Le pouvoir dynastique du clan togolais est en péril. Entre les frères rivaux Faure Gnassingbé, bien installé par son père sur le fauteuil présidentiel, et Kpatcha, qui brigue la place, rien ne va plus.
L’affaire Kpatcha met décidément le clan Eyadema en difficulté, en particulier le président, Faure Gnassingbé. Accusé de tentative de coup d’État dans la nuit du 12 au 13 avril 2009, Kpatcha Gnassingbé, le demi-frère du président, a été arrêté et incarcéré le 15 avril pour deux ans. Cette situation a ébranlé la cohésion de la famille Eyadema —qui restera difficile à reconstruire— au risque même d’agiter les fondements de leur pouvoir dynastique.
Bien avant la fin de son règne, les observateurs avertis savaient que l’ex-dictateur du Togo Gnassingbé Eyadema était en train de préparer l’un de ses fils, Faure Gnassingbé, à lui succéder. Titulaire d’un Master of Business Administration de l’université George Washington aux États-Unis, il est considéré comme le plus policé du clan. Du vivant du patriarche, il avait déjà à charge la gestion des biens de la famille, et l’accompagnait dans plusieurs de ses déplacements.
Deux frères pour un fauteuil
Mais les autres membres de la fratrie comme le lieutenant-colonel Rock Gnassingbé et Kpatcha Gnassingbé ne cachaient pas leurs ambitions de succéder à leur père. La bataille pour le pouvoir promettait donc d’être rude entre les trois prétendants, jusqu’au moment où un revers de santé a naturellement écarté le lieutenant-colonel Rock Gnassingbé, que beaucoup voyaient déjà dans le fauteuil de président de la République à la mort du père. Charismatique, il tenait les troupes de son père.
Selon des sources concordantes et dignes de foi, le général Eyadema avait fait de son épouse officielle l’exécutrice testamentaire de sa succession au pouvoir, au profit de Faure Gnassingbé. Son état de santé s’étant dégradé, l’ex-dictateur mourra lors de son voyage pour recevoir des soins en Israël le 5 février 2005. Et les deux frères rivaux en lice pour le fauteuil présidentiel de convenir d’un partage de pouvoir sous l’égide de l’exécutrice testamentaire. En violation flagrante de la Constitution, Faure Gnassingbé fut propulsé comme président de la République en lieu et place du président de l’Assemblée nationale, Fambaré Natchaba.
Kpatcha Gnassingbé aurait choisi lui-même son poste au gouvernement, à savoir le ministère de la Défense. Il met en place son propre réseau au sein de l’armée. Pour maintenir au pouvoir le clan Eyadema à travers l’élection de Faure Gnassingbé lors de la présidentielle de 2005, l’armée qu’il commande ne se gêne pas pour offrir au monde entier l’une des images les plus parlantes du scrutin: des militaires sont filmés par la télévision béninoise en train de fuir avec des urnes. La crise électorale qui s’ensuit fait près de 500 morts et Kpatcha Gnassingbé est montré du doigt par la commission d’enquête des Nations unies.
S’il n’est pas le président de la République, il a un tel pouvoir que nombre de Togolais le surnomment le «vice-président». L’homme est populaire dans le nord du pays, qui constitue le socle du pouvoir Eyadema. Cette popularité, doublée de son influence et de ses ambitions finissent par inquiéter l’entourage du président Faure Gnassingbé dans la perspective de la présidentielle de 2010. La famille Eyadema et leurs proches semblent alors se préparer à l’élection en rangs dispersés entre adversaires et partisans des deux frères rivaux.
Ne pas diviser pour mieux régner
«Je ne prépare aucun putsch contre Faure. J’ai certes des divergences avec lui sur la conduite du pays et du parti, mais je n’utiliserai pas la force contre lui. Sur le plan personnel, il est vrai que nous ne sommes pas proches, mais nous ne sommes pas obligés d’être des amis», avait déclaré Kpatcha Gnassingbé lors d’une tentative de conciliation au Burkina Faso, face au président Blaise Compaoré et à son ministre des Affaires étrangères, Djibril Bassole, au plus fort des rumeurs qui bruissaient sur un éventuel coup d’État en préparation.
Selon certaines indiscrétions, des proches du président Faure l’auraient convaincu qu’au nombre des prétendants à la magistrature suprême, Kpatcha Gnassingbé était plus à craindre que les candidats de l’opposition. Débarqué d’abord de son poste de ministre de la Défense, il retrouvera quand même les bancs de l’Assemblée nationale comme député de Kara (son fief du nord du pays) avant d’être ensuite accusé de tentative de coup d’État en 2009 (dont le procès, ouvert le 1er septembre 2011, a été reporté au 6). On le soupçonnait de vouloir se présenter à la présidentielle et de s’allier à l’opposition pour faire perdre le pouvoir à son frère, au pire des cas.
Cette affaire n’a pas fini d’empoisonner non seulement l’ambiance dans le clan Eyadema, mais aussi la vie sociopolitique nationale. Kpatcha Gnassingbé est considéré par l’un de ses avocats Zeus Adjavon comme «le prisonnier personnel de son frère chef d’État». D’autant plus qu’au moment de son arrestation, il bénéficiait de son immunité parlementaire et reste toujours député. Ce que les députés togolais de l’opposition en particulier n’ont pas eu l’heur d’apprécier.
L’avenir du clan et sa survie politique dépendent de sa capacité à gérer les divisions nées de cette affaire. Même si le frère jumeau de Kpatcha, Toyi Gnassingbé, et bien d’autres membres de la famille sont encore dans l’entourage direct du président Faure, il est difficile de prédire l’avenir. Car pour certains Togolais, la complexité de cette affaire dans laquelle Faure Gnassingbé semble ménager ses oncles pour faire face aux éventuels ressentiments de ses frères compromis va forcément entraîner une redistribution des cartes dans tout le clan Eyadema.
Pour Anani Lawson, journaliste de son état:
«Il ne faut pas oublier que la mère de Kpatcha Gnassingbé est Kabyè comme son père et originaire du nord du pays, tandis que celle de Faure Gnassingbé est Ewé du Sud. Ce dernier ne doit pas avoir la tâche facile pour essayer de faire oublier cette affaire et de réconcilier tous ses frères avec lui. Tout dépendra donc de ses oncles paternels, mais il restera toujours quelque chose… une rancœur pour ceux qui ont été humiliés».
Marcus Boni Teiga
source : slateafrique.com