Si le Procureur de la République et les juges d’instruction qui ont en charge les enquêtes sur les incendies des grands marchés de Kara et de Lomé étaient vraiment indépendants et connaissaient absolument leur métier, ils prendraient la décision pertinente de classer le dossier des incendies. Du coup, tous les citoyens privés de liberté dans ce cadre devraient recouvrer la liberté. C’est la loi du bon sens.
Les « vérités » de Mohammed Loum
Le nommé Mohammed Loum est sans doute, peut-être à son corps défendant, la pièce maîtresse de l’accusation portée contre les responsables de l’opposition dans les enquêtes sur les incendies. Le Colonel Yark, au cours de la conférence de presse qu’il a donnée pour révéler les premiers éléments de « son » enquête avaient indiqué que des éléments à charge indiquaient que les accusés étaient les principaux commanditaires des incendies. Quelques jours plus tard, la presse avait été conduite dans l’enceinte de la direction de la gendarmerie nationale pour écouter de vive voix les « auteurs » et les « exécutants » des incendies. Mohammed Loum, présenté par l’accusation comme un Sénégalais, avait porté de graves accusations sur des citoyens, curieusement tous responsables ou militants du Collectif Sauvons le Togo (CST) comme commanditaires des crimes d’incendies.
Tout le monde sait que, dans leur totalité, les personnes interpellées dans le dossier sont celles qui ont été citées par le controversé Loum et ses amis d’infortune Amavi et consorts. Tout le monde a également exprimé sa surprise et son incompréhension du fait que la gendarmerie et la justice aient trouvé opportun et pertinent de fonder leurs enquêtes exclusivement sur des dénonciations. Dans un article édité dans les mêmes colonnes à l’époque, nous avions relevé les incongruités de ces accusations, notamment les contre-vérités contenues dans les déclarations des témoins à charge. Au sujet de M. Loum, nous avions indiqué que, si son objectif était d’obtenir une carte de réfugié, il avait frappé à la mauvaise porte puisque le Haut commissariat des nations unies pour les réfugiés (UNHCR) n’avait rien à cirer dans les affaires intérieures d’un pays ou que le parti de M. Fabre n’avait pas le pouvoir de faire délivrer la carte bleue de réfugié.
Les développements du dossier, tout le monde les connaît. En plus de MM. Adja, Kpogo, Agbeyomé et de Madame Nukafu, bien d’autres citoyens à savoir les trois avocats qui pilotent les activités du CST et le président national de l’ANC, entre autres ont été ajoutés au grand groupe des « auteurs » désignés et connus avant une enquête valable et digne.
Ce qui est nouveau, c’est bien la bombe lancée par le prisonnier « exceptionnel » du Colonel Yark et du capitaine Akakpo le jeudi 21 mars dernier. Le même accusateur dont les officiers de la gendarmerie se sont servis pour charger et emprisonner les adversaires politiques de Faure Gnassingbé est presque revenu sur ses déclarations. Le jeudi où le confrère Zeus Aziadouvo était présenté devant le doyen des juges d’instruction pour constater que son inculpation était pré-préparée avant même que le juge lui-même ne l’écoute, le fameux Loum devait affronter une séance de confrontation avec MM. Agbeyomé Kodjo et Gérard Adja, entre autres. Les avocats, journalistes et témoins rapportent que le jeune militant fougueux « manipulé » visiblement criait à tue-tête qu’on l’a forcé à accuser tous ceux qu’on a arrêtés et qu’il ne supportait plus le lourd fardeau de cette injustice causée à tout ce monde. Que ce soit dans le parvis avant le bureau du doyen des juges d’instruction ou à l’intérieur de ce bureau ; M. Loum alias Toussaint Tomety a crié haut et fort que ses premières accusations étaient fantaisistes, extorquées sous la torture. Dans la foulée, une lettre circule portant sa signature et adressée à M. Fabre, président national de l’ANC. Cette lettre présente des excuses à M. Fabre et explique le processus qui a conduit aux accusations dorénavant « gratuites ». Selon d’autres témoins présents au Tribunal de Lomé le jeudi dernier, M. Loum a lancé à la foule de curieux attroupés devant le Tribunal de Lomé cette phrase non moins symbolique : « peuple togolais, je vous aime ».
