Par une maladroite estocade d’un nébuleux regroupement du nom de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de L’Afrique de l’Ouest), la lutte de libération en cours au Togo vient de recevoir « un coup isolé ». Mais comme l’achève bien le dicton, ce coup est loin, très loin d’« arrêter le combat » des Togolais. D’une part, il faut reconnaître par ce comportement de lâcheté et de fuite de responsabilité que la CEDEAO a montré ses limites. Pire, comme l’a pointé le président sénégalais, la jurisprudence togolaise risque de hanter le regroupement.

A la sortie de la feuille de route le 31 juillet 2018, la coalition a cru bon de se montrer prudente en évitant de tomber dans ce qui s’apparente déjà à l’époque à un piège tendu. Le piège c’était la feuille de route imposée par la CEDEAO. Rejeter ce document à sa naissance dans ce contexte serait synonyme de défier les chefs d’Etat et donc de tomber dans le piège tendu par la CEDEAO qui aurait ainsi trouvé un argument marteau pour se retirer du bourbier togolais en ouvrant le boulevard à la dictature qui ferait à sa guise. Mais dans le mécontentement généralisé né d’une telle feuille de route alambiquée, il y a heureusement eu des formations politiques pour faire une analyse politique approfondie en considérant ce document comme «un verre à moitié plein» afin de prendre la CEDEAO et sa monarchie aux mots. Nous y sommes. Les formations politiques qui s’étaient estimées satisfaites de cette décision communautaire de sortie de crise au Togo en parlant même de « victoire d’étape», ont fini par avoir raison sur l’histoire.

En suivant la CEDEAO, la coalition Togolaise et sa population ont désormais l’avantage d’avoir pris conscience de leur statut d’orphelins de la sous-région. Du coup, le Togolais doit apprendre à se battre sans compter sur quelque regroupement de chefs d’Etat que ce soit. Inutile de rappeler que la mise en œuvre de ces recommandations-pièges est très tôt devenue un grand danger qui mettra la monarchie dos au mur au point d’obliger la CEDEAO, elle aussi, à faire tomber le masque. De quelle crédibilité dispose encore un regroupement qui ne peut pas obliger un membre à appliquer des recommandations par elle édictée? Puisque la Guinée Bissau n’avait pas un trésor de guerre gratis à partager aux chefs d’Etat de la CEDEAO, quand elle était en difficulté, la CEDEAO a cru bon de se déplacer pour s’imposer par la manière forte. Des sanctions étaient même tombées sur 19 personnes qui étaient considérées comme les mauvais élèves du règlement de la crise Bissau guinéenne.

De père en fils, la racine du mal togolais est l’absence d’alternance pour cause des élections truquées, faute de reformes

En 2005, Eyadema meurt et transmet ses méthodes de conservation de pouvoir à son fils par le biais de la CEDEAO qui est venue cautionner un désordre qui fera 500 morts aux bas mots. Le 19 août 2017 naît un ouragan politique qui inquiète la monarchie au point d’obliger celle-ci à solliciter, une deuxième fois, la même CEDEAO. Celle-ci arrive et impose les reformes qui sont censées, pour une fois, accoucher des élections crédibles. Le palais de la Marina après avoir, dans un premier temps, crié victoire commence par traîner les pas à l’application desdites reformes qu’il s’efforce à contourner par des raccourcis afin d’imposer aux Togolais une élection sans reformes. La classe politique togolaise prend son mal en patience et observe la CEDEAO dans sa complaisance. Au finish, le regroupement des chefs d’Etat affiche ouvertement son soutien à Lomé. La CEDEAO n’a plus d’arguments contre les Togolais, mais les Togolais ont désormais un argument contre la CEDEAO.

Quand les chefs d’Etat se sont réunis à Abuja, certains d’entre eux sont arrivés en avocats défenseurs pour le pouvoir togolais. Le cas du président du Ghana qui, en réalité, n’était qu’un loup dans la bergerie pour cette crise. Certains présidents n’ont pas hésité à se doigter en altercation sur la crise togolaise, les uns accusant les autres de complicité pour la dictature. Inutile de rappeler que certains parmi eux, étaient des canaux de transmission de sous à une race d’opposants togolais. Les deux médiateurs par exemple, dont les approches sur la crise togolaises étaient discordantes, sans qu’aucune ne soit à l’avantage des Togolais, ne se seraient d’ailleurs pas fait de cadeaux pendant cette rencontre à Abuja.

