• Partir à la retraite et passer à la barre pour répondre des abus

Il est des hommes qui vieillissent bien. Mais il en est d’autres auxquels la vieillesse ne réussit pas. Le président de la Cour suprême -en même temps président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM)-, Akakpovi Gamatho est de la deuxième catégorie. Sans être encore sorti du bourbier foncier dans lequel il s’est empêtré depuis un moment au quartier Agoè-Klévé, revoilà l’homme avec une autre affaire dans laquelle il n’a normalement rien à faire. L’affaire FUCEC (Coopec Solidarité) risque de faire fuir les clients de la microfinance après le sursis scélérat pris par le magistrat.

Des médias ont fait cas de l’information sur la crise à la Coopec Solidarité et nous aurions pu faire l’économie en n’y revenant plus, mais par rapport à une certaine agitation –au final puérile- d’un groupe de magistrats qui verraient d’un très mauvais œil l’arrivée du chef de l’Etat à la tête du CSM, une retrospective des faits d’armes de l’actuel président de la Cour suprême, en même temps président du CSM s’impose afin que soit clos ce débat qui tente de maintenir mordicus un juge à la présidence de ce dernier. Dans l’ordre « décroissant », voici, du plus récent au plus lointain.

Affaire Coopec Solidarité

Parce que Mawulé Perrin Gamatho, fils biologique du président de la Cour suprême a été recruté à près de 800.000 FCFA à la Coopec Solidarité par l’ancien Directeur Godomé Dewouna comme chef section recouvrement depuis juillet 2019, son père a jugé bon d’intervenir dans une affaire qui ne relève pas de sa compétence. Que ne ferait pas un père pour son fils, même si celui-ci n’a pas raison !

Parce que la situation de son fils se trouverait compromise avec le licenciement du directeur de celui-ci, Akakpovi Gamatho, du haut de sa présidence à la Cour suprême, a estimé devoir prendre un sursis qui ne relève pas de sa compétence. Comment ? Explication.

Juin 2019. Apoudjak Wahab, ancien président du conseil d’administration organise une élection, perdue au profit de son adversaire Gabriel Legba-Mony. Soucieux de sauvegarder ses « acquis humains», le perdant requiert la justice aux fins de restreindre les pouvoirs du nouveau président du Conseil d’administration. Econduit, Apoudjak Wahab se rabat sur le Vice-président de la Cour d’appel de Lomé qui, séduit, prend une ordonnance (n°1408/19) le 11 novembre 2019 à pied de requête dans le sens désiré par Apoudjak Wahab & Cie.  Le directeur de Coopec Solidarité, Godomé Déwouna en profite pour afficher son insubordination devant le Conseil d’administration qui décide de le licencier le 28 février 2020. Le 4 mars 2020, le président de la Cour d’appel de Lomé rétracte l’ordonnance de son Vice-président en prenant soin de déclarer sa cour incompétente à connaître la requête de sieur Apoudjak & Cie. « Aucun litige ne les opposant aux sieurs Legba Mony Koffi Gabriel, Dekpe Dzidula, Avegnon Koffi et qui est pendant devant la Cour d’appel de Lomé; voir constater que les nommés Afanvi Messan André, Tiwome M. Honoré, Apoudjak Wahab Tchakou Toufaïde, Messan Kokouvi, furent-ils des coopérateurs, n’ont aucune qualité à solliciter de monsieur le président de la Cour d’appel de Lomé, une mesure de restriction des pouvoirs du Conseil d’administration de la Coopec Solidarité; constater que l’ordonnance déférée viole les dispositions de l’article 215 du Code de procédure civile, 308, 363 de l’AUSCOOP et 27, 43 des Statuts de la Coopec Solidarité; En conséquence, rétracter purement et simplement l’ordonnance n° 1408/19 du 11 novembre 2019 », écrit-il dans son ordonnance n°102/2020 du 4 mars 2020. Entretemps, Edorh Emmanuel, Directeur des affaires civiles et judiciaires a tenté par des chemins détournés -en vain- d’obtenir la réhabilitation du directeur licencié.