Un dossier à classer naturellement
Des informations sont parvenues à notre rédaction qui signalent que depuis le jeudi 21 mars, les autorités politiques et les officiers de la gendarmerie mettent les petits plats dans les grands pour annuler le coup d’éclat de Mohammed Loum. Ces informations indiquent que la ligne de conduite actuelle serait de prouver que la lettre supposée adressée à M. Fabre n’est pas authentique. Objectif inavoué : maintenir la démarche précédente qui a conduit à embastiller ou à inculper des adversaires politiques, sans aucune raison sensée.
Quel que soit le cas, même si dans la journée de ce lundi 25 mars, les bruits de la volonté de déclarer inauthentique la lettre de M. Loum devenaient des clameurs, il est évident et indéniable que les enquêtes sur les incendies des grands marchés de Kara et de Lomé deviennent de facto caduques. Lorsqu’un accusateur dans un dossier juridique dit et se dédit, il n’y a plus de raison de le croire. De ce fait, même si les capitaines que M. Loum accuse de l’avoir torturé pour le contraindre à citer des noms de façon fantaisiste mettent les petits plats dans les grands pour tenter d’entretenir le flou, ils ne peuvent pas nier l’évidence vive que lorsqu’un accusateur, dans un même dossier, dit une chose dans un premier temps puis une autre dans un second temps ; il rend du coup nulle et de nul effet la procédure judiciaire.
Des exemples existent de par le monde : en France, aux Etats-Unis et ailleurs, dans les démocraties viables et éprouvées, les mensonges d’un témoin à charge aboutissent systématiquement et automatiquement à l’annulation des procédures. Au Togo, on sait que la justice n’a pas toujours le courage de faire sereinement ou courageusement son travail de sorte que des décisions sensées et évidentes qu’elle doit prendre ne le sont pas toujours. Dans le cas du dossier Kpatcha Gnassingbé, les juges devraient annuler la procédure du moment que des accusés s’étaient plaint de torture et de traitements dégradants. Il s ne l’ont pas fait.
Justement, non seulement l’évidence des déclarations et contre-déclarations du nommé Mohammed Loum sont des raisons suffisantes pour mettre fin à la poursuite et libérer tous les citoyens détenus dans ce cadre, mais aussi il est opportun de souligner que les plaintes de torture doivent forcer le Procureur Poyodi et les juges d’instruction à reconsidérer leur action dans le dossier. Au minimum, ils ont l’obligation de surseoir à toute autre action dans le dossier et de demander une enquête sérieuse sur les plaintes de torture. Au plus, les observateurs et habitués des procédures judiciaires soutiennent que ces plaintes de torture suffisent largement pour conclure à un non lieu.
Tout peut arriver toutefois puisque le Togo a habitué le monde avec son habitude à ne jamais admettre ce qui va de soi ailleurs. Personne ne sera donc surpris que la procédure se poursuive et que, après l’inculpation extraordinaire du confrère Zeus Aziadouvo, d’autres personnes qui osent dire la vérité sur le dossier des incendies soient intimidés et inculpés. N’importe comment, la justice et le gouvernement apporteront à l’humanité la dernière preuve qu’ils sont résolument engagés dans une dynamique de démocrature ou de retour en force de la tyrannie. A eux de démentir ses soupçons en tirant la bonne conclusion des controverses créées par le prisonnier « de luxe » Mohammed Loum. Les Togolais de bonne foi et de bon sens ont les yeux tournés vers eux. Au pied du mur, voilà tout, quelles que soient les pirouettes qu’ils pourront faire.
Nima Zara
Le Correcteur N°423 du 25 mars 2013