Quant à un monsieur comme Ouattara, il n’avait d’yeux et d’oreilles que pour la cause de Faure Gnassingbé dont le pays a servi de base arrière pour la rébellion qui a fait de lui un président. Des présidents n’avaient d’yeux et d’oreille que pour le prince de la Marina, soit par ce qu’il a su faire circuler une partie du trésor de guerre cumulé au dos des Togolais, soit parce que le Togo fut pendant longtemps une base arrière financière ou militaire pour la survenue de certains règnes.

Certains voisins du nord, comme le Burkina, dont on ne soupçonnait pas une quelconque entente pour cause de récentes brouilles politico-militaires avec le Togo ont surpris par leur silence. Pire que le silence, certains offraient leurs bons offices à ouvrir les portes partout où la monarchie et ses porteurs de mallettes avaient de la peine à se faire accueillir. A quelques encablures près, les rares chefs d’Etat francophones qui n’étaient pas d’accord avec les méthodes de voyou étalées à Abuja n’avaient pas de voix. Seuls les pays anglophones ont pu se démarquer sans pouvoir changer la donne.

Mais la grande inconnue demeurera celle de savoir quel rôle a joué le président Buhari du haut de ses prérogatives de président tournant d’une CEDEAO désormais devenue un panier à crabes. Nos sources lui disaient absent pour raison de santé et qu’il ne s’était présenté à cette 54e cession qu’à l’ouverture avant de s’éclipser. On veut bien croire, mais en tant que détenteur de la présidence tournante, pays hôte de la conférence, même si Buhari était absent, quelqu’un a dû représenter le Nigeria, soit-il un préfet d’un district. Quelle était alors la position du géant Nigeria face à ce triste dénouement ? Et pourtant, on sait que ce pays s’est démarqué positivement depuis des lustres dans cette crise.

Les petits fonctionnaires

Une bonne partie des petits fonctionnaires de la CEDEAO qui avaient un droit de regard dans cette crise, soient-ils des membres du comité de suivi ou autres, n’ont pas fait de mystère à soutenir le monarque dans ses dérives. Rapport tronqué par-ci, déclarations controversées par-là. La race des Gbéhenzin et comparses, eux-autres, on les voyait donc venir. Pas de surprise donc de leur côté. Mais que s’est-il passé avec leur patron chef d’Etat ? Le Baron d’UNIR qui soutenait que « dans la crise togolaise même à la CEDEAO chacun a son prix » a-t-il finalement raison du bon sens? Aucun secret ne résiste au temps. Mais si compromission il y a eu, les décideurs qui se sont appropriés la crise togolaise doivent savoir que, s’il est vrai qu’en temps difficiles, c’est dans les petits territoires que les grands hommes se construisent une renommée, il est tout autant vrai que c’est aussi dans ces territoires qu’ils perdent leur renommée.

La sécurité de Tikpi Salifou Atchadam dans la CEDEAO

Lui, c’est l’homme du 19 Août. Il incarne la lutte de libération dans sa forme actuelle. Connaissant bien la dictature en place qui a déjà fait ses preuves dans l’assassinat des adversaires politiques, dès que sa tête a été mise à prix par Faure Gnassingbé et ses officines militaires et civiles, il a dû se faire discret en comptant que grâce à la bonne foi de la CEDEAO qui était sur la crise la situation n’allait pas durer. A l’époque, il était encore possible de compter sur cette communauté qu’on croyait être capable de trancher en faveur de la veuve et de l’orphelin au Togo comme ils l’ont fait en Guinée Bissau. Et à chacune de ses sorties, il n’a pas manqué de rappeler ses paires opposants en lutte à un minimum de respect pour les démarches initiées par la CEDEAO afin de savoir jusqu’où elle veut bien conduire la crise togolaise. Cette posture de la coalition a aujourd’hui permis de suivre le regroupement communautaire jusqu’à son dernier retranchement. On sait donc que ces messieurs, à quelques exceptions près, n’ont d’yeux et d’oreilles que pour ceux qui peuvent faire circuler des milliards ici et là.