Un mois exactement après l’ordonnance du président de la Cour d’appel, Akakpovi Gamatho fit son apparition dans la crise à travers un sursis à exécution qui, justifie-t-il, « est (l’exécution) de nature à créer une situation irréversible ». Alors que si pourvoi il devrait y avoir de la part des « déçus » de l’ordonnance du président de la Cour d’appel, ce serait devant la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA). Voici ce qu’en a dit un juriste du droit des affaires : « Je comprends mal comment M. Gamatho peut accorder le sursis à une ordonnance de référé qui rétracte une ordonnance frappée de nullité. Car, l’ordonnance limitant les pouvoirs du président du conseil d’administration ne devait pas exister en droit. C’est un néant juridique. Aucune décision de justice ne peut limiter les pouvoirs de l’employeur, exceptionnellement l’Assemblée générale. Le président de la Cour d’appel de Lomé a été courageux et lucide pour prononcer la rétractation. Cette question même relève du droit des sociétés commerciales et groupement d’intérêt économique. L’article 492 de l’Acte uniforme de l’Ohada consacré dispose : « Le Directeur général peut être révoqué à tout moment par le Conseil d’administration. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à dommages et intérêts ». C’est dire que s’il y a une action en justice à mener par le directeur licencié, c’est juste pour réclamer dommages et intérêts, comme ce fut le cas de Thierry Tanoh licencié par Ecobank. Aucune décision de justice ne peut imposer la réintégration à son poste du directeur licencié. C’est plutôt sa réhabilitation qui va créer une situation d’irréversibilité dans la société, car il sera au-dessus de ses employeurs et n’aura d’autre hiérarchie que le magistrat qui l’aurait fait revenir à son poste. Décisions et contre-décisions vont créer une situation d’instabilité dans la société, ce serait inadmissible pour une société qui gère l’argent de pauvres épargants ».

Depuis cet inique sursis, la structure de microfinance est sans gouvernail. De quoi créer une absence de confiance en sa clientèle qui, si elle décide de retirer ses fonds placés, pourrait précipiter la fin de la Coopec Solidarité.

Dossierdu bateau Versina

Le temps a passé, mais des victimes de Akakpovi Gamatho continuent de soupirer. En 2016, le président de la Cour suprême avait pris deux sursis, tous en faveur d’un certain avocat Dossou Kodjovi dans la vente d’un bateau en rade. On se rappelle que contre l’avis d’Olivier Sronvie, alors président de la Cour d’appel, Akakpovi Gamatho avait pris un sursis pour refuser le reversement des produits de la vente du bateau sur le compte CARPA des avocats. Et ceci, sans avoir vu la décision déférée devant lui. Une jurisprudence au Togo.

Non content d’avoir foutu ce bordel, l’homme revient sur les lieux du crime pour redonner un deuxième sursis au même avocat, après que l’ordre des avocats a, après audition du mis en cause, décidé d’abord de le radier, avant que sa peine ne soit commuée en suspension. En ce temps, on s’était interrogé sur ce qu’avait pu bien faire avaler l’avocat au président de la Cour suprême pour qu’il en soit ainsi.

