semble n’avoir à nos yeux pour seules justifications que des efforts déployés par un naufragé pour éviter de mourir de noyade à un moment où il est tombé en disgrâce auprès de son propre peuple autant qu’auprès de ses pairs du continent.
 
Nous ne croyions pas si bien dire, car au moment où nous bouclions notre article, nous apprenions que l’extradition du président Habré au Tchad venait d’être suspendue.  
 
Alain SIMOUBA
 
source: liberté hebdo togo