La CEDEAO a choisi son camp. C’est alors à se demander si demain Atchadam n’est pas aux USA, s’il n’est pas en Europe et il n’est pas dans un pôle lointain de l’Afrique et qu’il se retrouve dans l’espace CEDEAO, n’a-t-il pas des raisons de craindre pour sa sécurité quand on ne sait plus qui fait quoi dans la crise togolaise qui est devenue une foire d’Ali-Baba sous la supervision de la monarchie militaire au Togo? C’est juste une question qui vaut son pesant d’or. Mieux, une invite à Atchadam qui doit prendre les dispositions qui s’imposent avec les organisations et institutions compétentes et encore dignes de crédibilité et de défense de droit de l’homme pour poser le débat sur sa sécurité pendant que la lutte de libération, qu’il a enclenchée, fait son chemin.

La chasse aux sorcières pour disloquer la coalition

Une chose est de doigter la CEDEAO et son enfant adoptif Faure Gnassingbé, l’autre chose est de se demander qu’est-ce que la classe politique togolaise de l’opposition a fait pour éviter que cela arrive. Il vous souvient que dans l’une de nos parutions de 2018, nous avions titré, « OPPOSITION TOGOLAISE, ET SI «Si ON CHANGEAIT DE METHODES : Les paradoxes d’une lutte de libération ».

Dans une édition passée, c’était notre titre. Notre modeste plume regrettait le fait qu’une fratrie d’opposants togolais fasse usage depuis les années « 90 d’une méthode qui perd ». Nous ne croyions pas si bien dire quand on déplorait déjà le fait que « Depuis que l’argent a remplacé toutes les valeurs au Togo, surtout en politique, un autre adage a triomphé du bon sens : « on ne refuse pas l’argent », pour ne pas dire « l’argent n’a pas de couleur ». Le pire est que, même quand cet argent provient des milieux au pouvoir, l’argument ne manque pas : « c’est notre argent, il faut prendre pour les combattre ». Au nom de ces philosophies aussi légères qu’en crise avec le bon sens, certains politiques sont devenus des hommes d’affaires et les stratégies de lutte rament.

La République est ainsi prise en étau entre, d’un côté, les voleurs de la République qui dirigent et qui ont envie d’acheter le silence de tout le monde afin de piller à vie et, de l’autre côté, ces leaders de l’opposition qui marchandent ou leur silence ou leur représentativité contre des prébendes que la race aux affaires veut bien laisser tomber pour eux. Si on ne prend pas garde, la lutte politique au Togo risque d’être un terrain où les acteurs se partagent des rôles en faisant croire qu’ils luttent pour arracher une alternance. La lutte de libération au Togo fut et reste encore plombée par des commerçants politiques… Il est vrai, contre une dictature qui a cumulé un trésor de guerre de cinquante ans, il est difficile de combattre les poches vides. Mais la méthode qui veut qu’on prenne l’argent du diable pour le combattre est légère, immorale et malsaine».

Toujours parlant de la coalition et ses atermoiements, témoins de l’histoire, nous avions lancé un appel à « la vigilance, car un jour le peuple nous demandera qu’avez-vous fait en tant que journaliste ». Nous avions déploré des informations selon lesquelles pendant des voyages dans le cadre de la crise togolaise, des individus n’hésitent pas à recevoir voire demander des enveloppes de la part de ceux qui sont devant les démarches principalement les médiateurs et autres chefs d’Etat influents de la crise. Nous avions à l’époque appelé ceux qui se comportent ainsi à un changement de comportement ». Actuellement, un doute s’est installé sur la sincérité des chefs d’Etat qui se sont mis, à un moment donné, devant la crise togolaise en sapeurs-pompiers. La solution qu’ils croient avoir finalement trouvé pour les Togolais pousse à se demander si certains n’ont pas été gratifiés de la puante magnanimité de la Marina. Si cette hypothèse se confirmait demain, est-ce que les leaders qui ont fait de la crise togolaise un fonds de commerce peuvent accuser ces chefs d’Etat si eux-mêmes, leaders victimes de la crise, n’ont pas pu résister au charme de l’argent ?

Le lait est trait, il faut le boire

Abi-Alfa
 
Source : Le Rendez-Vous No.336 du 08 janvier 2019
 

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