La poudrière foncière à Agoè-Klévé

Le 22 avril dernier, ce dossier devrait être ouvert par le juge Abitor au tribunal de Lomé en citation directe. Mais la partie a été remise pour un autre jour, pour cause de covid-19. La collectivité BOBY avait falsifié la signature du géomètre et fait du faux et usage de fauxsur un plan de 26 hectares pour gagner un procès sanctionné par le jugement 1088/97 du 19 décembre 1997. La Cour suprême a rendu un arrêt n°23 du 16 juin 2005 en faveur de cette collectivité et Akakpovi Gamatho y était conseiller et rapporteur. Et quatre ans plus tard, nous sommes tombé sur un jugement de reddition et partage obtenu par ladite collectivité et dans lequel le nom de Gamatho apparaissait comme ayant reçu de cette collectivité, 10 lots dans le domaine querellé! Le principal concerné confirmera la forfaiture dans une vaine tentative de se démarquer, dans un jugement rendu par le juge Kutuhun, actuel président du tribunal de Lomé. Il rectifiera que ce sont plutôt 12 lots, mais qu’il n’aurait pas été consulté. Ce dossier devra, au nom de la justice qu’on cherche à voir prospérer au Togo, connaître son épilogue, coûte que coûte, parce que sur la base du jugement 1088/97 et de l’arrêt n°23 sus-cités, des acquéreurs–ils sont une centaine- seront expulsés de leurs demeures ; et déjà, le Procureur général près la Cour d’appel a cru devoir s’exécuter et a fait expulser le sieur Ahiandjipé Komlan de sa maison depuis l’année dernière, l’itératif de commandement de déguerpir du 27 mai 2019 faisant foi de nos propos. Ahiandjipé et toute sa famille èrent dans la nature depuis et attendent une hypothétique réaction du président de la cour d’Appel de Lomé pour réintégrer sa maison.

Mais la nature ayant parfois horreur de l’injustice, hier mardi 2 juin, contrairement aux arguments avancés par le Procureur général et selon lesquels le sieur Ahiandjipé n’aurait pas fait appel du jugement rendu, un huissier a signifié à ce dernier une requête d’abréviation de délai de comparution de la part de la collectivité BOBY afin que « l’affaire qui l’oppose aux nommés […] soit extraite du rôle ordinaire de la mise en état pour être évoquée en votre cabinet [Ndlr, Kominté Dindangue] à telle date qu’il vous plaira », suivie de l’ordonnance N°0654/2020 du 27 mai 2020 du président de la cour d’appel.

Demain jeudi 4 juin donc au cabinet du président de la Cour d’appel de Lomé, on saura les raisons pour lesquelles Ahiandjipé Komlan a été expulsé de sa maison bien qu’ayant fait appel et pourquoi le Procureur général a ignoré l’acte d’appel et expulsé le malheureux, pour peu que le président de la Cour d’appel veuille dire le droit et rien que le droit. Rappelons que ce sont des centaines de vies qui sont ainsi ballotées au gré des humeurs de juges.

Pour déterminer la vérité dans cette affaire, un rapport d’expertise a même été produit par Gregoire Date Benissan, expert international agréé. Voici sa conclusion : « Il s’instaure, au regard des opérations et analyses mises en oeuvre, une conviction identificatrice soutenue par de très fortes raisons scientifiques et techniques, une certitude de l’identification d’un plan frauduleux parsemé de falsifications et d’ajouts constituant la copie réductrice en date du 1er avril 1975 du plan original en date également du 1er avril 1975. L’évidence manifeste introduisant une inversion et modification de la légende et de son contenu nominatif, c’est-à-dire les bénéficiaires ;de même que l’imitation grossière de la graphie–signature de l’expert Géomètre AMEGEE, ne saurait être objet d’aucune contestation, ni doute ». Le rapport date du 9 juillet 2019. Ci-joint les deux signatures, la vraie et l’imitée.

Dossier Allowa-Alassan Olawolé

La vérité blesse. Le président du CSM en est la preuve. Dans un courrier du 24 octobre 2019, le juge Allowa Alassan Olawolé à qui on reproche des manquements par rapport à l’étique et la déontologie, n’a pas refusé de comparaître devant un conseil de discipline, pour peu que celui-ci soit « légal ». Il avait alors adressé un courrier dans lequel il écrit ce que la décision du CSM actuel rapporte dans le Journal Officiel du 11 novembre 2019: « Considérant que le juge ALOWA-ALASSAN Olawolé dans son courrier daté du 24 octobre 2019 excipe de l’illégitimité, voire l’illégalité du Conseil actuel ; qu’en effet, ce dernier relève que la mandature des membres actuels du Conseil Supérieur de la Magistrature (C.S.M.) est arrivée à terme le 26 août 2019 et qu’il ne doit gérer que les affaires courantes ; qu’il poursuit en ces termes : « Toutefois lorsqu’il s’agit de m’inviter à comparaître devant un Conseil de Discipline composé par les membres dont le mandat est expiré, je ne peux l’accepter » ; que pour finir, il fait valoir d’abord, qu’il « convient de régler avant toute chose, la question de la légitimité des membres du CSM » avant de conclure ensuite, qu’il « souhaite à cet effet que la Cour compétente, notamment la Cour Constitutionnelle soit saisie » ». Akakpovi Gamatho a quand même pris la décision de révoquer. « En conséquence, le juge ALOWA-ALASSAN Olawolé écope de la sanction disciplinaire prévue à l’article 30-9° de la loi n° 96-11 du 21 août 1996 fixant statut des magistrats, modifiée par la loi n°2013-007 du 25 février 2013, à savoir : la révocation sans suspension des droits à pension ». Pour un jeune magistrat, c’est assez méchant.

Mais pendant que Gamatho et son rapporteur Mawunou Placide s’offusquent de ce que le CSM actuel est qualifié d’illégal, c’est quand même au vu de cette illégalité que depuis le 26 août 2019, ce CSM est incapable d’opérer les affectations des magistrats ! Si on doit reprocher au président de la Cour constitutionnelle actuelle de faire passer la politique avant le droit, on doit être assez juste et reconnaître que l’actuel président du CSM fait passer la haine, le réglement de comptes, la colère avant le même droit.

Autant de forfaitures qui ont fait réagir le constituant

Il aurait été trop facile, mais en même temps trop humiliant pour Akakpovi Gamatho de se voir révoqué de ses postes de président de la Cour suprême et du CSM. La fin de sa carrière ô combien ternie était donc l’occasion pour réformer cette justice trop décriée.

A ce secrétaire général de l’USYMAT (Union syndicale des magistrats du Togo) qui semble téléguidé pour décrier le futur changement à la tête du CSM, on veut juste lui rappeler que son propre syndicat n’est pas contre l’arrivée de l’institution « présidence de la République » à la tête du CSM. Au cas où il feindrait de l’oublier. «…Cependant, la présence du Président de la République au sein de cet organe peut, dans une certaine mesure, se concevoir en ce que non seulement « le président de la République est le garant de l’indépendance de la magistrature », mais aussi le premier responsable de l’Etat et le bon fonctionnement de toutes les institutions lui incombe. Or la vocation du conseil supérieur de la magistrature, c’est d’assurer cette indépendance en assistant dans cette quête. Envisager donc sa présence au sein de cet organe lui permettrait d’être directement au parfum des différents problèmes auxquels est confrontée la magistrature et d’envisager leur résolution rapide », a signé le 29 octobre 2019 Adamou Beketi, président de l’USYMAT. Alors ! D’autres pays ont leur CSM présidé par l’institution Présidence de la République sans pour autant être moins démocratiques que le Togo, loin de là.

Si seulement Akakpovi Gamatho avait été consulté lors de l’élaboration du projet de modification constitutionnel, certainement qu’il aurait glissé un article qui donne l’absolution à tout président du CSM dont le mandat aurait expiré contre toute poursuite judiciaire dans l’exercice de sa fonction. Mais même dans ce cas de figure, ce serait caillou, parce que les faits de corruption retenus contre lui se sont produits avant qu’il ne soit nommé président du CSM. Ne serait-ce pas pour cela qu’il ferait des pieds et des mains, selon des indiscrétions, pour qu’on prolonge sa jouissance à la tête du CSM et de la Cour suprême ? Dans ce sens, on se demande ce qu’attend le chef de l’Etat pour faire partir l’homme, conformément à l’article 46du statut des magistrats qui consacre l’âge de départ à la retraite à 65 ans contre 60 ans avant pour tout magistrat. Puisque depuis le 1er avril 2020, Akakpovi Gamatho a bouclé ses 65 ans d’âge !

Abbé Faria / Liberté Togo

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